L'économie de la mer est l'un des principaux atouts de la France à l'aube du XXIe siècle, qui sera sans nul doute le plus maritime de l'histoire.
Avec la mondialisation, la maritimisation de l'économie semble irréversible. D'ores et déjà, 90 % des marchandises sont transportées par voie maritime, et les flux ont été multipliés par cinq ces trente dernières années. En 2020, ils représenteront entre 14 et 15 milliards de tonnes, contre 7 aujourd'hui. Environ 50 000 navires de commerce sillonnent les mers, soit une augmentation de 40 % en dix ans. Chaque année, près de 1,6 milliard de personnes empruntent les navires à passagers – autant que l'avion. On transporte, en moyenne, une tonne de marchandises par personne sur 7 500 kilomètres : 99,8 % de ce fret arrivent au port sans encombre.
Il est significatif que le coût moyen du transport de vingt tonnes de marchandises de l'Asie vers l'Europe soit nettement inférieur au prix d'un billet d'avion en classe économique. Dans le prix d'une paire de chaussures, les frais de transport ne représentent que quelques centimes. La puissance extraordinaire – voire, pour certains, dévastatrice – de l'outil maritime n'a cessé de s'accroître depuis la démonstration de Vasco de Gama qui, passant le cap de Bonne Espérance, a réduit d'un coup à néant la puissance vénitienne en permettant de vendre les produits d'Extrême-Orient moins cher à Lisbonne qu'à Venise. Plus près de nous, convoyer un réfrigérateur de Shangai à Anvers coûte bien moins que d'Anvers vers Paris ou vers Lyon. Le transport maritime met la Chine à notre porte.
L'avenir de la terre, c'est la mer. C'est vrai pour l'énergie, l'alimentation, la recherche pharmaceutique, les minerais : on connaît seulement 10 % de la faune et de la flore sous-marine, seulement 5 % des sols sous-marins. L'espace maritime est une chance pour notre terre menacée par sa démographie et par l'épuisement des ressources traditionnelles.
Quels seront les enjeux du XXIe siècle ?
Il y a d'abord, la sécurité maritime, avec les risques liés aux conteneurs et les navires géants : il sort aujourd'hui des chantiers navals des paquebots pouvant accueillir 8 500 passagers et des porte-conteneurs d'une capacité de 18 000 caisses – et bientôt de 23 000.
Une conscience navale et une pensée maritime européenne devront impérativement émerger.
Il conviendra de veiller à la sûreté en mer, en développant les garde-côtes, en assurant la protection des routes maritimes, en luttant contre la piraterie. Ayons le courage de dire que, si elle se produisait un jour, la guerre pour le pétrole ne serait pas une guerre « sale » !
Il faudra parvenir à un équilibre entre les impératifs de sécurité et de concurrence, entre le libéralisme d'inspiration anglo-saxonne et la mise en oeuvre de régulations légitimes.
Il y aura des enjeux humains : il faut que les marines de commerce disposent de suffisamment d'officiers et de maîtres qualifiés. Il y aura des enjeux industriels, avec l'énergie renouvelable marine et la construction navale. Il y aura enfin des enjeux portuaires.
Un dialogue renouvelé et crédible avec les pays du tiers monde sera nécessaire ; il ne faudrait pas, via la déconstruction des navires et les pavillons de complaisance, leur envoyer un message selon lequel les pays riches devraient demeurer riches et les pauvres demeurer pauvres.
Il faudra renforcer la coopération entre la marine marchande et la marine nationale, désormais excessivement affaiblie. Aujourd'hui, la France ne pourrait plus répéter l'opération Daguet, qui lui a permis de participer à la coalition internationale durant la première guerre du Golfe. La marine nationale devrait en particulier revoir sa logistique, se concentrer sur les navires de combat, relancer les concepts de Force auxiliaire occasionnelle (FAO), de Force maritime de complément (FMC) ainsi que la Commission permanente d'adaptation des navires à la défense (COPAND).
Face à ces enjeux, je conserve bon espoir car la France reste la cinquième puissance commerciale du monde : un bateau touche un de ses ports toutes les six minutes. Elle dispose d'atouts considérables. Il revient à notre pays de saisir la chance qu'offre la mondialisation afin de compenser les délocalisations dont, comme beaucoup d'autres, il souffre. Dans cette optique, notre capacité maritime est essentielle. Grâce à l'outre-mer, notre territoire s'étend sur 11 millions de kilomètres carrés – et bientôt 12, grâce au programme Extraplac. Le secteur économique marin représente quelque 310 000 emplois – soit plus que l'automobile, le vin, l'industrie pharmaceutique, la banque, l'aéronautique ou l'aérospatiale – et 51 milliards d'euros en valeur de production. L'économie maritime française, ce sont onze fleurons mondiaux, des métiers internationaux et des sociétés qui font partie du peloton de tête, en termes quantitatifs comme qualitatifs, dans le secteur de l'assurance, de la classification, du courtage, du financement, de l'armement, de l'offshore – en particulier pétrolier –, de la sismique, de la recherche océanographique, de la construction navale civile et militaire.
Même dans les activités où elle est moins puissante, la France peut faire valoir de solides atouts. Si les effectifs de la flotte de commerce sous pavillon national ne sont pas à la hauteur de la cinquième puissance économique mondiale – encore faudrait-il comptabiliser aussi les navires contrôlés par les armateurs français –, elle est, depuis des années, l'une des meilleures au monde en termes de qualité et de sécurité. De même, la pêche française se bat, dans la douleur, pour une pêche responsable.
Dans bien des cas, les entreprises françaises ont conquis leurs positions récemment, par leurs propres moyens, contre une concurrence très dure : c'est le cas de Bourbon et de Technip dans l'offshore, de Louis-Dreyfus Armateurs dans la pose et l'entretien des câbles sous-marins, et de nos compagnies d'assurance maritime, aujourd'hui à la troisième place mondiale hors marchés captifs, alors qu'elles n'existaient pas il y a vingt ans. Enfin, avec Brittany Ferries, nous devons être le seul pays au monde à posséder un armement paysan !
La réforme portuaire représente un enjeu considérable. Lorsqu'il l'avait lancée au début de l'année 2008, le Premier ministre avait évoqué la création de 30 000 nouveaux emplois. Ce chiffre nous semble sous-évalué : nous considérons qu'une capacité de traitement supplémentaire de 1 000 conteneurs aboutit à la création de 5 à 10 emplois permanents par an.
Si Anvers est actuellement la destination privilégiée pour le fret français, c'est qu'il est plus long, plus coûteux et surtout plus risqué pour les armateurs de passer par la France ; ils craignent que leurs navires ne s'y trouvent piégés, ils sont méfiants. La situation changera lorsque nos ports seront plus performants et plus crédibles car la géographie nous avantage : notre pays est idéalement placé au bout de la péninsule européenne. Alors que l'hinterland de l'Union européenne s'étend de plus en plus jusqu'à l'Europe centrale, que le Pas-de-Calais et le Rhin sont en train de devenir des goulets d'étranglement et qu'il n'y a plus de réserves foncières à Anvers et Rotterdam, la France possède encore des espaces disponibles, en particulier sur l'Atlantique et sur la Manche.
Enfin, l'année 2009 a vu le discours du Président de la République au Havre, celui du Premier ministre à Brest, la publication du Livre bleu et la première réunion depuis de nombreuses années d'un Comité interministériel de la mer (CIMER). Les acteurs maritimes français se reprennent à croire que l'État a conscience de l'importance du secteur pour le pays.
Est-ce à dire que l'avenir maritime de la France est assuré ? Si le socle est solide, il reste à prendre les décisions concrètes sans lesquelles nous en resterons à des velléités. Nos demandes sont simples : nous voulons un suivi du Livre bleu et de la stratégie maritime française et, pour ce faire, nous souhaitons que le comité interministériel de la mer se réunisse régulièrement.
Il ne s'agit pas d'exiger que l'État fasse tout et tout de suite. Nous sommes réalistes : nous savons que les finances publiques sont contraintes et que certaines mesures devront être repoussées. Cependant, nous voulons que, chaque année, on fasse le point sur l'état d'avancement de la stratégie maritime.
Pour la première fois, nous disposons d'un levier. Nous n'avons pas l'intention de le laisser gâcher, comme l'ont démontré les rassemblements historiques d'entrepreneurs du secteur maritime à Brest le 1er décembre 2009 et à Toulon en décembre 2010, rassemblements au cours desquels sont intervenus le Premier ministre, Mme Kosciusko-Morizet, la présidente du MEDEF et la plupart des dirigeants des métiers maritimes. Ce furent les occasions pour nous d'afficher la volonté et la solidarité des gens de mer, devenus une force incontournable pour le pays, et de rappeler que nous ne sommes pas des mendiants, mais des atouts !