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Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 10 mars 2011 à 9h35
Immigration intégration et nationalité — Article 30, amendements 142 276

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

Le dispositif que propose cet article 30 n'est pas dans les clous de la directive « retour », puisque, comme l'a très justement dit Sandrine Mazetier et comme vient de le rappeler Noël Mamère, seules deux conditions dans la directive « retour » pouvaient justifier ces mesures particulières : le risque du délit de fuite et le fait que le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement.

Ce sont les deux conditions de la directive. Or, bien évidemment, vous ne les retenez pas. Par ailleurs, comme cela a été souligné, vous n'utilisez pas l'article 7 alinéa 3 de la directive, qui prévoit d'autres dispositifs. Mais la directive prévoit ces dispositifs en ouvrant le champ du non-placement comme un modèle systématique, puisqu'elle permet de laisser la personne libre, avec l'obligation de répondre à une demande de présentation devant l'autorité administrative. La directive « retour » ouvrait un champ de mesures beaucoup plus large que votre texte, avec notamment le dépôt de garanties financières adéquates, la remise de documents, ou la demeure en un lieu déterminé.

Votre démarche n'est donc pas celle de la directive « retour », et elle est l'expression de votre intention de systématiser le placement en rétention. Celui-ci doit pourtant être l'exception, puisque c'est une privation de liberté individuelle, et qui n'intervient pas dans le cadre d'une sanction pénale.

Vous faites cela, mais vous pouviez faire autrement, en restant dans les clous de la directive « retour ». Je ne salue pas cette directive, mais on peut au moins considérer qu'elle avait ouvert d'autres stratégies possibles. Vous pouviez y recourir avec toute l'efficacité que vous visez, s'agissant de s'assurer de la présence des gens, de faire en sorte qu'ils ne fuient pas et qu'ils préparent leur départ.

Votre stratégie allonge les obligations de la directive « retour », et n'utilise pas les éléments de la directive qui permettent d'éviter le placement en rétention. Enfin, je vous rappelle un dernier élément : le texte initial voté par l'Assemblée prévoyait un délai de cinq jours. Le Sénat a ramené ce délai à 48 heures, mais la commission, avec le Gouvernement, l'a de nouveau porté à cinq jours.

Je pense que le débat entre le Sénat et l'Assemblée sur ce sujet illustre bien la réalité des fondements de votre démarche, et des critiques que l'on peut lui adresser. Le Sénat a bien mis en relief sur ce point la notion de privation de liberté, et l'exigence de réduire au maximum la durée de cette privation de liberté puisqu'elle n'est pas une sanction pénale, mais simplement une mesure d'administration que l'État utilise pour assurer l'efficacité de la mesure qu'il a prise.

C'est pourquoi j'espère qu'il se passera quelque chose en commission mixte paritaire. Dans tous les cas, nous voyons bien qu'il n'y a pas les angéliques droits-de-l'hommistes d'un côté, et de l'autre côté ceux qui défendent les intérêts de l'État, de notre pays, et de la société. Nous touchons à une autre réalité. Dans un pays, c'est la prison qui montre le degré d'attachement à la liberté individuelle. C'est fondamental. La manière de jauger l'attachement d'un corps social à la liberté se mesure en allant dans les prisons. Car la privation de liberté n'est pas la seule sanction dans les prisons, il y en a beaucoup d'autres : l'appauvrissement moral, le risque de santé, la perte de liens avec sa famille, qui s'y ajoutent.

Ainsi la privation de liberté n'est pas un problème, c'est une faute. Une faute que nous assumons tous : tant qu'elle ne sera pas totalement surmontée, nous continuerons à avoir cette responsabilité. Le placement en rétention est une privation de liberté, et c'est là, en l'état actuel de notre droit, l'ultime sanction.

Quand elle n'est pas une sanction, mais une mesure destinée à faciliter administrativement une décision de l'État, elle doit être utilisée d'une manière encore plus précautionneuse. D'une certaine manière, vous êtes plus durs avec ceux qui, n'ayant commis aucun fait pénal, sont privés de liberté, qu'avec ceux qui sont en détention.

Chaque point de ce débat nous fait visiter des points fondamentaux de notre conception du corps social, et les modalités dans lesquelles on peut favoriser son développement, son épanouissement, dans l'intérêt des citoyens. Là est le fond du débat, et je suis désolé qu'on l'aborde comme le fait ce texte de loi, et qu'on le conclue de la façon dont ce texte sera finalement adopté.

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