Je suis très honorée de m'adresser à vous au nom du programme des Nations Unies pour le développement et en tant que représentante des Nations unies au sein de la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti.
Ces treize derniers mois, Haïti a connu la période la plus traumatisante d'une histoire pourtant déjà bien perturbée. Bien que vous les connaissiez fort bien, je rappelle les faits. Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre a, selon les dernières informations gouvernementales, tué 330 000 personnes et en a blessé 300 000. Près de 3,5 millions de personnes ont été directement affectées, soit le tiers de la population totale.
Le Gouvernement a perdu 33 % de ses fonctionnaires et 20 % de ses forces de police. Sur 17 prisons, 8 ont été totalement ou partiellement détruites et 60 % de la population carcérale totale se sont échappés.
Pas moins de 60 % des bâtiments administratifs et gouvernementaux ont été détruits, ce qui a encore affaibli les maigres capacités de cet État.
Près de 200 000 maisons ont été détruites ou gravement endommagées, ainsi que 80 % des écoles à Port-au-Prince et 60 % dans les autres zones affectées. Au total, on estime que le séisme a produit 10 millions de mètres cubes de débris.
En 47 secondes, le pays a perdu 120 % de son PIB 2009, ce qui a stoppé net les avancées économiques et sociales qui avaient commencé à apparaître les années antérieures et qui a bien sûr mis à bas la prévision de croissance de 4 % pour 2010. Alors que le rapport intermédiaire du PNUD de mars 2009 estimait qu'Haïti pouvait atteindre trois des objectifs du millénaire pour le développement – universalisation de l'éducation primaire, baisse de la mortalité infantile et lutte contre le VIH et le SIDA –, il est désormais admis que le pays n'en atteindra aucun. Cela illustre bien les sévères impacts de ce tragique événement.
Le tremblement de terre de janvier a été suivi, en octobre 2010, d'une épidémie de choléra sans précédent, qui s'est rapidement étendue à d'autres parties du pays. À ce jour, elle a affecté plus de 230 000 personnes et en a tué 4 539. Grâce aux efforts engagés, le nombre de nouveaux cas recensés chaque semaine est tombé de 12 000 à moins de 4 000 et la mortalité s'est réduite : on est ainsi désormais proche de ce qui est habituellement observé dans de telles épidémies. Cela n'aurait pas pu être obtenu sans le soutien efficace de la communauté humanitaire et sanitaire internationale.
Le 28 novembre 2010, le pays a organisé le premier tour des élections présidentielles et législatives. L'annonce des premiers résultats des présidentielles, le 6 décembre, a provoqué nombre de réactions et de manifestations, des accusations de fraude étant portées contre le candidat du parti au pouvoir.
Enfin, on ne saurait oublier les effets de l'ouragan qui a frappé un pays déjà considérablement affaibli.
J'en viens aux résultats et aux succès qui ont été obtenus grâce aux efforts conjugués des communautés nationale et internationale.
Une fragile stabilité politique a été retrouvée lorsque la commission électorale provisoire a annoncé qu'elle acceptait les recommandations de l'Organisation des États américains et a désigné Mirlande Manigat et Michel Martelly comme candidats appelés à s'affronter au second tour de la présidentielle. Cette nouvelle a été bien accueillie dans le pays, même si certains ont continué à demander l'organisation de nouvelles élections, ce qui aurait obligé à repartir de zéro. Il s'agit donc d'une étape importante dans la résolution de la crise politique. Selon le calendrier, le second tour aura lieu le 20 mars ; les premiers résultats seront publiés le 31 mars et les résultats définitifs sont attendus le 16 avril. Le PNUD a géré l'ensemble du financement international destiné au cycle électoral 20102011 et apporte son appui technique à l'organisation des scrutins législatif et présidentiel.
Du point de vue humanitaire et de la reconstruction, un certain nombre de projets ont été menés à bien, en dépit des difficultés rencontrées et des erreurs qui ont été commises. Au coeur de la crise, 1,5 million de personnes vivaient dans des camps d'urgence. Plus de 11 000 latrines ont été construites. Aujourd'hui, selon les dernières estimations, un hébergement d'urgence est encore fourni à 810 000 personnes. La population des camps continue à décroître.
Dans les six semaines qui ont immédiatement suivi le séisme, le Programme alimentaire mondial a fourni de la nourriture à quelque 4 millions d'Haïtiens. Deux millions de personnes continuent à bénéficier de cette aide, auxquelles s'ajoutent 1,1 million d'enfants qui reçoivent chaque jour des repas du Programme national de nutrition scolaire.
Au plus fort de l'urgence, plus de 1,7 million de personnes recevaient régulièrement de l'eau potable ; ils sont encore 1,2 million. Aucune épidémie majeure n'a été enregistrée dans les camps.
À ce jour, plus de 2 millions de m3 de gravats ont été évacués. Le processus peut désormais s'accélérer et un nombre croissant de sites deviennent accessibles. L'expérience menée par le PNUD à Léogâne, qui a été l'épicentre du séisme, ouvre la voie à des projets similaires à Port-au-Prince : en misant sur la communauté locale, on est parvenu à évacuer 70 % des gravats, grâce à la participation des autorités locales, du secteur privé, des ONG et de la population sinistrée qui a pu être employée et qui a dans le même temps participé à la reconstruction.
Les programmes « rémunération contre travail » développés par le PNUD, les Nations Unies et d'autres partenaires, y compris des donateurs bilatéraux, ont permis de donner un travail à court terme à 500 000 personnes, dans des activités comme le déblaiement, le ramassage des déchets, etc.
Plus de 95 % des enfants qui étaient scolarisés avant le tremblement de terre ont retrouvé le chemin de l'école.
Tout ceci a été rendu possible par la formidable réponse internationale à la tragédie haïtienne : en mars 2010, lors la Conférence ministérielle co-organisée par les États-Unis et par les Nations Unies, en coopération avec le gouvernement haïtien et avec le soutien du Brésil, du Canada, de l'Union européenne, de la France et de l'Espagne, les donateurs ont promis de verser 5,57 milliards de dollars, 2 milliards ayant effectivement été engagés en 2010. Fin décembre, les donateurs avaient déboursé 64 % des montants promis – 30 % si l'on retranche du total les annulations de dette. 23 % de ces sommes sont passées par la Commission intérimaire de reconstruction coprésidée par le Premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, et par l'ancien président américain Bill Clinton. Son bureau est composé pour moitié d'Haïtiens représentant le gouvernement et la société civile et pour moitié de représentants des principaux pays contributeurs et des organisations internationales. La France a contribué au Fonds afin de lui permettre de répondre de façon plus rapide et plus efficace aux priorités du Gouvernement. Le représentant français, Pierre Duquesne, a beaucoup participé aux travaux et s'est montré extrêmement efficace dans la mise en oeuvre de la coopération bilatérale, des partenariats public-privé et des partenariats avec le gouvernement haïtien. En décembre dernier, le Fonds avait donné son accord à un certain nombre de projets s'inscrivant dans le plan national, pour un montant total de 3 milliards de dollars. La Commission est un lieu adapté pour la coordination, le dialogue stratégique et la complémentarité entre l'aide bilatérale et multilatérale et les acteurs privés ainsi que les organisations internationales et nationales et le gouvernement d'Haïti. N'oublions pas enfin le rôle joué par la coopération décentralisée.
Tous ces exemples montrent que d'importants progrès ont été réalisés. Des défis éminents demeurent toutefois.
Il convient en premier lieu d'insister sur le faible succès des interventions contre les violences à l'encontre des femmes, qui demeurent un grave problème, à l'intérieur comme en dehors des camps.
Il est fort lent de passer de la phase humanitaire à une phase de développement. Ce tremblement de terre dévastateur et les crises qui ont suivi ont exaspéré les défis auxquels Haïti était déjà confronté : faibles capacités administratives, centralisation excessive, vulnérabilité économique, disparités socio-économiques extrêmes et pauvreté chronique, dégradation de l'environnement, insécurité, fragilité de l'état de droit.
En fait, nous participons non seulement à l'effort de reconstruction, mais aussi à une transformation qui doit impliquer ceux qui ont été affectés par le tremblement de terre comme l'ensemble de la population qui est confrontée, tout autant que les réfugiés, à d'importants besoins.
Restaurer les capacités de l'État à fournir les services de base prend beaucoup de temps. Cela suppose un calendrier précis ainsi qu'un apport de ressources suffisant pour passer d'un soutien essentiellement humanitaire à un effort centré sur le développement.
La communauté humanitaire est préoccupée : en dépit des progrès, l'appel humanitaire pour 2011 n'est financé qu'à hauteur de 9 %. Or, cet appel inclut les efforts destinés à reloger quelque 810 000 personnes déplacées, à prévenir et à traiter le choléra, à préparer la prochaine saison cyclonique.
En matière de reconstruction, il faut intensifier et accélérer les projets. La population a été patiente, mais les besoins et la souffrance sont grands. Il est indispensable de remédier au manque de capacités et à la lenteur dans l'engagement des fonds. Fournir, au niveau de chaque communauté, des services en matière de relogement et d'évacuation des gravats est la façon la plus rapide de relancer l'économie, de créer des emplois et des petites entreprises, de permettre à la population de réinvestir ses lieux de vie.
La concentration des efforts à Port-au-Prince a été excessive, bien que la décentralisation et la gestion territoriale figurent explicitement dans le plan d'action national pour la reconstruction et le développement. Ces aspects ont été au coeur de la coopération française et doivent le demeurer. La coopération décentralisée à laquelle nombre d'entre vous avez contribué au profit des communautés locales haïtiennes est fort précieuse. Afin de participer à cet effort, le PNUD et le gouvernement haïtien préparent des documents en vue de la réduction du risque sismique, ce qui est une condition de la gestion territoriale et de la planification urbaine. Un engagement politique bien plus fort apparaît indispensable.
Je souhaite enfin insister sur trois points très importants.
Tout d'abord, comme l'a souligné Edmund Mullet, représentant spécial pour Haïti du Secrétaire général des Nations Unies, « le manque d'état de droit a miné la confiance du peuple dans son gouvernement, a favorisé la corruption et contribue grandement à l'instabilité politique. L'état de droit, c'est bien sûr la police, la justice et les prisons ; mais c'est aussi un cadastre, un registre d'état-civil, un code de la construction et de l'urbanisme, un code du commerce, la capacité de l'État de collecter les impôts, de garantir un niveau de sécurité, de favoriser les investissements et la création d'emplois, de faciliter le développement économique. » Nous devons d'autant plus réfléchir à tout ceci que, après avoir consacré tant d'années et tant de ressources à des projets dans cette zone, les résultats demeurent bien faibles. Sans doute l'explication tient-elle pour partie au fait que « les interventions en faveur de l'état de droit demeurent largement conduites par les donateurs alors que, pour que l'état de droit entre dans les faits, il doit être le fruit d'initiatives locales ». Les Nations Unies et le PNUD ont en la matière un rôle d'impulsion à jouer.
Je veux ensuite souligner la grande volatilité des prix de la nourriture et de l'énergie. Cet important sujet est à l'ordre du jour de la présidence française du G20.
Enfin, à l'évidence, il n'est pas possible de reconstruire un pays projet par projet. Les seuls qui peuvent produire un effort à la hauteur requise par la reconstruction et la transformation d'Haïti sont les Haïtiens eux-mêmes. Pour cela, ils ont besoin non seulement d'un soutien mais aussi d'un cadre politique, de normes, de mécanismes, de crédits, d'assistance technique, de semences, d'un gouvernement capable, de bonnes politiques, de règles leur permettant de construire un avenir meilleur pour eux-mêmes et pour leurs familles. Un transfert démocratique et pacifique du pouvoir, en avril prochain, une vraie vision des responsables politiques, une communauté internationale engagée et responsable peuvent offrir une telle chance à Haïti.