Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La révolution sociale sera morale ou elle ne sera pas ». Cette affirmation du socialiste Charles Péguy reste toujours d'actualité, un siècle plus tard.
Le profond malaise de la société française, bien analysé dans le dernier rapport du Médiateur de la République, s'est exprimé avec éclat lors des élections cantonales. Ce malaise provient de la précarité grandissante qui concerne une part importante de la population, dont les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Sous cet aspect, c'est bien une révolution qui s'impose pour réduire les inégalités sociales, tant elles sont fortes.
Mais la réponse économique et sociale ne suffira pas. Quand on voit la défiance grandissante entre les citoyens et les élus locaux ou nationaux, on se dit qu'il n'est pas de redressement possible dans notre pays, sans rétablissement de la confiance du peuple envers ses représentants. Mais pour retrouver la confiance des citoyens, il importe que les responsables politiques accordent à la morale, et surtout pas au moralisme – à l'éthique, si vous préférez ce terme, Robespierre parlait lui de vertu et Péguy de mystique –, la place prépondérante qui devrait être la sienne dans l'action publique. Comme l'écrivait Léon Blum dès 1919 : « Le socialisme est une morale, presque une religion. » Cette dimension éthique sans laquelle il n'est pas d'action publique digne de ce nom est exigeante, car elle implique une exemplarité difficile à vivre dans une société qui place l'argent au centre de ses références.
De ce point de vue, l'année 2010 a été riche d'épisodes de déviances concernant les rapports entre l'argent et la vie publique. Malheureusement, les réponses apportées, ou plutôt les réponses non apportées, les attitudes ambivalentes ont encore aggravé la coupure entre le peuple et ses représentants, favorisant ainsi les populismes anti-démocratiques.
Les textes dont nous discutons ce soir en fournissent une nouvelle illustration et je prendrai deux exemples.
En 1988, un début de législation sur le financement de la vie politique est mis en place. Elle sera heureusement complétée en 1990, 1993 et 1995. Il s'agit tout d'abord de faire la démonstration que la vie politique n'enrichit pas les élus. À cet effet, une obligation de déclaration de patrimoine est instituée en début et en fin de mandat, afin d'apprécier les variations éventuelles de patrimoine. Une commission composée de hauts magistrats est chargée d'analyser ces évolutions.
L'intention est louable, mais les modalités de mise en oeuvre font apparaître les insuffisances ou l'hypocrisie de la démarche, puisque la commission n'a aucun moyen d'apprécier ces évolutions. Elle n'a pas connaissance des revenus des intéressés, qui sont pourtant indispensables pour apprécier les modifications patrimoniales. Pire ! lorsque des déclarations sont sciemment inexactes et que le dossier est transmis à la justice, cette dernière ne sanctionne pas, faute d'une législation adaptée.
Dès 1993, la commission signale ces insuffisances. Il faudra attendre dix-sept ans, pour que le Parlement soit saisi de cette question, en y apportant les réponses, ou plutôt les non-réponses que l'on connaît.
Ainsi, la majorité est aujourd'hui satisfaite d'avoir institué une incrimination pénale en cas de fraude manifeste concernant la déclaration de patrimoine en soulignant la nouveauté de cette incrimination, réclamée quand même depuis huit ans, et la lourdeur de la sanction éventuelle.
Mais, mes chers collègues, au regard de la morale en politique, la question qui se pose est tout à fait différente. Pourquoi un simple vol de mobylette est-il passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende – il s'agit bien sûr du maximum – alors que l'on refuse la même sanction pour un parlementaire qui fraude et dissimule son patrimoine au mépris de la loi ?