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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 22 mars 2011 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'intervention des forces armées en libye et débat sur cette déclaration — Application de l'article 35 alinéa 2 de la constitution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, quand, dans tant d'autres pays voisins, un vote a eu lieu sur l'opportunité d'entrer en guerre avec la Libye, ici, dans notre belle démocratie, on ne donne que quelques minutes de temps de parole à la représentation nationale pour s'exprimer. Que penser d'une telle parodie de consultation démocratique, alors que notre pays est déjà entré en guerre ?

Ce débat est néanmoins l'occasion pour nous d'exprimer à nouveau notre solidarité avec les peuples arabes en lutte, et plus particulièrement avec le peuple libyen, mus par un souffle de libération aussi profond que légitime. Cette solidarité avec le peuple libyen ne saurait pour autant annihiler tout esprit critique à l'endroit du comportement de notre propre pouvoir exécutif, dont les choix diplomatiques sont illisibles, contradictoires, et aboutissent in fine à altérer notre crédibilité internationale. Un déclin que semble signifier l'ultime épisode de l'entrée en guerre de la France contre la Libye, dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Au-delà de l'élan politico-médiatique de ces derniers jours, l'intervention militaire en Libye repose sur deux fictions.

En premier lieu, l'Élysée et ses porte-parole, relayés avec une certaine cécité par la majorité des médias, prétendent qu'il y aurait une unité de la communauté internationale pour soutenir les bombardements en Libye. Au mieux, il s'agit là d'une erreur d'analyse. Permettez-nous, en effet, de souligner les méfiances et les oppositions qui s'expriment autour de cette intervention. Il suffit de rappeler la position de puissances mondiales comme l'Inde, la Chine et la Russie, qui refusent de soutenir l'offensive militaire.

Mais l'attitude d'autres pays est plus significative encore. Il y a d'abord l'Allemagne, première puissance européenne, qui s'est abstenue sur la résolution lors du vote du Conseil de sécurité. Son vice-chancelier et ministre fédéral des affaires étrangères résumait au Guardian sa position en ces termes : « Une solution militaire semble très simple mais elle ne l'est pas. C'est risqué et dangereux, les conséquences peuvent être imprévisibles […]. Nous admirons la révolution tunisienne, mais nous voulons que tous ces mouvements soient renforcés et pas affaiblis […]. Examiner des alternatives à un engagement militaire, ce n'est pas ne rien faire. »

En cela, l'Allemagne rejoint le Brésil, première puissance sud-américaine, qui s'inquiète, par la voix de son ambassadrice à l'ONU, du risque d'exacerber les tensions sur le terrain au détriment des populations civiles, que nous nous sommes engagés à protéger. Les Brésiliens insistent sur le caractère spontané des révolutions arabes et alertent sur le risque d'en changer le récit, ce qui aurait de sérieuses répercussions pour la Libye et le reste de la région.

Des pays de l'Amérique Latine ont fait savoir, le 19 mars dernier, qu'ils rejetaient « toute intervention militaire en Libye ». Le chancelier argentin Héctor Timerman a dénoncé le fait que ces attaques contre le territoire libyen menées par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni n'aient pas fait l'objet d'un large débat au Conseil de sécurité ou à l'Assemblée générale des Nations unies. Le président uruguayen a, quant à lui, qualifié de « lamentable » l'attaque des forces armées contre la Libye.

Surtout, cette offensive militaire trouble les peuples de la région, qui rejettent la figure dictatoriale de Kadhafi mais refusent de cautionner toute nouvelle expression de l'impérialisme occidental. Le chef de la Ligue arabe, M. Amr Moussa, a critiqué dimanche les bombardements occidentaux sur la Libye, estimant qu'ils s'écartaient « de l'objectif d'instauration d'une zone d'exclusion aérienne » ; « ce que nous voulons, a-t-il ajouté, c'est la protection des civils et pas le bombardement de davantage de civils ».

D'ailleurs, en Tunisie, la presse prononce un verdict sévère contre les bombardements aériens, craignant qu'ils ne plongent le Maghreb et le Moyen-Orient dans l'instabilité, allant même jusqu'à redouter que cette intervention fasse de la région « une zone de tension et une base avancée pour les forces impérialistes qui n'ont pas intérêt à voir la région vivre un sursaut social révolutionnaire, nationaliste et démocratique » et « souille la bataille du peuple libyen contre la junte corrompue ».

La Turquie a, elle aussi, fait connaître son opposition à l'option militaire, et l'Union Africaine a, pour sa part, réclamé la fin des opérations militaires contre le régime libyen, rappelant que la communauté internationale avait rejeté son offre d'envoyer une délégation de paix en Libye.

Dès lors, quel objectif vise cette fiction d'unanimité internationale ? Il s'agit de masquer la réalité politique et géopolitique de cette guerre, qui n'est rien d'autre qu'une intervention occidentale menée par des ex-pays colonisateurs !

La seconde fiction sur laquelle repose cette offensive militaire consiste à faire de la France, et plus particulièrement de Nicolas Sarkozy, la force d'impulsion, de conception et de décision qui en est l'origine. Or la réalité est cruelle pour l'orgueil national et le narcissisme de notre président : en effet, nos concitoyens doivent savoir que, dans cette intervention, notre pays n'est que le bras armé des États-Unis. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Le Washington Post et le New York Times résument parfaitement l'ordonnancement des événements : ce sont les États-Unis, et eux seuls, qui ont décidé de se lancer dans l'opération diplomatique visant à faire adopter la résolution du Conseil de sécurité qui a décidé de l'emploi de la force en Libye ! S'ils ont créé les conditions pour laisser croire que la France avait le leadership dans cette affaire, c'est parce que cela arrangeait bien le Président Obama.

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