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Intervention de Marie-Claire Carrère-Gée

Réunion du 16 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'orientation pour l'emploi :

Nous avons été saisis de la question l'emploi des jeunes en toute fin d'année dernière. Contrairement à notre habitude, nous n'avons travaillé que sur le diagnostic de la situation, sans faire de propositions spécifiques : les partenaires sociaux ayant décidé d'engager des négociations au premier trimestre, ils ne nous ont laissé qu'un délai très court d'un mois, dans le seul objectif de faire un état de la situation. En revanche, nous avons rappelé des propositions récurrentes du Conseil sur les mesures anticrise, l'orientation scolaire et professionnelle, l'illettrisme ou la croissance verte par exemple, toutes questions qui ne sont pas sans lien avec l'emploi des jeunes.

Un point d'abord sur les indicateurs. L'un des plus fréquemment utilisés, le taux de chômage des jeunes, a l'avantage de permettre les comparaisons avec les autres classes d'âge. Mais il recèle d'importantes limites, la moindre n'étant pas qu'il conduit à des conclusions erronées. Ainsi, la presse déduit souvent de ce taux qu'un jeune sur quatre ou sur cinq est au chômage alors qu'il n'exprime que le nombre de jeunes au chômage parmi les jeunes actifs – tous les jeunes n'étant pas actifs – et que les situations sont très différentes selon les tranches d'âge : 15-20, 20-24 ou 25-29 ans. En outre, cet indicateur a le tort de laisser à penser que les jeunes constituent une catégorie homogène sur le marché du travail. Mais ce n'est pas une raison pour l'écarter complètement.

Ce taux fait apparaître des constantes. D'abord, les jeunes constituent bien une catégorie à part, avec un taux de chômage qui depuis les années 80 n'est jamais descendu au-dessous de 15 %. Ensuite, ils sont plus sensibles à la conjoncture que les autres classes d'âge. Pendant la crise, le taux de chômage moyen a progressé de deux points, en partant de 7 %, alors que le taux de chômage des jeunes, qui était déjà à 17,5 %, est passé à 24,2 ! En revanche, la part de chômage des jeunes, c'est-à-dire le nombre de jeunes au chômage dans l'ensemble de la génération, reste à peu près stable autour de 10 %.

Les difficultés d'insertion des jeunes dans la vie professionnelle ne sont pas spécifiques à la France. Dans certains pays toutefois, notamment anglo-saxons ou nordiques, le marché du travail accorde moins d'importance aux critères d'âge, ou alors assure une transition plus fluide avec la formation initiale, notamment grâce à l'alternance : c'est le cas de l'Allemagne, où 11 % des jeunes de 15 à 24 ans sont en apprentissage, contre 5 % en France. Le taux d'emploi des 15-29 ans est inférieur en France de deux points par rapport à la moyenne de l'Union européenne, et de quatre points par rapport à l'Union à quinze, mais leur part de chômage est équivalente à la moyenne européenne.

Enfin, il faut distinguer des éléments conjoncturels et structurels, qui se cumulent malheureusement. Pour ce qui est du conjoncturel, on a vu au cours des six derniers mois de 2010 s'éteindre un à un la plupart des dispositifs mis en place au moment de la crise. Les exonérations de charges dans les toutes petites entreprises, qui bien sûr ont créé des effets d'aubaine mais, c'est l'essentiel, ont montré leur efficacité, sont arrivées à échéance. Puis les administrations de l'emploi, ayant épuisé leurs crédits, ont donné un coup de frein silencieux mais brutal aux contrats aidés, en particulier pour les jeunes. Les contrats initiative emploi, dont toutes les études montrent l'efficacité, sont passés de 50 000 par trimestre à 5 000. Les mesures de soutien à l'alternance, limitées dans le temps – ce qui se comprend pour des mesures anticrise –, ont été un moment reconduites, non sans hésitation, avant de cesser à nouveau. Bref, la politique de l'emploi a connu un véritable coup d'arrêt. Certes, les mesures de soutien conjoncturel coûtent cher, mais elles devraient être maintenues tant que la crise n'est pas terminée. Le ralentissement des interventions publiques au deuxième semestre 2010 n'est pas pour rien dans l'évolution du nombre des demandeurs d'emploi en fin de mois.

La crise a donc eu un impact extrêmement fort sur les jeunes, dont le taux de chômage a explosé – il n'a d'ailleurs jamais été aussi éloigné du taux de chômage moyen. Le Conseil n'a cessé d'appeler au maintien de mesures conjoncturelles fortes, et stables : il faut éviter le stop-and-go permanent. Toutes les études montrent les bienfaits des contrats aidés pour l'insertion professionnelle des jeunes, notamment dans le secteur marchand. Il ne faut donc pas relâcher l'effort. Ils ont aussi leur utilité dans le secteur non marchand, en donnant au jeune une compétence qui lui permet ensuite de passer en entreprise. Mais il est possible de franchir une marche supplémentaire : les contrats aidés étant généralement à mi-temps, pourquoi ne pas les accompagner d'une formation en alternance ? Il ne s'agirait plus d'une simple mesure de traitement social, d'un emploi à durée déterminée dans le secteur non marchand, mais d'une véritable qualification professionnelle.

Du point de vue structurel maintenant, les difficultés des jeunes sur le marché du travail se divisent en deux grandes catégories, cumulatives d'ailleurs. D'abord, il y a les problèmes liés à la formation initiale, lorsque les jeunes sortent du système scolaire sans qualification ou qu'elle est peu en phase avec les besoins immédiats du marché. Ensuite, il y a les discriminations. Il est difficile d'en chiffrer l'impact avec précision, mais elles existent. L'étude de l'INSEE qui compare deux groupes de jeunes, avec des noms bien français d'un côté et à consonance maghrébine ou africaine de l'autre, montre des trajectoires très différentes. Toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire en neutralisant l'effet par exemple des niveaux de formation ou des caractéristiques personnelles, seul un tiers des différences s'explique par des données objectives. Cela ne signifie pas que les deux tiers restants sont de la discrimination – il peut y avoir des obstacles matériels pour des jeunes qui habitent dans des zones ghettoïsées, par exemple –, mais il est sûr qu'elle joue un rôle. Cela montre bien que la question du chômage des jeunes ne se résume pas à la politique de l'emploi : elle passe aussi par l'éducation et l'orientation scolaire et professionnelle, ainsi que par des politiques de lutte contre les discriminations au sens large.

Par ailleurs, les jeunes sont surreprésentés dans les contrats précaires – sachant qu'il faut être prudent avec les chiffres : tous les CDD ne sont pas de mauvais emplois. Il y a de l'alternance dans les emplois précaires, et certains sont incontestablement des tremplins vers l'emploi durable. En revanche, depuis vingt ans, cette fonction de tremplin s'estompe en même temps que les contrats précaires progressent dans le marché du travail. La France a un volant d'emplois précaires plus élevé que de nombreux autres pays européens, et ces emplois sont surtout réservés aux jeunes. De notre point de vue, ils sont utilisés de façon excessive par les entreprises pour s'adapter à la conjoncture économique. Quand le carnet de commandes baisse, il existe nombre d'autres façons de procéder aux ajustements nécessaires : temps de travail, chômage partiel, évolutions salariales, organisation du travail au sein de l'entreprise… La France a un peu trop tendance à limiter la flexibilité à ces emplois précaires. Le temps n'est plus à la réflexion, mais aux décisions. Il y a un consensus parmi les partenaires sociaux pour traiter de cette question assez rapidement.

Enfin, le rapport montre les bons résultats des formations en alternance, à tous les niveaux de diplômes. Ainsi, 80 % des titulaires d'un bac professionnel en apprentissage trouvent un emploi très vite, contre deux tiers pour la voie scolaire. Le Conseil milite pour une acception large de l'alternance – il ne s'agit pas que des contrats d'apprentissage et de professionnalisation. Notre rapport sur l'orientation scolaire et professionnelle insistait – et je rappelle que nos propositions représentent un consensus entre tous les acteurs du marché du travail, de la CGT au MEDEF en passant par le service public de l'emploi – pour que tous les diplômes prévoient, en fin de cursus, un volet en alternance. Contrat d'apprentissage, stage ou quelle que soit la formule, il ne devrait pas être possible de délivrer de diplôme en France sans au moins un module en alternance. Cela ne résoudra pas tout, mais il faudra en passer par là.

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