Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi s'inscrit dans la droite ligne de la politique migratoire initiée en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, et se résume en deux mots : méfiance et stigmatisation.
Ouvertement présenté comme un instrument au service de la lutte contre l'insécurité, ce texte entend principalement faciliter le renvoi des étrangers en situation irrégulière. Il relaie l'amalgame démagogique entre immigration et insécurité. Sous couvert de transposer des directives européennes, il durcit et modifie en profondeur le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA.
Comme le note très justement le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable, « il ne s'agit pas d'une réforme banale de la réglementation relative aux étrangers, mais d'un tournant à la faveur duquel la France instaure des régimes d'exception permanents à l'encontre des étrangers et renonce au principe d'égalité des êtres humains inscrit dans la Constitution et dans tous les textes internationaux qui, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, se sont efforcés d'interdire le racisme d'État. »
Avant de revenir sur les principales dispositions de ce projet de loi, je ne peux manquer ici de dénoncer l'attitude de la France et de l'Union européenne agitant le spectre d'une invasion de migrants consécutive aux révolutions arabes. Lors de son allocution du 27 février, le Président Nicolas Sarkozy, crispé sur les conséquences qu'il juge potentiellement catastrophiques du « printemps des peuples arabes », a évoqué des flux migratoires pouvant devenir « incontrôlables ». Dès votre prise de fonction, lundi 1er mars, vous-même, monsieur le ministre, avez pressé l'Union européenne de se mobiliser davantage contre les clandestins, en déclarant qu'il était nécessaire, « face à des bouleversements de nature historique », de « lutter contre l'immigration irrégulière ».
Le Premier ministre, quant à lui, avait annoncé : « Avec les autres pays européens, nous ferons preuve d'une très grande fermeté à l'égard de l'immigration illégale ».
Comment ne pas être pour le moins étonné que la patrie des droits de l'homme, qui se targue d'avoir une tradition d'accueil, se préoccupe essentiellement de se barricader contre l'afflux de migrants potentiels plutôt que de soutenir les peuples qui luttent pour la liberté et la démocratie ?
Cela est d'autant plus étonnant que, sur le terrain, du côté des associations, on constate l'absence de mouvements massifs. Qu'il vienne du Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés, dans le camp de transit à la frontière entre la Libye et la Tunisie, ou de l'Organisation internationale pour les migrations, l'OIM, le constat est le même : « La majorité absolue des gens qui transitent ici n'ont qu'un souci: rentrer chez eux. [...] Ils n'ont même pas de quoi se payer à manger. Alors, se payer le passage vers l'Europe, c'est irréaliste. »
« On a eu connaissance d'aucune autre traversée ces derniers temps. C'est minime comparé à l'afflux de réfugiés observés en Egypte et en Tunisie», indique Jemini Pandya, porte-parole de l'OIM.
En résumé, alors qu'un vent de liberté souffle dans le monde arabe, la France et, plus largement, l'Union européenne, se présentent comme un continent agressé qui doit défendre ses frontières contre les migrants. Nous ne pouvons accepter cette vision d'une Europe qui se présente comme un monde libre, mais dans une prison fermée de l'intérieur.
Pour terminer sur ce point, le porte parole de l'OIM affirme que « ceux qui crient au loup, qui agitent des épouvantails, sont irresponsables. Ce type de discours sert à ériger des barrières encore plus hautes et a pour conséquence de nourrir la xénophobie en Europe ».
Mais n'est-ce pas là votre dessein ? À la lecture du projet de loi, et vu le rétablissement en commission des lois de plusieurs mesures phares supprimées par le Sénat, on peut légitimement se poser la question.
Ce projet de loi, nous l'avons dit en première lecture, a pour objet la maîtrise autoritaire de l'immigration avec, d'une part, le renforcement du concept de l'immigration choisie, symbolisé par la fameuse carte bleue européenne, et, d'autre part, la multiplication des dispositions restrictives et répressives à l'encontre de tout étranger, depuis son arrivée en France jusqu'à son expulsion.
En effet, tout d'abord, vous entendez refouler « plus facilement » les étrangers en créant une fiction juridique : les zones d'attente dites « sac à dos ». Elles permettraient de considérer que, bien que se trouvant en France, les étrangers seraient juridiquement à sa bordure, en train d'y pénétrer. Cette fiction juridique a pour objet essentiel de faciliter le refoulement, chacun l'aura compris. En effet, en l'absence de zone d'attente clairement identifiable, les éventuels étrangers demandeurs d'asile seront privés de tout accès effectif à leurs droits : pas d'avocat, pas d'interprète, pas d'association, pas de moyens matériels – fax, téléphone. Loin de tout regard, il sera plus aisé de renvoyer les étrangers sans même étudier leurs demandes d'asile.
Cette mesure est grave, car elle empêchera les intéressés de faire valoir leur éventuelle qualité de réfugiés, assouplira considérablement les règles en matière de notification des droits de ces derniers, et restreindra les pouvoirs du juge des libertés et de la détention.
Dans la continuité, vous avez méthodiquement instauré une méfiance généralisée envers les étrangers, qu'ils soient ressortissants européens – sanction des abus du droit au court séjour qui vise implicitement les Roms –, qu'ils soient en voie de régularisation – remise en cause du droit au séjour pour les étrangers gravement malades –, titulaires d'un titre de séjour – pénalisation des mariages gris, durcissement des conditions pour le renouvellement de la carte de séjour –, ou postulants à l'acquisition de la nationalité française : contrôle de l'assimilation. Un contrôle fait par qui ? Par un agent de l'État ? Par une commission, à travers la signature « symbolique » d'une charte des droits et devoirs aux contours pour le moins flous ?
Bien entendu, nous retrouvons aussi, en cette deuxième lecture, malgré les événements de tout à l'heure, la trop fameuse disposition étendant la déchéance de nationalité aux Français d'origine étrangère auteurs d'un crime ou de violences volontaires contre un dépositaire de l'autorité publique qui incarne l'État et l'ordre public. Cette disposition avait été heureusement supprimée par le Sénat.
Cette mesure particulièrement grave et discriminatoire distinguant selon leur origine deux catégories de Français, ceux ayant acquis la nationalité – les « Français de papier » – et ceux qui l'auront toujours eue en raison de leur naissance – les « Français de souche » –, a suscité et suscite encore des réactions vives de la part de juristes.
« À infractions très graves, sanctions très lourdes, soit », nous dit le professeur Guy Carcassonne. « Toutefois », précise ce sceptique de l'extension de la déchéance de nationalité aux infractions de droit commun, « la déchéance de nationalité ne peut pas être une sanction nécessaire au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme ». Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau, lui aussi opposé à ce que la déchéance de nationalité soit utilisée comme un instrument de politique pénale, est catégorique : cette mesure se heurte à la Constitution. Je le cite : « La seule manière de faire rentrer dans le droit le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble est de remettre en cause le principe de l'égalité de tous les Français devant la loi, sans aucune distinction de leur origine, ce qui reviendrait à supprimer ou modifier l'article 1er de la Constitution. »
« Priver une personne de sa nationalité, c'est comme la priver de son nom. C'est impossible, ça touche à l'intime », poursuit-il.