Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de éric Garandeau

Réunion du 29 mars 2011 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

éric Garandeau :

Monsieur le président, nous sommes très honorés d'être accueillis par cette commission prestigieuse. Je tiens à remercier sa présidente, Mme Tabarot, et l'ensemble de ses membres pour l'attention constante qu'ils témoignent à l'égard de notre politique culturelle en général et celle du cinéma et de l'audiovisuel en particulier. Nous avons pu le constater sur le dossier de la numérisation des salles de cinéma, puisque la proposition de loi votée l'année dernière, dans un climat de grand consensus, aura permis de faire en sorte que, dans les années à venir, aucune salle et aucune cinématographie ne soient laissées sur le bord de la route qui nous conduit à l'ère du tout numérique.

Au passage, je signale que l'année 2011 est une année historique : voilà 150 ans qu'était créée la bicyclette, mais aussi que naissait Méliès. La bicyclette et le cinématographe, ces deux inventions françaises – la seconde étant due aux frères Lumière nés peu de temps après Méliès –, ont transformé et continuent de transformer la vie de milliards de gens en leur permettant de voyager, au sens propre comme au sens figuré.

Comme vous le remarquiez à l'instant, les résultats du cinéma ont été excellents en 2010, qu'il s'agisse de la fréquentation des salles ou de la production agréée : plus de 206 millions d'entrées, soit une progression de 2,7 % par rapport à 2009, qui était déjà une année exceptionnelle. Ces résultats, supérieurs au niveau moyen des dix dernières années, constituent un record qui n'avait jamais été atteint depuis 43 ans, c'est-à-dire depuis 1967.

La part de marché du cinéma français a été un peu moins robuste que les années précédentes, mais son volume est très significatif : 73 millions d'entrées. La France est un des seuls pays à compter autant de spectateurs de ses films sur son sol qu'à l'étranger. Notre production s'exporte de plus en plus, sur des registres et des genres très différents, aussi bien des documentaires comme Océans, que des films d'auteurs comme Des hommes et des dieux ou des comédies comme Bienvenue chez les Chtis – film qui, décliné en Italie, fut le plus gros succès du box-office de ce pays.

La production cinématographique a été aussi très positive : 261 films agréés et 1,4 milliard d'euros d'investissements. Cela représente une activité économique très forte et un grand nombre d'emplois créés et soutenus. Ces très nombreux films sont bien financés, quelle que soit leur catégorie, notamment les « films du milieu », dont le budget varie entre 4 et 7 millions d'euros.

L'année 2010 a été marquée par d'importantes coproductions internationales et des sources de financement quasiment toutes en progression. Il ne s'agit pas forcément d'aller au-delà de ce chiffre, qui est très élevé et qui concerne à peu près un tiers du nombre de films diffusés en France. Mais c'est lui qui nous permet de maintenir notre part de marché à un niveau aussi soutenu, historique si on le compare à d'autres cinématographies.

On peut, à ce stade, mentionner l'effet très positif des mesures fiscales qui ont été votées par votre très bienveillante assemblée.

D'abord, le crédit d'impôt international. Il pourrait être qualifié de générateur d'impôt et d'activité. Une étude conduite sur l'exercice 2009 montre en effet que, pour un euro de crédit d'impôt versé, 11,30 euros de dépenses ont été réalisées en France et 3,60 euros de recettes fiscales ont été générées.

Ensuite, le crédit d'impôt national. Il continue d'être également très performant, même si son effet de levier – maintenir en France des tournages qui seraient menacés de délocalisation – est moins marqué que par le passé : d'abord, les budgets des films augmentent ; ensuite, d'autres pays comme la Belgique et le Luxembourg mettent en place des systèmes très attractifs. Certains parlementaires, dans les deux assemblées, avaient suggéré de relever le plafond de ce crédit d'impôt national au niveau du crédit d'impôt international, soit 4 millions d'euros. Une telle mesure permettrait certainement de mieux lutter contre ces délocalisations. Cela dit, on pourrait faire jouer d'autres leviers comme le périmètre des dépenses éligibles ou le barème de points.

Enfin, les sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (SOFICA). Ce dispositif permet à la fois de soutenir des productions risquées, qui ne trouvent pas toujours de relais auprès des chaînes de télévision, et de faire en sorte que ces films restent dans le marché. Vers la mi-mai, au moment du Festival de Cannes, le CNC sera en mesure de dresser un bilan de ce dispositif fiscal. Celui-ci devra par ailleurs être reconduit pour les trois prochaines années à l'occasion de la prochaine loi de finances ; vos voix seront alors précieuses.

J'en viens à l'audiovisuel.

Sur le marché publicitaire de la télévision, les chaînes historiques ont connu en 2010 une année de rattrapage, après une très forte chute forte au milieu de l'année 2008 et en 2009. Le secteur poursuit sa recomposition, les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) prenant inéluctablement une part d'audience de plus en plus forte : on s'achemine vers un pourcentage d'environ 25 %.

La production audiovisuelle aidée, qui a bénéficié du surcroît de recettes publicitaires des chaînes, a connu une progression de 8 % en 2010, tirée notamment par l'animation et le documentaire, deux secteurs particulièrement performants – y compris à l'international pour l'animation.

Le marché des télécommunications, qui n'a pas réellement subi les effets de la crise, contrairement au secteur audiovisuel classique, est également en pleine croissance. Mais nous en saurons plus lorsque nous disposerons de toutes les déclarations fiscales.

En dernier lieu, le marché de la vidéo, en déclin depuis au moins 2005, connaît une situation beaucoup plus difficile. Malgré tout, si l'on en croit les professionnels, les effets des lois HADOPI sont là. Ce marché s'est stabilisé et il est porté par la croissance du format haute définition (HD), le Blu-ray, ainsi que par la vidéo à la demande – celle-ci, qui représente aujourd'hui 10 % de parts du marché, confirme son décollage.

Quelles sont nos préoccupations ? Comme vous l'avez mentionné, nous pouvons nous interroger sur l'avenir des financements du cinéma et de l'audiovisuel, en raison notamment de la redéfinition de la taxe sur les services de télévision qui représente aujourd'hui plus des trois quarts des recettes du Centre.

En 2011, le fonds de soutien du Centre devra être logiquement conforté dans ses recettes, du fait des progrès structurels des marchés de la diffusion. Ce fonds permet d'alimenter nos programmes d'aide, lesquels doivent tenir compte de la multiplication des canaux de diffusion, et donc des besoins de production. Faute de quoi, tous ces canaux seront essentiellement parcourus par les productions étrangères, notamment américaines. Au moment où la transition numérique nécessite d'importants investissements, le niveau de ce fonds de soutien constitue un enjeu majeur sur lequel plane une forte incertitude.

Il faut savoir que la taxe spéciale additionnelle (TSA), qui est assise sur le prix des entrées en salle de cinéma et qui est une ressource mature, peut être sujette à des retournements de marché : la fréquentation des salles peut diminuer.

Les taxes sur la vidéo et la vidéo à la demande, malgré le rattrapage de la vidéo à la demande, peuvent être menacées de deux manières : par le piratage ou la délocalisation de plateformes dans des pays ayant une TVA à taux réduit, comme le Luxembourg.

Voilà pourquoi la taxe sur les services de télévision (TST) est vitale pour le soutien de la création. Elle concerne non seulement le marché hertzien, lui aussi mature, mais aussi et de plus en plus la distribution de services de télévision en mode payant, et devra, selon nos prévisions initiales, rapporter 583 millions d'euros. Or le rendement de cette taxe est aujourd'hui menacé dans la mesure où l'un des opérateurs de télécommunications a décidé, à la suite de la modification du taux de TVA sur les offres composites dans la dernière loi de finances, de dissocier son offre audiovisuelle du reste de l'abonnement au téléphone et à internet – qui s'appelait jusqu'à présent « triple play » – en en faisant baisser considérablement le coût, qui est passé à 1,99 euro. Cette pratique réduit en fait à néant le volume de la taxe qu'il devrait logiquement supporter et fait planer des incertitudes sur le rendement de la TST dès l'année 2011.

Nous nous réjouissons que les autres opérateurs n'aient pas emprunté cette voie qui ne nous semble pas refléter la réalité du marché de l'audiovisuel ni l'importance des services de télévision ni, plus généralement, de la vidéo sur internet. Reste qu'il faudra certainement sécuriser le régime de cette taxe dans une prochaine loi de finances – si possible la prochaine. C'est le sens de la mission conduite en ce moment par l'inspection des finances et l'inspection des affaires culturelles.

Je rappelle que les distributeurs de chaînes payantes représentent 5,7 millions d'abonnés et contribuent au compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) de façon tout à fait significative. Quant aux fournisseurs d'accès, qui représentent 22 millions d'abonnés, ils devraient contribuer à la hauteur de cette puissance économique, au nom du principe selon lequel tous ceux qui font, directement et indirectement, le commerce de la diffusion d'images doivent contribuer à leur financement. Ce principe fait d'ailleurs de plus en plus d'émules à l'étranger : de nombreux pays se sont dotés, ou sont en train de se doter, de l'équivalent d'un compte de soutien pour financer la création.

En ce qui concerne la numérisation des salles de cinéma, entreprise à la suite de la loi que vous avez votée, elle connaît déjà un grand succès : fin mars 2011, 2 182 écrans sont numérisés, soit 40 % des écrans dans 585 cinémas, soit encore 28 % des établissements. Nous sommes les premiers en Europe, et probablement très bien placés dans le monde.

Ce succès est dû à la combinaison réussie de trois outils. Premièrement, la mise en oeuvre, en vertu de la loi que vous avez votée, du principe de la « contribution numérique » des distributeurs à l'investissement des exploitants – le comité de suivi prévu par la loi sera bientôt mis en place, le décret correspondant venant d'être publié.

Deuxièmement, l'aide sélective qu'accorde le CNC à la numérisation des salles qui ne peuvent pas s'équiper elles-mêmes. Ce dispositif concerne environ un millier d'établissements de trois salles maximum, qui, par leur type de programmation ou de configuration, ne peuvent obtenir de contributions des distributeurs. Lors des deux sessions d'aide du 15 décembre 2010 et du 15 février 2011, 69 dossiers ont été aidés correspondant à 77 écrans de 17 régions différentes, l'aide totale accordée étant de 3,6 millions d'euros. Nous traitons actuellement 585 dossiers et nous pouvons donc anticiper une montée en charge assez rapide de la procédure pour la prochaine session, qui aura lieu le 19 avril.

Troisièmement, les recommandations du comité de concertation permettent d'encadrer techniquement les discussions entre les distributeurs et les exploitants sur cette question de la contribution numérique. Les cinq recommandations formulées jusqu'à aujourd'hui permettent de maintenir un dialogue serein entre distributeurs et exploitants.

On peut penser raisonnablement que l'essentiel des salles sera numérisé d'ici à la fin 2012. Au moment où les films eux-mêmes sont dématérialisés, toutes les salles, y compris les plus petites – lesquelles jouent un rôle d'animation culturelle – ont absolument besoin de cette numérisation, qui permet une bien plus grande flexibilité de programmation.

La numérisation des salles va, bien entendu, avec la numérisation des oeuvres, films nouveaux ou oeuvres de patrimoine. Pour les films qui sortent aujourd'hui sur le marché, cela est à peu près acquis, puisque l'essentiel des films est post produit en numérique. La numérisation des oeuvres de patrimoine constitue un enjeu très fort, que ce soit pour la culture française ou pour la culture européenne et internationale ; la demande du public est d'ailleurs élevée, comme en témoigne le succès de l'exposition Kubrick à la Cinémathèque française. L'action du CNC, associée à celle du Grand emprunt, va permettra de procéder à une numérisation en masse de ces oeuvres, et ainsi améliorer leur diffusion ou leur rediffusion.

Nous sommes extrêmement vigilants sur la qualité du support, c'est-à-dire sur le format du fichier à utiliser pour la numérisation. Le CNC a missionné la commission supérieure technique (CST) sur le sujet. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que sera recommandée la norme 2K, sachant qu'elle permet une exploitation de bonne qualité dans les salles de cinéma et que le marché de la HD va se transformer en marché du 2K, tant pour les salles de cinéma que pour la télévision ou la vidéo. Le CNC recommandera également aux équipes du Grand emprunt d'exiger cette norme.

Reste à déterminer la bonne complémentarité entre les financements apportés par le Grand emprunt et ceux qui seront apportés par le CNC. Nous considérons que l'enveloppe des 750 millions d'euros qui a été réservée dans le cadre du Grand emprunt pour la numérisation des oeuvres de l'esprit – films, livres, archives de presse – doit être mobilisée en priorité, puisque c'est sa vocation. Toutefois, comme une partie des catalogues ne répondra peut-être pas aux critères de rentabilité qui sont exigés par le Commissariat général à l'investissement – chargé de veiller à l'utilisation des fonds du Grand emprunt, il doit agir en investisseur avisé – et par la Caisse des dépôts et consignations, qui instruit les dossiers, nous serons sans doute obligés d'intervenir en complémentarité.

La numérisation des salles et des oeuvres représente à peu près un demi-milliard d'euros. Un inventaire national prenant en compte de façon exhaustive les fichiers d'oeuvres dans leur état matériel et leur état juridique devrait nous permettre, dans les dix-huit mois qui viennent, d'établir avec plus de précision l'étendue des besoins, mais on sait qu'ils sont très importants si l'on prend en compte à la fois les longs métrages, les courts métrages, le film et le hors film. Il s'agit d'oeuvres de qualité qui méritent d'être redécouvertes et rediffusées.

Par ailleurs, nous conduisons à l'égard de la production et de la distribution cinématographiques un exercice de transparence équivalent à celui qui avait été conduit entre les auteurs et les producteurs. Sans doute avez-vous suivi les travaux du Club des treize, le rapport Bonnell, la médiation conduite par Roch Olivier Maistre, l'accord sur la transparence signé à la fin de l'année dernière et le décret sur le fonds de soutien, publié il y a un mois et qui améliore la situation des producteurs délégués. Aujourd'hui, nous poursuivons cet exercice de transparence et de réexamen des besoins de la filière pour établir des références communes dans la relation entre les producteurs d'une oeuvre et l'aval : distributeurs en salle, en vidéo, vendeurs des droits télévisés, agents de vente internationale… Nous souhaitons aussi mieux accompagner l'exportation de nos oeuvres, notamment cinématographiques.

Dans le domaine de l'audiovisuel, de nombreux chantiers sont ouverts, notamment en matière de fiction et de séries. Nous espérons non seulement être plus performants sur le marché national, très concurrencé par les séries américaines, mais aussi conquérir le marché international. Quelques grands acteurs privés, mais aussi France Télévisions et Arte, étudient la question, qui passe par un travail sur l'écriture, la réécriture, et le développement des oeuvres. Nous avons commandé des rapports, notamment celui de M. Pierre Chevalier sur la fiction, dont nous allons mettre en oeuvre les conclusions.

Nous soutenons également les écritures transmédia, que ce soit sur la fiction, le documentaire ou d'autres genres, car elles contribuent au renouvellement de l'écriture et du vivier des auteurs. Le CNC et Arte, qui ont souvent travaillé main dans la main, ont mis en place il y a trois ans un système d'aide sélective, avec un certain succès public. France Télévisions est également en train de s'emparer de ces oeuvres transmédia. Le décret « web COSIP » étendant le bénéfice du soutien financier à la production notamment pour internet devrait sortir dans les prochains jours.

Nous nous intéressons par ailleurs au développement des nouvelles plateformes de vidéo à la demande et à l'amélioration de leur référencement sur la télévision par internet : plus de 90 % du volume d'affaires et de la consommation de la vidéo à la demande se fait via les fournisseurs d'accès. Or la très grande diversité des plateformes de vidéo à la demande – plus de 50 en France – ne se retrouve absolument pas sur les boîtiers internet. Le rapport de Mme Sylvie Hubac contient des propositions, y compris législatives, pour améliorer ce référencement.

Nous réfléchissons au soutien automatique et sélectif aux plateformes de vidéos à la demande. Nous essayons de convaincre la Commission européenne que ce sont des sujets culturels et que les productions françaises et européennes doivent absolument être disponibles sur ces plateformes. Faute de quoi, nous perdrons la bataille culturelle, compte tenu du lien très étroit entre les oeuvres et les plateformes. L'enjeu est donc fondamental.

Il faudra conduire des concertations professionnelles, afin que la gestion des droits soit la plus efficace possible. Sur ce sujet également, le rapport Hubac contient des préconisations, qui seront soumises à concertation.

Il conviendra en outre de continuer à travailler sur la chronologie des médias, même si, grâce à la loi de 2009, celle-ci a déjà été adaptée, sans remettre en cause le lien fondamental existant entre la chronologie et le préfinancement des oeuvres. Dans ce domaine délicat, nous avons plutôt un rôle de médiateur entre les professionnels.

Je terminerai sur deux sujets liés à l'international.

Le ministre de la culture, qui s'est rendu récemment à Ouagadougou, a été très attentif au soutien aux cinématographies des pays d'Afrique Nous réfléchissons à l'amélioration de nos dispositifs, que ce soit via le Fonds Sud, dont nous allons d'ailleurs changer l'appellation, ou d'autres mécanismes de coopération, notamment les accords de coproduction.

Par ailleurs, nous nous inquiétions de l'avenir du programme européen MÉDIA, mais le président de la Commission européenne a fait des déclarations rassurantes à ce sujet. Nous devrons malgré tout rester très vigilants sur la poursuite de ce programme au-delà de 2013. Cela se jouera dans l'année qui vient.

En conclusion, la révolution numérique est l'enjeu le plus important pour le Centre, dans la mesure où se trouvent concernées toutes les industries culturelles qui font partie de notre périmètre d'action. Parmi celles-ci, je n'ai pas eu l'occasion de parler du jeu vidéo, qui fait partie de notre « nouvelle frontière », mais j'indique que nous discutons en ce moment avec la Caisse des dépôts et avec l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) du moyen d'améliorer le soutien que nous apportons à cette nouvelle industrie très créative. Mais notre préoccupation majeure est aujourd'hui de conforter notre capacité d'intervention financière – et donc la taxe sur les services de télévision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion