Merci pour ces questions fort intéressantes. Je commencerai par répondre à celles qui ont trait au rôle des Nations unies : dans quelle mesure font-elles fonction de chef de file dans la reconstruction de l'économie ? En fait, il s'agit surtout d'envisager comment bâtir une économie qui sera fonctionnelle demain. Comment agir dans le contexte actuel de tension sur les prix des aliments et des hydrocarbures ? Un certain nombre d'initiatives sont prises, à l'initiative de la banque interaméricaine, en faveur de projets touristiques dans le nord du pays. Mais, si vous vous rendez sur place, vous constaterez qu'il n'y a aucune trace d'investissement, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'état de droit : comment attirer les investisseurs sans aucune règle en matière d'investissement, Dès lors, faute de projets durables, comment l'économie pourrait-elle se développer ?
En attendant que le secteur privé prenne la relève, qui va pouvoir nous aider à passer cette période de transition ? C'est sur ce point que l'assistance doit se concentrer. Afin de créer des emplois, nous nous efforçons par exemple d'inciter à la création de micro-entreprises pour recycler les gravats. Mais tout le reste devra nécessairement venir du secteur public : avant toute intervention du secteur privé, il faut des services et des employés pour les fournir.
Les Nations unies et la communauté internationale en général doivent faciliter cette période de transition. Pour cela, un certain nombre de réformes doivent être engagées immédiatement. Nous disposerons d'une fenêtre d'environ un mois, entre la proclamation des résultats du second tour et le départ de René Préval, pour effectuer les changements constitutionnels qui ont été approuvés à l'occasion du premier tour. Outre de nouvelles procédures électorales, il s'agit de modifier les règles qui régissent les investissements privés extérieurs. Si le nouveau parlement adopte la réforme entre la mi-avril et la mi-mai, nous serons en mesure de faire démarrer l'économie sur des bases saines ; à défaut, il faudra attendre cinq ans pour que l'occasion se présente à nouveau.
Ce ne sont pas les projets qui manquent : ceux que la commission intérimaire a adoptés représentent un total de pas moins de 3 milliards de dollars et elle a pu en financer la moitié. Le problème tient surtout au déblocage des fonds, qui est très lent, la crise politique intervenue dans le sillage des élections l'ayant encore freiné, la communauté internationale préférant attendre d'être certaine que la situation s'était stabilisée. Il faut que le rythme s'accélère pour que les projets commencent à être mis en route et que l'on change véritablement de braquet.
Un mécanisme anti corruption a vu le jour au sein de la commission intérimaire. Nous formons le voeu qu'il soit opérationnel d'ici quatre semaines. Si tel est le cas, nous aurons à notre disposition un dispositif offrant un degré de protection raisonnable, au moins pour les projets déjà approuvés. Le FMI et la Banque mondiale ont fait un travail remarquable avec la banque centrale haïtienne et le ministère des finances. La collecte fiscale a été améliorée et les rentrées sont supérieures aux prévisions. On voit là que certaines capacités ont été instaurées, mais tout cela est embryonnaire et doit être renforcé. Les principaux problèmes se poseront lors du lancement des projets majeurs d'achat de fournitures. Un grand nombre de ces projets seront menés par les grandes banques, donc protégés, de même que ceux que financera le Fonds haïtien de reconstruction, qui comporte un mécanisme de contrôle. Nous nous efforçons de mettre toutes les informations sur Internet afin de favoriser la transparence et la responsabilité et ainsi d'impliquer l'ensemble de la société civile et pas seulement la communauté internationale. Tel est le défi auquel nous sommes confrontés.
Nous avons dépêché sur place – et la France a apporté en la matière un concours précieux – près de 20 magistrats pour aider à la formation des futurs juges haïtiens. Ce programme sera poursuivi. Nous sommes partenaires de tous ceux qui oeuvrent en faveur du rétablissement de l'état de droit. Nous pensons surtout qu'il faut favoriser un dialogue national sur le développement, parvenir à un consensus populaire débouchant sur un plan d'action. Le peuple haïtien doit pouvoir prendre des décisions, en fonction desquelles les fonds seront débloqués par la communauté internationale. Cette dernière ne doit pas être la seule motivée par le rétablissement de l'état de droit : nous avons besoin que des voix s'élèvent à l'intérieur du pays pour dire ce que veulent les Haïtiens, nous ne pouvons pas décider à leur place ! Des millions de dollars ont déjà été investis. Si ces projets n'ont pas abouti, c'est sans doute parce que nous manquions de soutien au sein des forces vives du pays.
M. Dufau a évoqué l'ambiguïté de la reconstruction par rapport à la construction ex nihilo. Dans les camps, nous donnons aux victimes du séisme de l'eau, de la nourriture, des livres. Mais, même en temps ordinaire, tous les Haïtiens n'ont pas à boire, à manger et à lire. Ceux qui se trouvent dans les camps ne sont donc pas les seuls demandeurs. Lorsque nous avons commencé à distribuer cette aide, la population à l'extérieur des camps a voulu s'y installer pour pouvoir y accéder… On mesure bien de la sorte à quel point il est nécessaire d'aller au-delà de l'assistance et de mener une politique qui vise tous les Haïtiens. C'est pour cela qu'il est si difficile de passer de l'aide d'urgence à l'aide tout court.
Dans le système onusien et au PNUD, nous devons reconstruire non pas pour les seuls occupants des camps mais avec les communautés. Nous essayons actuellement d'y favoriser la construction et la reconstruction de maisons et la création d'emplois, mais aussi de services car c'est ainsi que les gens auront envie de quitter les camps pour retourner chez eux. À Port-au-Prince, il est fort difficile de construire des logements pour les réfugiés en raison de graves problèmes fonciers, de l'absence de cadastre et d'une pénurie de logements déjà criante.
Le modèle de Léogâne a fait ses preuves ; nous l'appliquons à Port-au-Prince ; nous travaillons dans 17 communautés. Ainsi commence-t-on à apercevoir un peu de lumière au bout du tunnel.
La question de la coordination et du rôle du PNUD est très intéressante. Notre premier rôle a été d'être chef de file afin de proposer des solutions novatrices que d'autres pourraient appliquer à plus grande échelle à nos côtés. Nous devions également épauler le gouvernement et aider le Premier ministre, qui est le véritable patron de l'effort de reconstruction et qui copréside la commission intérimaire. Nous essayons de faire en sorte qu'il soit en mesure de prendre des décisions suivies d'effets. Cela suppose en particulier de mettre des compétences et des moyens à la disposition du gouvernement : ainsi, le ministère de la justice ne disposait même plus de locaux et nous lui avons fourni des bureaux, des ordinateurs, mais aussi, je l'ai dit, des juges. Nous devons donc renforcer les capacités de l'État afin que, en dépit de sa faiblesse manifeste, il puisse enfin jouer son vrai rôle.
J'ignore les raisons exactes pour lesquelles les choses sont aussi difficiles en matière d'adoption. Le cadre juridique pose problème : il faut trouver un équilibre délicat entre la protection des enfants et leurs chances d'être adoptés. L'Unicef travaille énormément et j'espère que le résultat sera à la hauteur. Il y a eu, au début, d'importants problèmes avec les mécanismes d'adoption et avec les promesses qui avaient été faites aux familles. La procédure de protection a été améliorée et les adoptions vont pouvoir reprendre, mais il faut faire preuve en la matière de la plus grande prudence.