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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 8 mars 2011 à 15h00
Immigration intégration et nationalité — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

… une Europe forteresse cadenassée à double tour, repliée sur elle-même, livrant son industrie aux produits chinois, mais interdisant la libre circulation des hommes.

Dans votre texte, vous êtes d'une logique implacable : vous instrumentalisez l'Europe. En effet, trois directives européennes servent de prétexte à ce projet. Rappelons que l'adoption par l'Union, en 2008, de la directive sur les retours forcés – qualifiée à juste titre de « directive de la honte » – symbolise l'impasse des politiques européennes à l'égard des migrants.

Cette directive « Retour », compromis boiteux et répressif entre les vingt-sept États membres de l'Union, banalise le recours à l'enfermement, donc à la privation de liberté, comme à une méthode de gestion des personnes migrantes. Dans ce dispositif, les mesures suspicieuses et leurs conséquences répressives et sécuritaires sont totalement disproportionnées aux objectifs annoncés ; il consacre l'Europe forteresse.

Cette directive supposait déjà de considérer les migrants comme des intrus, des problèmes en soi, des charges déraisonnables. Mais votre texte accentue et aggrave cette orientation, car il va bien au-delà de ce qu'aurait du être une simple transposition.

Cette directive marquait un renoncement de l'Europe à ses propres valeurs. Dans le cas contraire, que dire des refoulements massifs vers la Libye auxquels a procédé le gouvernement italien ? Ne témoignent-ils pas de l'abandon, désormais explicitement assumé par certains États, du principe d'universalité des droits de l'homme ?

Votre texte inclut des dispositions contraires à nos engagements internationaux et à nos traditions. Nous connaissons pourtant fort bien les causes de ces migrations : les déséquilibres économiques et l'inégale répartition des richesses ; les écarts démographiques ; les conflits, notamment pour le contrôle des sources d'énergie ; l'absence de démocratie dans de nombreux pays du Sud ; les catastrophes climatiques ou écologiques. Nous savons par ailleurs que l'Europe, en raison de sa situation démographique, ne pourra se passer de l'apport de l'immigration.

Cette directive, que nombre d'associations de défense des droits humains et d'autres gouvernements ont dénoncée, apparaît comme un rempart. Quel triste paradoxe, pour celles et ceux – dont je suis – qui la considéraient comme une honte, que de devoir s'y référer pour freiner les ardeurs répressives et sécuritaires de votre politique, pour combattre les abus que vous prétendez introduire dans la législation par ce projet de loi ! En effet, vous auriez pu choisir le mieux-disant ; mais vous avez préféré le pire.

Venons-en à d'autres aspects du texte. Après la lecture au Sénat, notre commission des lois a rétabli toutes les dispositions contestées par nos collègues du Palais du Luxembourg. Au total, ce texte, qui est en contradiction avec la convention internationale des migrants de l'ONU, que la France refuse de signer, et avec la convention européenne des droits de l'homme, demeure inacceptable. Si les quelques améliorations apportées par le Sénat ne changeaient malheureusement rien au dispositif général du projet, elles permettaient au moins d'écarter quelques-unes de ses conséquences les plus ignobles en matière de droits humains.

Le Sénat avait ainsi supprimé l'article 17 ter, relatif au droit de séjour des étrangers malades. En première lecture, le rapporteur d'alors, Thierry Mariani, avait défendu un amendement subordonnant l'obtention de ce droit à l'inexistence de traitements dans le pays d'origine. Le terme finalement retenu fut celui d'« indisponibilité », qui ne nous convenait pas davantage.

Pour défendre le maintien de cette disposition au Sénat, le Gouvernement s'est appuyé sur un arrêt du Conseil d'État du 7 avril 2010, mais l'analyse ne tient pas : dès 1998, le ministre de l'intérieur écrivait aux préfets que la possibilité pour l'intéressé de bénéficier, dans son pays d'origine, du traitement approprié à son état dépendait non seulement de l'existence des moyens sanitaires adéquats, mais aussi de la capacité de la personne à y accéder. Cette circulaire n'a jamais été contredite. Elle a même été réaffirmée dans les instructions du ministère de la santé le 30 septembre 2005, le 23 octobre 2007 et le 29 juillet 2010.

L'idée d'un bénéfice effectif ou d'un accès effectif aux traitements doit donc être conservée. C'est ce qui a conduit les sénateurs à supprimer l'article. Si, dans de nombreux pays, les traitements de maladies comme le sida existent, ce n'est souvent que dans quelques sites, et à des tarifs prohibitifs ; l'ensemble de la population n'y a donc pas accès.

La notion de besoin effectif, réaffirmée à de multiples reprises depuis 1998 – je l'ai dit –, me paraît bien préférable à celle d'indisponibilité ; c'est celle que les médecins utilisent pour juger de la nécessité d'accéder aux soins. Ce qui est en jeu, c'est bien la capacité réelle d'une personne à accéder à ces soins, donc l'accessibilité financière, sociale, géographique. On sait aussi que certaines catégories de population, comme les femmes ou les homosexuels, peuvent faire l'objet de discriminations.

Nous récusons tout autant la notion d'indisponibilité que celle d'existence, proposée à l'origine, et nous ne comprenons pas l'entêtement du Gouvernement à réintroduire cet obstacle à l'entrée des étrangers malades. L'amendement qui le permet nous paraît d'autant plus dangereux qu'il pourrait conduire à restreindre l'accès à notre système de soins d'étrangers malades présents sur le territoire, au risque de favoriser des infections et des contagions.

Je suis indigné que le Gouvernement souhaite rétablir cette disposition. La France délivre chaque année 6 000 cartes de ce type : elle n'est donc pas menacée d'invasion. Cet acharnement risque d'accroître la vulnérabilité des personnes concernées, d'un point de vue tant sanitaire que politique. Il est du devoir de notre pays de ne pas les laisser courir des risques qui mettent en péril leur santé et leur liberté.

Enfin, le fait de reconduire à la frontière des personnes malades sans que des soins effectifs aient pu leur être garantis les condamne à une mort certaine. C'est contraire au droit de toute personne à être soignée.

Bref, l'amendement du Gouvernement qui vise à rétablir cet article est proprement scandaleux.

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