Monsieur le Président, je tiens tout d'abord à vous remercier de nous avoir confié cette mission. Comme vous l'avez dit, c'est la première fois que nous appliquons l'article 145-7 de notre Règlement, issu de la révision constitutionnelle de 2008. Maxime Bono et moi-même avons travaillé en bonne intelligence et dans un climat de confiance, dans un délai d'autant plus resserré que nous participons aussi aux travaux de la commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire, créée à la fin de l'année dernière.
Dans le cadre de la présente mission, notre but n'était pas de proposer de nouvelles modifications législatives mais plutôt de vérifier que le texte était bien appliqué, et, en auditionnant les mêmes personnes que j'avais eu le plaisir d'entendre au moment de l'élaboration du texte, de recueillir leur appréciation sur l'ensemble du dispositif législatif. Cela n'a pas toujours été facile, du fait notamment de l'entrée en fonction tardive de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), dont la création est au coeur du texte, mais nous avons tenu à interroger l'ensemble de nos interlocuteurs sur leurs éventuels regrets ou propositions d'amélioration. Il s'agissait de vérifier que nous n'avions pas commis trop d'erreurs, par omission ou par mauvaise action…
Nous avons donc conduit une douzaine d'auditions au cours du dernier trimestre, principalement avec les interlocuteurs « naturels » du secteur : le ministre chargé des transports, la SNCF, RFF, l'ARAF, l'ACNUSA, plusieurs organisations syndicales représentatives des différents modes de transport, ainsi que des entreprises de transport ou divers organismes que nous n'avions pas forcément reçus en 2009 et qui nous ont saisis dans le cadre de cette mission.
Envisagé à l'origine comme un ensemble de dispositions techniques destiné à achever la transposition des différents paquets ferroviaires européens, le projet de loi s'est sensiblement étoffé au cours des travaux parlementaires. Il est vrai que ceux-ci se sont déroulés sur une période particulièrement longue, presque dix-huit mois séparant la date de dépôt du texte – juillet 2008 – de sa promulgation, en décembre 2009. Décliné en 53 articles contre 29 au moment de son adoption par le Conseil des ministres, le texte se présente comme un ensemble législatif complet, qui modifie en profondeur le cadre juridique organisant les quatre principaux modes de transport : ferroviaire, routier, aérien et maritime, avec, comme nous l'avons vu ce matin au cours de la table ronde sur le pavillon français, la création de l'École nationale supérieure maritime, par regroupement d'établissements existants.
Dans le domaine ferroviaire, qui se place au coeur de la loi, le texte constitue le troisième élément d'un triptyque composé de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 et de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du secteur ferroviaire, laquelle – je tiens à le rappeler à chaque occasion – a entraîné le transfert de la dette de la SNCF à RFF, pour un montant qui avoisine aujourd'hui 30 milliards d'euros.
En tant que rapporteurs, notre mission consistait à vérifier que les dispositions de nature réglementaire prévues dans la loi avaient bien été prises ou allaient l'être, et de rappeler le souhait du Parlement de voir honorer les engagements pris par le Gouvernement à son égard, qu'il s'agisse de la remise de rapports sur des sujets ciblés ou d'un effort global des services concernés pour rendre la loi plus lisible et facilement applicable. Même si nous y reviendrons sans doute ultérieurement, je rappelle qu'aux termes des articles 6 et 7 de la loi, les rapports demandés au Gouvernement concernent respectivement un éventuel transfert des gares et embranchements de fret à un établissement public qui pourrait être RFF, en vue de favoriser l'émergence d'opérateurs ferroviaires de proximité (OFP), et un plan d'apurement de la dette de RFF. Alors que ces rapports étaient attendus dans les six mois, force et d'admettre que nous n'avons rien vu venir !
Au final, je me félicite de l'adoption par le Parlement de dispositions très attendues qui mettent la France à l'abri d'un risque contentieux auprès des autorités communautaires, avec, en particulier, la création de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires. Il convient aussi de saluer le caractère très complet d'un texte qui traite de tous les modes de transport et de l'ensemble des enjeux des différents secteurs, ainsi que du nombre limité de difficultés d'interprétation mises au jour au cours des auditions, sous réserve que la parution de la totalité des textes d'application n'en suscite de nouvelles.
En revanche, je regrette, après la lenteur du processus législatif proprement dit – dix-huit mois soit le temps de deux gestations ! - , le rythme peu soutenu de prise de la vingtaine de décrets d'application prévus dans le texte, le taux d'application de la loi au 31 décembre 2010 n'atteignant pas 35 %, ce qui constitue un résultat vraiment insuffisant. Nous a été particulièrement signalée l'attente que suscitent deux d'entre eux : le décret relatif à la nouvelle gestion des gares et celui relatif à l'organisation de la nouvelle Direction des circulations ferroviaires (DCF), qui regroupe les « horairistes ». Je déplore également les délais excessifs d'installation de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, dont l'article 62 de la loi «Grenelle II» a de surcroît différé l'entrée en fonction au 1er décembre 2010. Il n'a pas été tenu compte de nos avertissements répétés, au moment de l'adoption du texte, sur le caractère excessif du régime d'incompatibilité initialement prévu. C'est pourquoi il a fallu le modifier dans la loi « Grenelle II » pour permettre à notre ancien collègue Pierre Cardo d'accéder à la présidence de l'ARAF.
Il nous a en outre été signalé que la localisation du siège de l'ARAF au Mans posait des difficultés de recrutement qui devront rapidement trouver une solution. Maxime Bono confirmera sans doute que deux arguments principaux nous ont été présentés : d'abord, les destinations « naturelles » des membres de l'ARAF se situent plutôt à Bruxelles ou à Strasbourg, lesquelles ne se situent pas vraiment dans l'axe direct du Mans ; ensuite, le fait que l'Autorité – censément indépendante – n'ait pas eu à choisir de son implantation complique la montée en charge du plan de recrutement de ses cadres, notamment les plus spécialisés d'entre eux.
Au-delà d'un satisfecit global sur la qualité du texte, obtenu grâce à la détermination des parlementaires, je souhaite exprimer deux réserves : d'abord, l'absence de recul suffisant –l'ARAF ne peut se prévaloir que d'un trimestre d'activité et le dispositif réglementaire reste incomplet – interdit de porter un jugement définitif sur l'ensemble du système mis en place ; ensuite, le manque de dynamisme du secteur économique concerné, du fait de la crise, peut fausser les appréciations. Alors qu'il nous était annoncé qu'un grand nombre de candidats à l'entrée sur le marché allaient se manifester, au point que la répartition des sillons risquait d'être problématique, seule l'entreprise Trenitalia a finalisé une demande pour une liaison Milan-Paris et l'ouverture à la concurrence – en particulier dans le domaine de la grande vitesse – a, pour le moment, des effets relativement limités.
Sans doute faudra-t-il par conséquent pousser plus avant le contrôle de l'application de cette loi, afin de la mettre à l'épreuve du temps long. Selon les études disponibles, dans dix ans, les concurrents de la SNCF devraient détenir 10 % du marché de la grande vitesse, ce qui pourrait déclencher une guerre tarifaire, la plupart des entreprises ferroviaires alternatives présentant des coûts d'exploitation bien inférieurs à ceux de l'opérateur historique.
Par rapport à la loi de 1997, la loi ORTF crée un dispositif très complet qui en fait la loi fondatrice du système ferroviaire français. L'existence du gendarme ferroviaire que constitue l'ARAF permettra de prévenir bien des conflits, notamment entre la SNCF et RFF. Au cours des auditions, nous avons également été rassurés sur la capacité des horairistes à bien s'intégrer dans leur nouvel environnement de travail, le poids des cultures d'entreprise d'origine n'étant plus aussi fort que dans le passé. Chacun joue son rôle sans « guéguerre de statut » ni arrière-pensée, et cela constitue un point particulièrement positif.
Si l'organisation du secteur ferroviaire constitue la raison d'être du texte, je rappelle que la loi consacre les huit articles de son titre VI au secteur aérien, avec des dispositions particulièrement sensibles, voire conflictuelles à l'origine et qui pourraient le redevenir à la faveur des élections professionnelles qui seront prochainement organisées. Elles ont trait aux conditions de travail, à la représentativité syndicale des personnels navigants, au comité d'hygiène et de sécurité (CHS) et au régime de retraites.
Lorsque nous les avons auditionnés, les syndicats représentatifs de ce secteur ont fait valoir que la loi, si elle ne répondait pas forcément à toutes les attentes, ne posait pas de difficulté particulière d'application, sous réserve que la ratification de l'ordonnance de codification de la partie législative du code des transports intervienne bien à droit constant.
Dans le secteur routier, les dispositions d'ordre technique des titres IV et V de la loi ne soulèvent pas de difficultés particulières dans la mesure où il s'agissait pour l'essentiel de mesures de régularisation de situations préexistantes ou d'adaptations juridiques formelles. Les évolutions apportées au régime du cabotage n'ont pas suscité non plus de demandes particulières. Les auditions réalisées – notamment celles de Veolia et d'Optile – ont mis en évidence le regret de plusieurs acteurs du monde des transports routiers que les mesures un temps envisagées visant à faciliter le transport interrégional de voyageurs par autocar – via un amendement défendu notamment par notre collègue Hervé Mariton – n'aient pas été prises, même si cette décision se justifiait par le souci de ne pas troubler le jeu alors que le rapport sur l'ouverture des TER et des liaisons ferroviaires interrégionales n'a pas paru. Dans nombre de situations, l'existence de liaisons interrégionales par autocar faciliterait la vie des voyageurs et elle serait sans doute écologiquement responsable, dans la mesure où toutes les lignes de voyageurs ne sont pas électrifiées et où l'absence de liaison par autocar se traduit plus souvent par le recours à la voiture individuelle que par un arbitrage en faveur du train.