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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 23 mars 2011 à 21h30
Débat sur l'actualité de l' espace schengen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, ce débat sur l'espace Schengen arrive à point nommé pour porter un regard politique.

Si la dynamique des révoltes des populations de l'Afrique du Nord rayonne dans le monde entier et donne espoir et courage, elle oblige l'Union européenne à repenser la nature de ses relations avec ces pays et, plus largement, avec l'ensemble du continent africain ; mais elle nous oblige aussi à regarder en face cette Union qui est loin d'être si unie qu'elle l'avait affirmée lors de son installation.

Ce qui se joue aujourd'hui au sud et à l'est de la Méditerranée est comparable en intensité à la chute du mur de Berlin ou à la décolonisation et nous devrions être assez lucides pour mesurer toute la complexité de ce processus qui a contre lui de nombreux adversaires, dont plusieurs États de l'Union européenne. Pourtant, le devoir de cette même Union était de soutenir clairement les peuples au nom de valeurs dont elle aurait dû se souvenir qu'elle était la gardienne.

Les peuples qui se sont soulevés ont réussi ou vont réussir à mettre fin à des régimes autoritaires qui semblaient, avec l'appui de gouvernements occidentaux, inébranlables. La Tunisie était même complimentée par le Fonds monétaire international, qui la qualifiait de meilleur élève du continent africain et invitait les autres pays à suivre son exemple.

Je n'aborderai pas les relations coupables de la France avec ce régime qui a tué, emprisonné, bâillonné, terrorisé et qui n'a jamais trouvé à redire à ces violations massives des droits humains. Ce silence coupable engage la responsabilité de notre pays.

Les luttes menées par ces peuples trouvent leurs racines dans la pauvreté, dans la répression, dans l'absence de perspectives ouvertes à la majorité des jeunes diplômés, mais aussi dans leur détermination politique à bénéficier de leurs ressources naturelles. Ces aspirations aux mêmes droits pour tous, à l'autonomie et à une meilleure répartition de la richesse économique se reflètent aussi dans le nouveau départ d'embarcations vers l'Europe, aujourd'hui, à partir de la Tunisie, mais, depuis des années, à partir du nord et de l'ouest de l'Afrique.

Se saisir de la liberté de circulation et émigrer à la recherche d'une vie meilleure est un droit. Pourtant, face à ce besoin de vivre dignement, les responsables politiques occidentaux et les instances européennes osent exposer, dans des scénarios d'invasion, l'immense menace que représenteraient les mouvements migratoires venant ou passant par l'Afrique du nord, dénoncent « les flux migratoires incontrôlables » et appellent à mobiliser d'urgence l'agence européenne de surveillance des frontières, FRONTEX. Ils sont relayés par les experts et les services diplomatiques, qui n'ont rien vu venir des mouvements politiques en cours, mais qui ne craignent pas aujourd'hui d'affirmer que des milliers de migrants risquent de déferler sur les territoires européens.

L'Union européenne a adopté, en 2001, un dispositif dit de « protection temporaire » pour les ressortissants d'États qui, victimes d'une catastrophe naturelle, de troubles politiques dans leur pays ou de conflits armés, auraient un besoin urgent de trouver un abri en Europe. Cependant « à l'heure actuelle, il n'y a pas de flux de réfugiés en provenance de Libye », s'est empressée d'indiquer la Commission européenne. Dans le même temps, elle envoie des patrouilles sur ses frontières maritimes, via FRONTEX, pour empêcher les réfugiés potentiels, assimilés à des migrants clandestins, de traverser la Méditerranée.

Pourtant, combien y a-t-il de témoignages de migrants pour dire ce qu'ils subissent aux frontières tunisiennes, mais aussi en Libye où ils sont injustement assimilés à des mercenaires ! Pourtant, la situation s'aggrave de jour en jour en Libye et à ses frontières, et la guerre menée n'arrangera rien ! En Tunisie, où affluent des dizaines de milliers de réfugiés, le dispositif est saturé malgré les efforts déployés par les autorités locales.

L'Europe ne peut pas continuer à faire comme si elle n'était pas concernée par le sort de dizaines, de centaines de milliers de personnes qui ont besoin de protection dans les pays actuellement troublés, ni par celui des migrants originaires de divers autres pays arabes, africains, asiatiques, qui y résident.

Il n'y a pas si longtemps, l'Europe se targuait de déployer « une politique euro-méditerranéenne ». Cette ambition aurait-elle volé en éclat, au moment même où plusieurs des nations potentiellement partenaires de cette Euro-Méditerranée sont en voie de devenir des démocraties ? Ces nouvelles démocraties considèrent déjà que devront être revus les objectifs et la méthode de l'Union pour la Méditerranée

Au lieu de décider de politiques de plus en plus xénophobes qui violent l'ensemble des droits fondamentaux, l'Union européenne devrait prévoir l'accueil sur le territoire européen des réfugiés qui ne peuvent rentrer dans leurs pays, mettre en oeuvre sans plus attendre un dispositif permettant d'accorder la protection temporaire à tous ceux qui, dans la situation d'urgence où ils sont, peuvent légitimement s'en prévaloir, mais surtout mettre un terme aux patrouilles de FRONTEX qui empêchent l'arrivée des réfugiés par la mer.

Par ailleurs, les États de l'espace Schengen doivent cesser de nourrir la peur des populations européennes en brandissant systématiquement le spectre de « 1'invasion » et cesser de considérer comme une priorité d'empêcher l'immigration en provenance de territoires troublés. En fait, si l'espace Schengen est bien une porte pour la plupart des citoyens des États de l'Union, cela n'est pas vrai pour certaines populations, notamment celle des Roms. La France n'a-t-elle pas été accusée de discrimination raciale à leur égard ? Ainsi, la porte est ouverte pour certaines populations européennes mais se transforme en mur pour d'autres. Et le fameux accord de Schengen contribue à renforcer la clandestinité de nombreux ressortissants étrangers.

Qui plus est, il n'y a aucun accord de régularisation entre les différents États de l'espace ni aucune politique commune à ce sujet. Dès lors, les personnes non autorisées qui arrivent à entrer dans l'espace sont dans l'obligation de se cacher. Le scandale ne s'arrête pas là. Combien de citoyens du continent africain ou du Moyen-Orient ne parviennent-ils pas à obtenir, malgré un dossier complet et des références, un visa pour entrer en Europe, et ce quelle que soit la raison ? Les services consulaires trouvent toujours un argument pour refuser le visa, mais la véritable raison est la peur fantasmée de l'autre. Combien d'artistes n'ont pu honorer leur contrat, combien de malades ont vu leur état empirer, combien de familles n'ont pu se réunir pour un mariage ou des obsèques ? Autant de peurs en contradiction avec les valeurs que portent à la fois la démocratie et le respect des droits humains.

Sur le plan de la politique étrangère se manifeste aussi une véritable désunion au sein de l'Union européenne. Il n'est qu'à regarder la question de la Libye. La France a préféré la violence et la guerre à la recherche de moyens pour maintenir la paix et la sécurité internationale. Autant de raisons de remettre le système multilatéral onusien en cause.

Dès lors, comment interpréter l'abstention de l'Allemagne, du Brésil, de l'Inde, de la Chine et de la Russie ? Surtout, comment interpréter le silence de l'ONU et de l'Union européenne, particulièrement de la France, lorsque les troupes saoudiennes intervenaient contre la population bahreïnie ou alors que la population yéménite est menacée ? Et je ne reviens pas sur le sort des Palestiniens pendant la guerre de Gaza et lors d'événements récents qui ont d'ailleurs, à nouveau embrasé la région et relancé le terrorisme. À cet instant, j'ai une pensée pour toutes les victimes palestiniennes et israéliennes de cette situation, qui ne suscite pas de position politique volontaire de la communauté internationale ni de position politique courageuse de l'Union européenne.

Faut-il y voir l'expression du cynisme des grandes puissances occidentales qui ne voudraient, en cette occasion, que tenter de reprendre la main sur la région, riche en pétrole, et d'imposer le modèle démocratique sans prendre en compte les aspirations des peuples ?

La France aurait dû, au lieu de favoriser une possible balkanisation de la Libye, analyser la position de l'Allemagne et oeuvrer pour que l'Union européenne soit enfin unie sur une position commune soutenant le peuple libyen, mais aussi signifiant sa solidarité avec la lutte de tous les peuples arabes qui aspirent à un changement de paradigme.

Pour l'instant, l'espace Schengen n'est qu'un espace profitable à une économie de marché qui broie les citoyens, en exclut une grande partie, en précarise la majorité et oblige de nombreux migrants à vivre en marge. Dès lors, cet espace, contrairement aux effets d'annonce, n'est qu'un espace financier, militarisé à des fins de domination et d'aliénation des populations. Les citoyens européens ne veulent pas de cet espace, reflet d'une vieille Europe qui n'en finit pas de mourir et qui refuse d'entendre les aspirations des peuples à une vie meilleure, fondée sur la solidarité, une meilleure répartition des richesses et le respect et de l'ensemble des droits humains.

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