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Intervention de François Bayrou

Réunion du 22 mars 2011 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'intervention des forces armées en libye et débat sur cette déclaration — Application de l'article 35 alinéa 2 de la constitution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Bayrou :

Cela étant, que devons-nous dire pour essayer d'y voir clair et de dégager une ligne d'action pour la France ?

Première affirmation : l'action diplomatique de la France a été bien conduite. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Notre pays a été à l'initiative ; il a pu obtenir une résolution – qui, pour une fois, disait quelque chose de précis – portant sur la menace que Kadhafi faisait peser sur son peuple, sur la zone d'exclusion aérienne et sur la défense de Benghazi. Nous sommes allés assez vite pour intervenir avant que les troupes de Kadhafi n'atteignent Benghazi, ce qui aurait créé l'irrémédiable.

Ce faisant, la France a retrouvé un rôle, une capacité, une mobilité conformes à son statut de puissance diplomatique. Il faut le mettre au crédit du Président de la République, du Gouvernement et du ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Point positif : nous avons conduit cette action en étroite liaison avec la Grande-Bretagne. Point faible, très faible : nous n'avons pas réussi à convaincre en Europe, au sein même de l'Union européenne. Or, tant que ce sera France ou Europe, quelque chose de précieux nous manquera et manquera au monde.

Danger : aujourd'hui, nous devons en être conscients, la division internationale monte : critiques de la Russie, de la Chine, du Brésil, de la Turquie, de l'Inde ; réserves de la Ligue arabe, refus de l'Union africaine ; réticences de l'Allemagne. Sur une carte physique et sur une carte politique du monde, cela fait beaucoup. Il faut donc poursuivre et amplifier l'action diplomatique et, d'abord, en priorité, parler avec la Ligue arabe.

J'en viens à la situation militaire. L'action de nos armées a été décisive pour stopper la vendetta de Kadhafi. Nos avions, nos armements ont atteint ce but premier et, avec l'aide des armes lourdes des autres membres de la coalition, une situation de domination militaire a été créée. Personne n'en doutait, encore fallait-il le faire. Il faut donc saluer nos forces armées et leur commandement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC, ainsi que sur quelques bancs du groupe SRC.) Toutefois, nous avons exclu à juste titre – la résolution l'exclut formellement – toute intervention terrestre et toute intervention aérienne offensive. Nous pouvons continuer à brouiller les signaux, détruire les radars, mais, Clemenceau l'a dit une fois pour toutes, « on peut tout faire avec une baïonnette sauf s'asseoir dessus ». (Sourires et murmures.)

La véritable question est celle de l'issue, et elle est maintenant de savoir comment le peuple libyen va se dresser contre son dictateur, comment nous l'y aidons, quels sont nos rapports avec cette résistance – que nous avons reconnue avec panache, comme, jadis, la France libre fut reconnue par Londres – et comment nous évitons l'engrenage de la guerre civile, qui durerait des mois, et l'inévitable enlisement qui s'ensuivrait.

Une lourde question se pose à propos du commandement. Nous avons exclu l'intervention de l'OTAN, autrement que subsidiaire. Fort bien. Mais alors, pourquoi nous sommes-nous précipités naguère pour entrer avec une telle légèreté dans le commandement intégré ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Qu'allons-nous faire ? Reculer ou bâtir une espèce de compromis : commandement de coalition ou coalition de commandements ? C'est très dangereux. Une coalition – Foch l'a dit avant moi –, c'est difficile à commander. Mais une coalition qui n'a pas de commandement, cela devient carrément un pari impossible, une gageure.

Enfin se pose une question décisive, à la fois d'actualité et de long terme. Nous avons choisi d'assumer le droit, et même le devoir, d'ingérence et nous sommes intervenus en Libye. Mais qu'allons-nous faire en Syrie, à Bahreïn, au Yémen ? C'est tout le monde arabe qui bouge, traversé de forces dont certaines sont positives et encourageantes : l'aspiration à la liberté, la lutte contre la corruption ; d'autres dangereuses et noires : le fondamentalisme, l'affrontement souterrain et séculaire entre chiites et sunnites. D'autres régions du monde connaîtront des mouvements semblables. Or les institutions du devoir d'ingérence sont faibles, peu reconnues ou méconnues.

Nous avons là une ligne de conduite. Pour la Libye, il faut régler la question du commandement, soutenir efficacement la résistance intérieure, ne pas nous laisser entraîner dans des interventions directes, même secrètes, et, le cas échéant, préparer les opérations humanitaires. Pour le monde, il faut faire émerger les institutions internationales de la juste ingérence.

Nous avons pris le risque d'être audacieux, et c'est un risque juste. Nous sommes condamnés maintenant à aller plus loin et à devenir une force de proposition pour que change le monde. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP, NC et SRC.)

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