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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 31 mars 2011 à 15h00
Application de la loi hôpital patients santé et territoires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, presque deux ans après l'adoption de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, il était temps que la représentation nationale dressât un premier bilan de ce texte qui, au moment de son examen, avait suscité tant d'oppositions et de mécontentement au sein de la communauté hospitalière publique.

Nos collègues du Sénat se sont déjà réunis il y a un an et ont réalisé un premier audit de l'application de cette loi. L'Assemblée nationale ne pouvait pas continuer plus longtemps à faire l'économie d'un débat sur ce texte qui a profondément remis en cause le service public de la santé, tel qu'il avait été défini par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

J'ai à l'instant parlé d'« audit » et je l'ai fait à dessein, puisque depuis cette loi malheureuse les hôpitaux publics ont été remplacés par des « établissements hospitaliers » ; les patients, usagers du service public, sont devenus, comme à La Poste, chez EDF ou France Télécom, de simples « clients » et désormais, en France, pour se faire soigner correctement, il vaut mieux présenter sa carte bleue que sa carte Vitale !

Je salue donc l'initiative de nos collègues du groupe SRC qui ont souhaité mettre le débat sur ce texte à l'ordre du jour. Je note qu'avant-hier, la commission des affaires sociales a examiné une proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade, notre collègue du Sénat, modifiant certaines dispositions de la loi HPST relatives à la médecine de ville, vidant de son contenu une des seules parties de la loi que nous aurions souhaité conserver.

Je m'étonne que nos collègues aient eu à se prononcer en commission sur des propositions visant à modifier la loi HPST, alors même qu'aucun débat n'avait encore eu lieu dans l'hémicycle et que le rapport du comité chargé du suivi de la réforme de la gouvernance des hôpitaux, dont Jean-Pierre Fourcade est président, n'est même pas encore paru, comme le prévoyait pourtant l'article 35 de la loi HPST.

Deux ans après l'adoption de la loi, force est de constater, madame la secrétaire d'État, que les craintes exprimées par mon groupe de la Gauche démocrate et républicaine au moment de l'examen du projet de loi de Mme Bachelot ont été confirmées. En 2009 déjà, le malaise des hôpitaux publics était grand. Deux ans plus tard, la situation est pire encore : l'engorgement des services des urgences s'est accentué, les délais pour obtenir un rendez-vous à l'hôpital se sont allongés, les dépassements d'honoraires ont augmenté, la permanence des soins est de moins en moins assurée et la désertification médicale s'est accélérée.

Au lieu de renforcer notre système de solidarité sociale, vous l'avez fragilisé ; au lieu de garantir à tous l'accès à des soins de qualité, vous avez institué une santé à plusieurs vitesses où les plus riches sont les mieux soignés et où les plus pauvres sont dépossédés de leur droit constitutionnel à la santé.

Enfin, au lieu de promouvoir l'efficacité de notre système de soins, que le monde entier nous enviait, vous avez organisé le démantèlement du service public hospitalier et la privatisation de notre système de santé en contractualisant notre service public de la santé.

Partout, une même logique – celle de votre gouvernement, madame la secrétaire d'État – est à l'oeuvre ; une logique dans laquelle l'exigence de rentabilité et la réduction à tout prix des dépenses publiques ont pris le pas sur l'exigence de qualité des soins et les besoins réels de la population.

Jean Rostand, Charles Foix, Armand Trousseau, Louis Pasteur, Claude Bernard, Laennec, Paul Brousse, Nicolas Beaujon, Xavier Bichat, Albert Chenevier ou encore Henri Mondor, tous ces éminents savants, que vous connaissez par coeur, madame la secrétaire d'État, puisque vous êtes vous-même médecin, ont contribué au progrès de la médecine. La nation, reconnaissante et bien inspirée, a logiquement choisi de donner leurs noms illustres à ses plus grands hôpitaux.

Mais la loi HPST et la stricte orthodoxie budgétaire qui l'accompagne font peu de cas de l'histoire de la médecine française et de ses pères fondateurs. Les fusions, les transferts d'activités, les fermetures de lits et la réduction de l'offre de soins qui se sont accélérés ces deux dernières années menacent, désormais, l'existence même de ces centres hospitaliers dont la renommée internationale et la compétence des équipes médicales qui les composent ne sont pourtant plus à établir.

C'est avec cette tradition du service public de la médecine, chère au professeur Robert Debré, que vous avez décidé de rompre, poussant ce faisant son petit-fils sur le pavé de Paris – bien qu'UMP, lui au moins a une âme, une âme républicaine et il défend la santé publique. Vous êtes vous aussi, paraît-il, disciple d'Esculape, madame la secrétaire d'État, mais on voit bien qu'il existe deux catégories : les infidèles au serment d'Hippocrate, comme vous, et les fidèles, comme lui. Je vous invite à renouer avec cette fidélité qui honore tous les médecins, n'est-ce pas, mon cher collègue Rolland ?

Comme le disait fort opportunément notre collègue Jacqueline Fraysse, la loi HPST constitue un « véritable coup de poignard dans le coeur des établissements publics ».

Le cas de l'hôpital Trousseau est révélateur du coup terrible que cette loi porte au service public de la santé et à la recherche médicale. La restructuration en cours à l'AP-HP, conséquence de la loi HPST, prévoit, en effet, le démantèlement de ce pôle hospitalo-universitaire de pointe dont les services de pédiatrie spécialisée vont être déménagés vers les deux autres hôpitaux pédiatriques parisiens sans que ceux-ci ne disposent de la capacité d'accueil correspondante. Comme nous nous en étions déjà émus avec vingt-huit de nos collègues, de gauche comme de droite, dans une lettre ouverte adressée en septembre 2010 à Benoît Leclerq, alors directeur général de l'AP-HP, ce démantèlement aura pour conséquence de désarticuler des équipes de recherche dont le prestige dépasse largement les frontières de la France et altérera gravement l'enseignement dispensé à la faculté de médecine de l'université Paris VI, seule université française à figurer dans le classement de Shanghai – et c'est précisément à cette université que vous allez porter un coup terrible. L'encadrement de plus de 2 800 étudiants issus des filières médicales et paramédicales ne pourra plus être assuré correctement et de nombreuses unités de recherche disparaîtront. Les praticiens et les chercheurs de l'hôpital ont dénoncé de façon unanime l'hérésie médicale, universitaire et budgétaire de ce projet.

Comme à Juvisy, à Clamecy, chez notre collègue Rolland, à Suresnes ou à Saint-Affrique, vos redéploiements n'ont qu'un but : redessiner une carte hospitalière conforme aux exigences de rentabilité et apte à satisfaire l'appétit des groupes d'hospitalisation privée qui, comme la Générale de santé, peuvent ainsi se repaître de leurs deux milliards d'euros de chiffre d'affaires chaque année.

Dans votre chasse effrénée aux coûts, pas un hôpital public n'est épargné. Les CHU d'Amiens, de Nantes ou de Nancy, ont perdu chacun 500 postes ces deux dernières années. Et quand vous ne supprimez pas de postes, vous multipliez les activités nouvelles – plus de vingt au CHU de Lille – sans créer les emplois correspondants, obligeant les personnels à des redéploiements internes permanents.

Les conséquences de ces redéploiements arbitraires décidés sans consultation de la communauté hospitalière sont, désormais, bien connues. La déstabilisation de ces professionnels, déplacés sans égard pour leurs compétences, et la dégradation générale de leurs conditions de travail ont entraîné une explosion de l'absentéisme et une multiplication du nombre d'arrêts et d'accidents du travail qui renouent avec les chiffres records antérieurs à 2002.

Ces deux dernières années, à l'hôpital André Grégoire de Montreuil, ce sont 30 % des lits qui ont été fermés par manque de personnels, quatre chefs de service qui sont partis et deux unités de médecine qui ont été condamnées alors même que l'hôpital est, en termes d'activité, parmi les premiers d'Île-de-France, le deuxième pour la périnatalité après Cochin, qu'il connaît une progression impressionnante de la cardiologie et que ses services d'urgence ne désemplissent pas – 70 000 patients reçus par an.

À Montreuil comme ailleurs, le malaise, la démoralisation sont grands dans cette communauté médicale et, plus largement, dans cette communauté hospitalière, qui se sent abandonnée et mise à l'index parce qu'elle coûterait trop cher.

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