Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, depuis leur adhésion à l'Union européenne, en 2007, il y a quatre ans, la Roumanie et la Bulgarie ont entrepris les vastes réformes qui leur avaient été demandées pour satisfaire pleinement tous les critères de leur appartenance à l'Union.
On peut, certes, s'étonner que ces deux nations européennes aient pu adhérer à l'Union, alors même qu'il apparaissait que certaines difficultés ne seraient réglées que par la suite. Ce fut cependant une décision pleinement assumée politiquement par tous les pays de l'Union, dont évidemment le nôtre. J'étais alors, au titre de la délégation aux affaires européennes de l'époque, rapporteur du processus d'adhésion de la Bulgarie, et notre collègue Jacques Myard l'était pour la Roumanie. Nous avions approuvé cette démarche, tout en soulignant la nécessité de nombreuses réformes non encore abouties.
Depuis lors, la Roumanie et la Bulgarie ont fait l'objet de nombreuses missions d'observation ayant pour but de vérifier la mise en oeuvre de ces réformes, destinées à répondre aux exigences européennes dans les domaines administratif et judiciaire. À ce jour, des progrès notables ont été accomplis, mais il n'en demeure pas moins que le processus n'est pas arrivé à son terme ; dans une certaine mesure, des lacunes persistent.
Si, mes chers collègues, je vous rappelle ces faits, c'est pour vous indiquer d'emblée que ces difficultés, connues et reconnues, concernent le volet de l'adhésion de ces deux nations à l'Union européenne et, à ma connaissance, rien d'autre que cela. Or, aujourd'hui, nous sommes réunis pour débattre et échanger à propos du dossier d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, non pas à l'Union européenne, mais à l'espace Schengen, prévue à l'origine pour intervenir maintenant, au mois de mars 2011.
Cet acquis de Schengen, pour lui-même et pour toutes ses conséquences dans la relation de confiance qu'il implique entre les États participants, répond à des critères spécifiques, qui fondent cette confiance et dont le respect autorise – ou non – l'adhésion à l'espace Schengen.
La convention de Schengen – qui peut d'ailleurs être ratifiée par des pays qui ne sont pas membres de l'Union, comme aujourd'hui la Suisse et la Norvège, et qui n'est pas ratifiée par certains pays membres de l'Union, comme le Royaume-Uni – a ses règles propres auxquelles doivent se conformer les États adhérents. Ce sont ces critères, dans différents chapitres, qui sont évalués par les experts des États membres afin de déterminer la pertinence de telle ou telle adhésion. L'adhésion est acceptée en cas de conformité aux critères ; elle est refusée dans le cas contraire.
Si nous sommes réunis à ce propos, c'est que nous arrivons au terme de l'examen de ces critères par la Commission européenne et par le conseil européen ; les États devront donc bientôt se prononcer sur l'aboutissement de l'acte d'adhésion.
Le conseil des ministres européens « Justice et affaires intérieures », réuni le 24 février dernier, a pris acte que si la Roumanie avait bien achevé d'intégrer l'ensemble des critères préalables, la Bulgarie devait compléter un dernier chapitre concernant sa frontière terrestre.
Du fait d'un accord existant entre la Roumanie et la Bulgarie pour entrer ensemble dans l'espace Schengen, cette situation renvoie l'adhésion effective de ces deux nations à une date ultérieure, mais toutefois proche puisque la Bulgarie met la dernière main au règlement de ses difficultés qui devront être réévaluées très rapidement, dans le courant du mois d'avril.
La question que nous devons nous poser, au vu des débats qui ont été amorcés, est tout bonnement celle de la pertinence de ces adhésions. Certains États, dont la France et l'Allemagne, ont d'ailleurs manifesté publiquement des réticences. Nous sommes là pour les évoquer et apporter notre point de vue sur leur fondement.
Quelles sont-elles ?
Ainsi que je l'ai rappelé au début de mon intervention, la Bulgarie et la Roumanie font l'objet d'un processus de coopération et de vérification afin de faire évoluer leur système administratif et judiciaire dans le sens des préconisations de l'Union. Or ce sont ces critères qui ne sont pas encore parfaitement atteints qui sont mis en avant pour manifester une réticence à l'adhésion à l'espace Schengen.
Pour autant, je vous le dis avec force, mes chers collègues, ces difficultés indéniables ne sont pas exactement évaluées et ne font surtout pas partie des critères d'adhésion à l'espace Schengen, qui résultent des travaux du conseil. Aussi l'apparition de conditions nouvelles évoquées par certains États membres ne manquent-elles pas de susciter des commentaires qui ont leur pertinence.
Les critères peuvent-ils être à géométrie variable suivant l'État qui frappe à la porte ? Peut-on invoquer, pour rejeter une adhésion, des critères qui ne figurent pas dans les traités, et qui n'ont pas été évalués lors de l'adhésion d'autres États ? Y aurait-il deux poids et deux mesures ? Voilà qui changerait profondément la nature de l'Union, fondée sur un droit égal pour tous et non sur une forme d'arbitraire.
Permettez-moi de rappeler qu'il y a peu encore, la question des Roms avait déjà illustré les tentatives du Gouvernement de dévoyer un certain nombre de règles et de principes européens fondamentaux, notamment la libre circulation des personnes dans l'espace de l'Union.
Ce débat sur l'espace Schengen ne doit pas alimenter l'idée selon laquelle le principe de libre circulation devrait être limité pour certaines nationalités. Pour les socialistes européens, la libre circulation est au coeur de la citoyenneté européenne et ne peut être limitée qu'aux conditions déjà définies par les règles européennes. Le principe est simple ; c'est un principe d'égalité de traitement entre les États et leurs ressortissants.
Il y a peu, devant la commission des affaires européennes de notre assemblée, j'ai été, avec mon collègue Didier Quentin, co-rapporteur sur cette question de l'élargissement de l'espace Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie.
La proposition de résolution adoptée par la commission le 9 février rappelle à juste titre la nécessité absolue du respect des critères techniques préalables à toute adhésion à l'espace Schengen, respect déterminé par des rapports d'évaluation. Il a été aussi indiqué, s'agissant du mécanisme de coopération et de vérification, qu'il était difficile d'établir un lien direct entre ce mécanisme et les critères d'évaluation applicables à l'espace Schengen, puisque les traités ne le prévoient pas ainsi.
De plus, à ceux qui indiqueraient qu'un risque pourrait exister, la confiance totale n'étant pas parfaitement acquise, nous pouvons faire remarquer que la connexion au système d'information Schengen, véritable colonne vertébrale de l'espace Schengen, est opérationnelle depuis le mois de décembre dernier sans que cela pose de difficultés particulières à l'égard de la Bulgarie et de la Roumanie. Notre proposition de résolution ne fait donc pas de la complète réussite du mécanisme de coopération et de vérification une étape supplémentaire, qui constituerait un nouveau préalable à l'entrée dans l'espace Schengen.
Des lacunes existent, nous les connaissons, et elles ne doivent pas être passées sous silence. Toutefois, il faut souligner les efforts importants mis en évidence par les derniers rapports annuels de la Commission, publiés au mois de juillet 2010, en ce qui concerne les réformes entreprises en Bulgarie, et au mois de février 2011, en ce qui concerne la Roumanie pour laquelle le rapport est plus encourageant que le précédent.
C'est pourquoi les travaux de notre commission des affaires européennes, insistent sur les réformes indispensables à la réussite du mécanisme de vérification et de coopération, car ces réformes auront des conséquences pour la sécurité dans l'Union et dans l'espace Schengen.
La Roumanie et la Bulgarie sont en train d'achever leur processus de mise en conformité de l'acquis Schengen ; il subsiste certes des problèmes sur le contrôle des frontières terrestres et sur la gestion de certaines alertes dans le système d'information Schengen, mais ceux-ci sont clairement en voie de résolution. Ils feront l'objet, dans le courant du mois d'avril, d'une dernière évaluation. Par conséquent, si ces rapports prévus le mois prochain sont positifs, il n'y aura, en droit, aucune raison opposable pour que ces deux nations européennes, membres de l'Union, ne rentrent pas dans l'espace Schengen tel que cela est prévu dans le traité.
Le groupe SRC ne peut donc accepter, en l'état, l'ajout inopiné de critères additionnels spécifiques à ces deux nations. D'ailleurs plus, il serait impossible de les évaluer justement, puisqu'ils n'étant pas prévus initialement. Ils ne seraient fondés que sur des considérations de politique intérieure.
Permettez-moi de vous indiquer aussi, mes chers collègues, que cette position est en outre largement partagée au sein des principaux groupes politiques du Parlement européen.
Les travaux en partenariat avec la Bulgarie et la Roumanie doivent être poursuivis, en recherchant, comme cela a toujours été le cas jusqu'à présent, les conditions d'un excellent état d'esprit, qui ne peut souffrir d'un climat de suspicion générale à rencontre de ces deux nations européennes.
Les bonnes relations de la France et de l'ensemble de l'Europe avec la Roumanie et la Bulgarie sont aussi en jeu à cette occasion. Nous devons, certes, nous montrer vigilants pour que soit menée une politique claire de lutte contre la corruption et la criminalité, mais ne gâchons pas l'occasion de poursuivre nos bonnes relations avec ces États qui attendent beaucoup de la France, et de nous-mêmes ce soir, même si nous n'en avons pas suffisamment conscience.
C'était pour moi l'occasion de vous le rappeler, en oeuvrant à cette entreprise qui devrait tous nous honorer.