Dans la mesure où nous n'avons plus de financements budgétaires ou presque, il est achevé. Les crédits budgétaires financent encore pour moitié – soit à hauteur de 10 millions d'euros – la Cinémathèque française, mais nous devrons dès l'an prochain assumer la totalité de cette charge. Dès lors que notre financement est assuré, cela ne constitue cependant qu'une simplification qui ne pèse pas sur l'activité des structures que nous soutenons. Nous avons ainsi augmenté le Fonds Sud de 300 000 euros cette année, tout en confortant les moyens consacrés à l'éducation artistique. Notre seule crainte touche à la prise en charge des transports scolaires par les conseils généraux, certains ayant manifesté des velléités de désengagement. Toujours dans le domaine de l'éducation artistique, je rappelle que nous avons lancé dans tous les lycées de France un portail internet, CinéLycée.
Quant à la part du Grand emprunt réservée à la numérisation, elle ne dépend pas de nous ! Sachez que nous rencontrons tous les mois les équipes du Grand emprunt pour faire avancer les négociations en cours avec les détenteurs de droits. Nous mettons tout en oeuvre pour qu'un accord-cadre puisse être signé pour le Festival de Cannes. Nous espérons bien sûr la réponse la plus ambitieuse possible, afin de limiter la charge qui pèsera sur nous. Nous savons d'ores et déjà que pour les films muets, les documentaires et les courts métrages de la première moitié du vingtième siècle, pour lesquels les perspectives de rentabilité sont faibles, il nous appartiendra sans doute d'agir nous-mêmes. Pour le reste, tout dépendra du résultat de la négociation.
J'en viens à la vidéo et à la HADOPI. Les professionnels du cinéma et de la musique reconnaissent que la HADOPI joue un rôle dissuasif en incitant les consommateurs à privilégier les sites d'offres légales. Pour leur faciliter la tâche, nous nous sommes mis d'accord pour labelliser autant que faire se peut les mêmes plateformes. Nous faisons confiance au marché pour se structurer et faire en sorte que les plateformes légales soient aussi faciles d'accès que celles qui ne le sont pas…
S'agissant de Free et de son comportement d'optimisation fiscale, la solution à apporter ne pourra être connue qu'au moment où la mission diligentée par les ministères des finances et de la culture rendra son rapport. La subtilité mise en oeuvre, qui consiste à dissocier l'offre audiovisuelle du forfait internet et téléphone, est de toute évidence artificielle puisqu'on ne peut accéder à la première sans contrat de double play. C'est une première orientation pour réfléchir à un mécanisme de sécurisation juridique. Sans doute faut-il cependant admettre qu'internet devient de plus en plus un média audiovisuel – les investissements dans la fibre et le très haut débit sont liés à la nécessité de faire circuler des images. Sur le plan fiscal, il serait donc logique de taxer sur une assiette très large et à un taux très bas. Mais nous n'en sommes encore qu'au stade de la réflexion à ce sujet.
La télévision connectée est un enjeu majeur. L'accès à internet sur les postes de télévision tend, ici encore, à en faire un média audiovisuel. La concurrence avec la régulation audiovisuelle traditionnelle est inévitable. Plusieurs scénarios sont possibles, et les colloques sur le sujet se multiplient. Il faut en tout cas agir. C'est ce que nous faisons en encourageant les écritures sur les nouveaux médias et en incitant ces derniers – comme le fait le décret sur les services de médias audiovisuels à la demande – à contribuer à la création en finançant ou en pré-finançant des oeuvres.
Un débat s'est instauré entre le Gouvernement et le CSA pour savoir jusqu'où il était possible d'aller dans la régulation sans prendre le risque d'une délocalisation de ces plateformes. Tant que les autres pays européens n'auront pas mis en oeuvre la directive qui permet d'imposer des obligations aux SMAD, nous ne pourrons en effet aller très loin dans cette voie.
Nous avons aujourd'hui des groupes français qui investissent dans des contenus à haute valeur ajoutée et créant un phénomène de fidélisation, qu'il s'agisse de cinéma ou de séries. Ainsi, Canal + investit dans des séries très coûteuses qui devraient permettre de rivaliser avec les séries américaines, y compris à l'exportation. Par ailleurs, des séries françaises se vendent déjà dans le monde entier. Il faut encourager les groupes audiovisuels – privés comme publics – à investir dans ces contenus de qualité qui peuvent s'exporter. Cela permettra de maintenir un vivier de consommateurs et de faire face à l'éventualité d'une arrivée en France de plateformes internationales vendant directement leurs séries aux consommateurs, comme cela se pratique aux États-Unis, où certains opérateurs pré-financent des séries, assorties de droits d'exclusivité. Ce phénomène nous inquiète : si les chaînes de télévision venaient à ne plus être les premiers financeurs de la création, la charge qui pèse sur le CNC serait inévitablement alourdie. C'est dans cette éventualité que le renforcement de nos financements est nécessaire.
C'est aussi parce qu'il faudra faire face à cette concurrence que le programme MÉDIA est si important. Nous ne sommes cependant qu'au début de la procédure. C'est pourquoi nous avons fait le choix, lors du festival de Berlin, de lancer un appel avec nos homologues européens pour insister sur la nécessité de renforcer les moyens du programme. Des pétitions ont également été lancées, puis des représentants de la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs – ARP – et des réalisateurs européens ont rencontré M. Barroso. Nous avons obtenu des déclarations encourageantes, mais les étapes les plus importantes restent à venir : la proposition de la Commission, puis le passage au Parlement européen – qu'il faudra aussi mobiliser – et enfin au Conseil des ministres. Nous devons donc rester vigilants.
Le risque d'engorgement dont s'inquiète le médiateur du cinéma est un problème récurrent. Le CNC avait donc proposé il y a deux ans d'organiser une concertation entre les distributeurs sur l'harmonisation des calendriers de sortie, mais ceux-ci n'avaient pas donné suite à la proposition. Cela n'a cependant pas empêché la fréquentation de se répartir sur un très grand nombre de films en 2010.
En ce qui concerne les multiplexes, nous n'avons pas de doctrine particulière. Leur implantation a permis d'augmenter le nombre de sièges de près d'un million en dix ou quinze ans, et donc de contribuer à l'augmentation de la fréquentation du cinéma, laquelle atteint les 206 millions de spectateurs. En outre, les engagements de programmation – qui visent à assurer la diversité de la programmation et qui ont été renouvelés en début d'année – couvrent aujourd'hui 50 % des salles. Le risque est alors celui qu'a évoqué M. Pajon : les petites salles redoutent désormais la concurrence des multiplexes sur les films d'art et d'essai. On ne peut cependant intenter tous les procès à la fois aux multiplexes. C'est donc au niveau de la commission d'implantation que nous veillons à préserver une harmonie, afin que les multiplexes n'écrasent pas l'offre de proximité. C'est également cette offre que nous souhaitons numériser en priorité : 125 millions d'euros sont prévus pour aider à la numérisation des petites salles.
Ce patrimoine qui va être numérisé peut être utilisé pour faire de la contre-programmation – ce que certains appellent de l'offre de cinéma de rattrapage – et de l'animation culturelle, de même que du hors film, que le ministre de la culture n'a pas voulu défavoriser lorsqu'il porte sur des oeuvres culturelles, comme l'opéra ou le théâtre. Cela permet de faire venir des auteurs ou d'augmenter le nombre des courts métrages. Bref, nous n'avons pas d'autre doctrine que la recherche d'une harmonie entre les multiplexes et les salles de centre ville.
Suite au rapport Hubac sur le développement des services de vidéo à la demande et la gestion des droits, qui nous a été remis en janvier, nous envisageons de nommer un médiateur pour parvenir à un nouvel accord collectif sur la question.
J'en viens au financement des festivals de cinéma, que le CNC a volontiers conforté dans la période récente. Nous avons la chance d'avoir un grand nombre de festivals en France, et, s'agissant du cinéma et de l'audiovisuel, ils comptent parmi les plus célèbres au monde, avec le Festival de Cannes pour le long métrage, celui de Clermont-Ferrand pour le court métrage et celui d'Annecy pour le film d'animation. Ils attirent des auteurs et des réalisateurs du monde entier, qui viennent chercher là leur première consécration, comme je l'ai constaté il y a encore quelques jours à Clermont-Ferrand. J'ai également observé que les plateformes internet permettent désormais de diffuser ces milliers de courts métrages à grande échelle.
Monsieur Maurer, les salles n'ont aucune obligation juridique de diffuser des courts métrages. Nous les encourageons à le faire, mais entre la publicité et le court métrage, le choix est parfois vite fait. En revanche, réserver des séances à la diffusion de plusieurs courts métrages s'avère un dispositif intéressant.
Nous réfléchissons d'autre part avec la société des réalisateurs de films à une opération de grande envergure qui pourrait s'appeler « le jour le plus court » et serait dédiée sur tous les écrans – télévision, cinéma, internet – au court métrage. Contrairement à une idée reçue, le court métrage n'a rien d'ennuyeux : il est aujourd'hui d'une grande variété, allant de la fiction au documentaire, et connaît un vrai dynamisme. Nous pourrions donc faire mieux. France Télévisions et Arte, par exemple, réservent une place au court métrage dans leurs grilles, mais souvent à des heures tardives.
J'en viens à la survie des métiers menacés par la numérisation. Le cinéma est depuis longtemps l'un des secteurs dont les modèles économique et technologique évoluent le plus vite. C'est inscrit dans ses gènes depuis le praxinoscope de la fin du dix-neuvième siècle. Nous avons même connu le lumicycle, projecteur de cinéma actionné par une bicyclette ! C'est désormais avec le numérique qu'on assiste à un foisonnement de technologies. Les métiers doivent donc évoluer très vite, et il y a un effort collectif de formation à réaliser. En même temps, il faut entretenir le patrimoine, y compris les matériels de projection – nous essayons actuellement d'acheter un appareil de projection de têtes d'épingle, technologie ancienne qui fut développée par M. Alexeieff.
Contrairement à ce qui s'est passé pour la musique, le 35 mm et le 16 mm ont assuré une certaine harmonisation – ou standardisation – depuis le début du vingtième siècle, qui a permis aux films sur support argentique de rester visibles – à condition d'être restaurés régulièrement. Avec le numérique se pose désormais la question de la pérennité. C'est pourquoi nous plaidons pour que la conservation des films continue à se faire sur support photochimique, même après la révolution numérique. Ainsi, les films tournés en numérique devraient être remis en 35 mm pour leur conservation aux archives du film.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le rapprochement entre TPS Star et Orange cinéma séries. Nous sommes attentifs, mais les discussions n'ont pas encore abouti. Les autorités de la concurrence et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) seront de toute façon saisis. Le CNC sera probablement consulté, et il ne manquera pas de faire valoir ses arguments en faveur du maintien de la diversité et du volume des financements apportés à la création. Vous savez par ailleurs qu'Orange intervient également dans le secteur du cinéma via sa filiale de coproduction et d'acquisition, Studio 37, qui a financé près de 30 films en 2010.
Je terminerai par le cinéma africain. Le Fonds Sud n'est pas dédié à l'Afrique, mais à tous les cinéastes de talent qui produisent un type de cinéma qui n'est pas financé dans leur pays. Nous souhaitons maintenir cette ouverture aux cinq continents. En revanche, nous envisageons avec le ministère des affaires étrangères – cofinanceur du Fonds – de distinguer à l'avenir deux collèges, l'un pour les auteurs d'un premier ou deuxième film et l'autre pour les auteurs confirmés, afin d'aider en priorité les premiers, notamment en Afrique.
Sachez également qu'en Afrique comme ailleurs, nous travaillons sur toute la filière, de l'écriture à la distribution. Les aides du CNC sont nombreuses, des aides à la distribution aux accords de coproduction qui permettent aux productions concernées d'être éligibles à toutes nos aides et de rentrer dans les quotas de diffusion des chaînes de télévision – les films étant souvent tournés en français. Nous renouvelons actuellement ces accords. Nous essayerons de présenter à Cannes un projet solide.
J'ajoute que l'inspection des affaires culturelles fera prochainement des propositions, dans le cadre d'une mission qui lui a été confiée, pour mieux coordonner les différents guichets existants – ceux du CNC, mais aussi du programme d'appui européen aux films des États de l'Organisation internationale de la francophonie ou de MÉDIA Mundus.