Je remercie le président Teissier de m'avoir permis de vous présenter ce travail, rendu au Président de la République en septembre dernier. Nous évoquons depuis longtemps, au sein de cette commission, les questions de la citoyenneté et de l'esprit de défense mais aussi les conséquences de la suppression du service national. J'avais rédigé un premier rapport, à titre personnel, L'amalgame républicain, une idée neuve, il y a quelque temps. Pourquoi ce travail ?
Nous avons tous été choqués par la réaction de nos compatriotes qui semblaient découvrir, à l'occasion du drame de la vallée d'Uzbin, que nos soldats étaient jeunes et qu'ils pouvaient mourir au cours de leurs missions.
Les mutations de la société contemporaine, avec la montée de l'individualisme, la remise en cause des règles du savoir-vivre ensemble, la mondialisation et l'abolition des frontières, la montée en puissance des nouvelles technologies de l'information et de la communication qui viennent perturber nos modes de vie, ont également eu des répercussions sur le rapport du citoyen avec la société.
Le Livre blanc a consacré le concept de résilience, réponse individuelle ou collective à une catastrophe, qui est l'acception moderne de l'esprit de défense. La résilience est également la capacité de chacun à remettre en marche une société après une catastrophe et fait ainsi le lien entre les notions de civisme, de citoyenneté et d'esprit de défense. Spinoza disait : « On ne naît pas citoyen, on le devient ». C'est sur cette thématique que j'ai essayé de construire mon parcours de la citoyenneté, du civisme et de l'esprit de défense.
La question de l'apprentissage de la citoyenneté n'est pas réservée à la jeunesse : c'est l'affaire de tous, tout au long de la vie, à l'image de la formation professionnelle.
Le premier constat que j'ai pu établir est que les politiques existent mais sont totalement atomisées, dispersées et manquent d'une colonne vertébrale. Les acteurs pour mener ces politiques sont également présents, dynamiques, mais les uns et les autres ne sont pas reliés entre eux et agissent sans se coordonner.
L'objectif de mon rapport était de donner à toutes ces actions une colonne vertébrale agrégeant ces politiques. Si nous parlons en effet tous souvent de ces questions, il manque encore aujourd'hui une véritable ambition politique.
J'ai donc proposé au Président de la République un plan d'action que je vais vous présenter maintenant.
Le parcours de la citoyenneté, du civisme et de l'esprit de défense vise à instaurer un troisième volet de l'instruction publique en France, à côté de l'enseignement général, l'enseignement des savoirs, et de l'enseignement professionnel, l'enseignement des métiers. Ce troisième volet serait l'enseignement du savoir vivre ensemble et de l'esprit de défense et son corollaire moderne, la résilience.
Le but de ce parcours est de faire assimiler aux jeunes français les valeurs de la République : la liberté, l'égalité, la fraternité mais aussi celles de démocratie et de laïcité. L'histoire de France, avec ses deux composantes, la mémoire et le patrimoine, sera également mobilisée pour donner un contenu à cette politique et l'accompagner.
Le parcours se vit dans le temps et se divise en trois grandes étapes d'un engagement organisé et progressif : un temps obligatoire, un temps de sensibilisation et un temps de volontariat.
Je tiens à souligner que je n'invente rien : il s'agit là de rassembler les politiques existantes et de les valoriser.
Nous savons tous que, depuis la suppression du service national, nous ne sommes plus en mesure d'accueillir chaque année, même pour quelques jours, l'ensemble d'une classe d'âge dans nos casernes. Nos jeunes passent en revanche tous par l'éducation nationale et, sans surcharger ce qui existe déjà dans nos écoles, il est possible de mieux organiser les dispositifs existants et de valoriser le travail effectué au quotidien. Le parcours obligatoire dans l'enseignement, général et professionnel, sera jalonné de quatre moments de rencontre ou de respiration collective, où la Nation tout entière participera à la formation de nos jeunes.
La première d'entre elle sera la Journée de la République, qui mettra en valeur tout ce qui se déroule au sein de l'Éducation nationale mais qui associera également la famille, laquelle a un rôle important dans la constitution de notre société, et la commune, lieu où le jeune grandit et s'épanouit. Elle reposera sur trois socles :
- un socle autonome, porté par le projet de l'établissement scolaire qui, en tant que premier lieu de la vie collective, avec ses règles, ses droits et ses devoirs, son gouvernement et son administration, constitue une sorte de petite république. On y apprend le savoir-vivre ensemble en expérimentant la vie individuelle au sein d'une communauté et on s'initie au concept de résilience, en apprenant à répondre à une catastrophe, comme un incendie, par exemple ;
- un socle commun, qui repose sur la valorisation de l'enseignement dispensé tout au long du parcours scolaire en histoire, géographie et instruction civique et qui fera l'objet, au cours de cette journée, de tests de connaissances, de jeux interactifs ;
- un socle partagé, enfin, mobilisera l'histoire de la commune et de ses territoires en s'appuyant sur des grands témoins, des chemins de mémoire, les musées pour faire comprendre aux jeunes qu'ils s'inscrivent dans cette histoire et peuvent en être des acteurs.
Pour assurer le suivi du parcours, je propose qu'un passeport ou portefeuille civique soit remis à tous ceux qui débutent leur formation à l'occasion de la Journée de la République. Il sera ensuite complété tout au long du parcours et permettra de comptabiliser et de valoriser le volontariat et les différentes formes d'engagement du jeune (délégué de classe, arbitre…).
Le deuxième temps de respiration collective est le recensement, à 16 ans. Ce premier contact du jeune avec sa mairie ne doit pas s'effectuer par informatique mais être solennisé, car il a une portée symbolique dans la marche de l'individu vers la citoyenneté. Je pense notamment que les 35 000 correspondants défense de nos communes devraient être mobilisés afin que cette journée soit mieux organisée.
Je propose de conclure le parcours obligatoire par deux journées, résultats de la scission de l'actuelle Journée Défense et Citoyenneté : la Journée de la défense et la Journée du civisme. La Journée de la défense sera consacrée à une meilleure connaissance de notre outil de défense mais aussi, comme c'est déjà le cas, à la détection et la réorientation des publics les plus en difficulté vers les structures adaptées (EPIDe, internats d'excellence…). Je souhaite également qu'il y ait un « après » Journée de la défense, grâce à une plate-forme d'échanges informatique qui permette aux jeunes de discuter, découvrir, recueillir des informations, à l'image du site Internet Parlons défense, qui existe déjà.
La Journée du civisme consacrera le bilan de l'éducation civique dispensée tout au long du parcours scolaire et permettra aux jeunes de rencontrer les principaux acteurs de leur commune. Des modules de prévention routière et de secourisme seront aussi dispensés à cette occasion. Je propose également que l'État mette en oeuvre une politique d'aide au passage du permis de conduire, qui serait ainsi une sorte de récompense. Cette journée se conclura par la remise aux jeunes de leur carte d'électeur, ce qui est un moyen de leur dire : « Soyez acteurs, nous avons besoin de vous pour régénérer la République ».
À l'issue de ce parcours obligatoire de sept ans, sera remise à chaque jeune une Charte du citoyen, du civisme et de l'esprit de défense pour vivre la France.
Après le temps obligatoire, le parcours de sensibilisation s'adresse à ceux qui ont plus de dix-huit ans. Il est plus centré sur la résilience et est délivré par beaucoup de formations : les universités, les grandes écoles, toutes les formations diplômantes. Cela permettra d'identifier, dans chaque filière de formation, les menaces auxquelles on pourrait être appelé à répondre et de s'y préparer, dans chaque métier. Ces menaces sont aujourd'hui, vous le savez, les menaces industrielles, l'intelligence économique, la guerre des brevets, les catastrophes environnementales... Je propose également que l'on mette en place une sorte de service militaire adapté de quelques mois pour les grands serviteurs de l'État.
J'aimerais également que tous nos grands instituts de recherche en géostratégie et défense, au premier rang desquels l'IHEDN, irrigue plus, par des partenariats et des conventions, les formations dispensées dans les grandes écoles, les universités et, plus généralement, tous les établissements d'enseignement. Le rapport Jeandel, remis au secrétariat d'État aux anciens combattants au nom du groupe de travail « Défense-Université », détaille toutes ces propositions.
Je propose également la création d'une Journée d'information collective sur la santé publique et le système solidaire, organisée dans les établissements d'enseignement supérieur, afin de sensibiliser les jeunes aux risques du tabagisme, de l'alcool et de l'obésité afin de les responsabiliser.
Enfin, troisième et dernier temps, l'engagement volontaire achève le parcours de la citoyenneté. C'est l'engagement de chacun tout au long de la vie : l'engagement professionnel, civil ou militaire, le service civique, que nous avons récemment réformé, la réserve militaire, la réserve civile opérationnelle, sorte de garde nationale non armée qui doit être mobilisable en cas de catastrophe naturelle ou sanitaire, et la réserve citoyenne. Je propose d'ailleurs de procéder à une profonde mutation de cette dernière afin qu'elle puisse encadrer le parcours de la citoyenneté, du civisme et de l'esprit de défense, les journées que je viens d'évoquer et les grandes manifestations dans nos communes. Je voudrais donc que tous les acteurs, correspondants défense, trinômes académiques, professeurs d'histoire géographie, réservistes opérationnels, soient identifiés et mobilisés pour irriguer cette nouvelle réserve citoyenne.
Pour donner corps à cette nouvelle ambition politique et la mettre en oeuvre, je propose de créer un Haut comité à la cohésion nationale, qui agrégerait les institutions existantes, l'agence nationale du service civique, le bureau du service national, le Haut conseil pour les réserves, etc.
Il sera également important de mobiliser la politique culturelle et patrimoniale de notre pays, extrêmement riche, en créant le kilomètre zéro des chemins de mémoire, une cité nationale du civisme, de la citoyenneté et de l'esprit de défense et en fédérant les actions du Service historique de la défense, de l'ECPAD ou encore de l'INA.
À la demande du Président de la République, j'ai commencé à travailler, avec un certain nombre de ministères, à la mise en application du rapport et il a souhaité que celui-ci soit mis en débat. Je me nourris donc de toutes les expériences, des témoignages que je recueille depuis qu'il a été rendu public. C'est à nous tous désormais de faire en sorte que ce parcours du civisme, de la citoyenneté et de l'esprit de défense serve notre pays.