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Intervention de André Gerin

Réunion du 22 mars 2011 à 21h30
Organisation du championnat d'europe de football de l'uefa en 2016 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Gerin :

Votre proposition de loi est une fenêtre ouverte pour ces projets qui verront fleurir des complexes sportifs : des stades accueillant des manifestations sportives et des spectacles divers et variés seront couplés avec des zones de loisirs et des hôtels, le tout chaperonné par les grands groupes capitalistes rêvant de profits grâce à l'activité sportive et à ses annexes.

Cela peut donner aussi un projet tel que celui de Jean-Michel Aulas à Lyon : l'OL Land. Immense complexe sportif implanté sur la commune de Décines, OL Land comprendrait le nouveau stade de 60 000 places, le centre d'entraînement de l'équipe professionnelle, les bureaux du siège d'OL Groupe, une boutique OL Stade, 7 000 places de stationnement, plusieurs équipements de loisirs et de divertissements dont cent cinquante chambres d'hôtel et 8 000 mètres carrés d'immeubles de bureaux. Finalement, bien plus qu'un simple stade de football destiné aux footballeurs professionnels, il s'agit d'une mégapole d'affaires construites à des fins privées, pour le profit.

La genèse du projet remonte à 2004. L'OL était alors triple champion de France et son président rêvait d'un destin européen pour son club. Pour concurrencer les clubs de Ligue des champions, cela passait par la construction d'un nouveau stade ultramoderne, à l'image de l'Allianz Arena de Munich ou de l'Emirates Arena d'Arsenal, qui étaient alors en cours de construction. Néanmoins une question se pose alors : où trouver l'argent pour un tel projet ?

Certes le football est devenu une industrie lourde en termes de capitaux financiers et le top 20 des clubs de football les plus riches jongle avec les millions d'euros. Les revenus des clubs vont de 101 millions d'euros pour Newcastle United, en Angleterre, à 401 millions d'euros pour le Real Madrid. Pour l'OL, ils s'élèvent à 133,2 millions d'euros ; pour l'OM à 133,1 millions.

Les droits télévisuels sont devenus la principale source de revenu des clubs : 160 millions d'euros pour le Real Madrid, et 68 millions d'euros pour l'OL quand sa billetterie ne représente que 22,4 millions. Ces droits s'élèvent à plus de 600 millions d'euros par an pour les championnats français, soit 58 % des recettes des clubs.

Toutefois ce magot cache mal l'endettement de la plupart des clubs. Selon une étude de l'UEFA, près de la moitié des clubs européens sont déficitaires et un club sur cinq est dans une situation financière préoccupante. La dette des grands clubs anglais atteint 1,3 milliard d'euros. Cette situation résulte du « marché » des joueurs, sur lesquels les transactions atteignent des sommes vertigineuses – 94 millions d'euros pour le seul transfert de Ronaldo –, et des salaires qui grèvent les comptes des clubs.

Alors, où trouver de l'argent pour nourrir la voracité du sport-business ? La réponse paraît simple : sur les marchés financiers. L'Angleterre reste, de ce point de vue, le modèle le plus abouti du football financiarisé, la majorité de ses clubs étant cotés en bourse.

Au-delà du caractère pour le moins contestable du point de vue de l'éthique de cette financiarisation du sport, ces introductions en bourse ont un caractère particulièrement aléatoire car il est quasiment impossible d'estimer les flux futurs comme on peut le faire pour une entreprise industrielle. Le bilan d'un club tient d'abord et surtout à son palmarès sportif qui peut, même avec les meilleurs joueurs du monde, ne pas être au rendez-vous. Une élimination en coupe d'Europe, et tout le bilan sportif et financier d'un club est impacté. En effet cette élimination a des effets, non seulement sur les droits de retransmission télévisuelle, mais aussi sur la cotation du club. Ce jeu-là est bien éloigné des finalités du sport ; nous sommes entrés dans une logique marchande.

En France, seul l'OL s'est, pour l'instant, risqué en bourse, en 2007, son président, Jean-Michel Aulas, justifiant son choix par le fait qu'il dirige « une entreprise de divertissement sportif » ; cela prêterait à sourire si le sujet n'était pas aussi grave. Il s'agissait pour lui, en réalité, de permettre le financement de l'OL Land, qui est devenu un complexe de loisirs sportifs de 50 hectares, dont la tête de gondole doit être le grand stade de 60 000 places. Aujourd'hui, l'OL accuse un déficit de 35 millions d'euros sur l'exercice 2009-2010.

Aujourd'hui se pose un autre problème. Si Jean-Michel Aulas réalise son grand stade, que deviendra le stade de Gerland, qui est à la charge de la ville de Lyon ? Les Munichois ont connu une situation identique : l'ancien stade olympique est devenu inutile. Gerland, dont la rénovation et la mise aux normes à l'occasion de la Coupe du monde de 1998 ont coûté près de 33 millions d'euros aux pouvoirs publics, coûte 1,4 million d'euros par an ; s'il n'a plus de locataire, qui paiera ?

Pour justifier le projet d'un stade neuf sur un site très éloigné du centre de Lyon, on a prétendu que Gerland se trouvait en zone Seveso. Ainsi, à l'automne 2006, c'est le site de Décines qui a été choisi. Pour Jean-Michel Aulas, peu importe la localisation, pourvu qu'il n'ait pas à payer la voirie ni la logistique. Cependant, rapidement, le projet a pris l'eau de toutes parts. La disparition programmée d'espaces naturels, l'amputation des espaces verts de l'est lyonnais, les graves carences du projet en matière d'accessibilité, les nuisances engendrées par l'équipement et le montant des investissements publics suscitent la contestation, non seulement à l'échelle locale, mais aussi dans l'ensemble de l'agglomération. Fin 2010, trois avis défavorables et autant d'enquêtes publiques plus tard, le projet est au point mort. La troisième enquête publique pour la révision du PLU a été repoussée et il a été décidé que ce projet ne pouvait faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique.

Parmi les onze stades à construire ou à rénover, figure celui de Lyon, sous un régime privé. L'usine à gaz de Jean-Michel Aulas se trouve ainsi confortée.

Nous savons pourtant que la capacité du stade de Gerland, qui compte aujourd'hui 41 000 places, peut être portée à 55 000 places et répondre ainsi aux critères, et bien au-delà, des stades de catégorie 3. Vingt-trois hectares constructibles sont en effet disponibles autour du stade, qui dispose, en outre, contrairement au projet actuel, d'une bonne desserte : métro, tramway, bus, autoroute. Alors que Gerland offre tous les avantages, le projet de l'OL Land nécessiterait que le Grand Lyon débourse 300 millions d'euros dans des infrastructures qui ne répondent que secondairement et superficiellement aux attentes des habitants.

Si je me suis appesanti sur cet exemple (Sourires), c'est parce qu'il me semble illustrer parfaitement les dérives vers lesquelles cette proposition de loi nous entraîne. Il s'agit, ici, uniquement de sport business, d'affairisme, et nous savons que, dans ce cadre, la fin justifie les moyens.

Au demeurant, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur l'expérience d'autres pays européens. Au Portugal, qui a accueilli l'Euro 2006, le précédent ministre de l'économie s'est interrogé sur l'opportunité de démolir certains stades de football, sous-utilisés. À Athènes, la même préoccupation s'est exprimée. Sommes-nous sûrs qu'il en ira différemment pour les stades de 50 000 places que nous allons construire, sachant que, même si des clubs résidents y jouent, leur situation financière est telle qu'il sera bien difficile d'équilibrer les budgets de fonctionnement ?

En définitive, nous légiférons dans la précipitation parce que nous avons pris du retard sur l'échéance de l'Euro 2016 et parce que l'État, dans ce domaine comme dans tant d'autres, a décidé de se désengager. Nous nous tournons alors vers les intérêts privés, en nous mettant à leur service. Ainsi, nous sommes prêts à enrichir les géants du BTP, qui n'attendent que cela et qui bénéficieront de l'argent public via les collectivités territoriales, lesquelles devront faire des choix dans leurs priorités et se serrer la ceinture.

J'ai déjà exprimé ce que je pensais des multiples dérogations à notre droit prévues dans le texte. Elles contreviennent à l'esprit de nos lois, animé du souci de l'intérêt général. Ces dispositions d'exception qui mêlent intérêts privés et fonds publics sont sujettes à caution et à contentieux. Vous croyez vous en sortir en recourant à l'arbitrage, tel que le définit l'article 3, qui est un mode juridictionnel de résolution des conflits dérogatoire au droit commun consistant à résoudre à l'amiable des litiges dans le cadre d'une juridiction d'exception appelée tribunal arbitral. Or un groupe d'étude, placé sous l'autorité du conseiller d'État Daniel Labetoulle, a rendu, en avril 2007, un rapport au garde des sceaux dans lequel il est souligné que le manque de définition du champ de l'arbitrage est à l'origine d'une forte insécurité juridique, notamment lorsqu'il est appliqué dans le cadre de partenariats public-privé.

Votre article 3 organise ainsi une procédure dérogatoire au droit administratif pour régler des problèmes de droit administratif. Or les problèmes qui peuvent se poser sont lourds. Des citoyens, des associations peuvent contester le bien-fondé d'un projet de stade pour des raisons liées à l'urbanisme, à l'environnement, aux nuisances qu'il provoquerait, et que leur opposera-t-on ? La décision d'un tribunal arbitral, dont on a du mal à penser qu'il pourra déboucher sur une solution amiable.

En réalité, l'échéance de 2016 vous presse, au point que vous décidez de vous asseoir sur les règles de droit les plus élémentaires. Pensez-vous que cela suffira pour atteindre vos objectifs ? Rien n'est moins sûr. Savez-vous, par exemple, que, saisi le 14 décembre 2010 par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a rendu, le 11 février dernier, une décision qui annule le contrat de concession relatif à la réalisation d'un Stade de France à Saint-Denis, conclu le 29 avril 1995 entre l'État et le consortium Grand Stade SA.

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