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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 8 mars 2011 à 15h00
Immigration intégration et nationalité — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons à nouveau du projet de loi « Besson », devenu loi Hortefeux, et qui revient donc maintenant à son vrai géniteur : Claude Guéant.

Cette loi traduit en actes l'orientation xénophobe du discours de Grenoble, prononcé alors que, secrétaire général de l'Élysée, vous inspiriez au jour le jour, monsieur le ministre, l'action du Président. En effet, ce texte rend encore plus précaire la situation des étrangers sur notre territoire et fait reculer plusieurs droits fondamentaux ; surtout, il contribue à alimenter un climat délétère dont le sondage du Parisien a montré les effets dévastateurs.

Nous discutons de ce texte dans un contexte tendu, exacerbé par la volonté de faire peur. Alors que votre Gouvernement – il n'est pas exagéré de le dire – a été en dessous de tout depuis le début des révolutions arabes, sa seule ligne cohérente consiste à annoncer l'invasion imminente de l'Europe par des centaines de milliers, voire par des millions d'étrangers. Vous prenez en otage les peuples du Maghreb, qui sont en train d'en finir avec les tyrannies que vous souteniez depuis des décennies.

Je vous le dis solennellement, monsieur le ministre : arrêtez cette politique xénophobe. Au lieu de faire des étrangers les cibles d'une politique discriminatoire, votre gouvernement, qui n'a que trop coopéré avec les despotes dans la chasse aux migrants, devrait enfin satisfaire le besoin urgent de solidarité internationale avec les peuples libérés sur l'autre rive de la Méditerranée.

Vous êtes en train de rater une chance historique. Vous en serez comptables devant les générations futures, quelles que soient les destinées des révolutions sociales et démocratiques des peuples arabes. Ce monde n'a pas besoin de lois qui renforcent les peurs et les haines xénophobes, mais de politiques ouvertes sur l'avenir, qui fassent triompher les valeurs universelles de la République : la démocratie, l'égalité en droits et en dignité des êtres humains, la liberté pour tous les peuples.

Le débat sur l'identité nationale que vous aviez lancé sur ordre, monsieur le ministre, était donc le point de départ de cette séquence politique qui pue le cynisme, la démagogie et le populisme. Il a ouvert les vannes et mis en marche le défouloir des peurs, peurs que certains de vos collègues n'ont pas hésité à attiser.

Nombreux sont ceux qui ont vu dans cette séquence une opération de diversion destinée à masquer les échecs de votre gouvernement. Vous avez décidé de l'interrompre, pour mieux la reprendre aujourd'hui à travers un nouveau débat qui s'annonce sur l'islam. Cette inconséquence entraîne votre chute, mais elle généralise aussi le discrédit de la classe politique toute entière et ne profite qu'à Mme Le Pen.

2003, 2006, 2007, et maintenant ce texte. Le train des réformes législatives en matière de droit des étrangers fonctionne à plein régime : il s'agit du quatrième texte en sept ans, du quatrième texte visant à modifier et durcir encore les conditions d'entrée et de vie dans notre pays. Autant de textes qui prennent l'étranger pour cible ; autant de reculs des droits des étrangers, du droit d'asile, des libertés ; autant de textes qui dégradent l'image de la France dans le monde.

L'allongement de la durée de rétention et les entraves au contrôle du juge, la mesure de bannissement qui prend la forme d'une « interdiction de retour », la chasse aux Roms et aux étrangers malades, l'instauration d'un internement administratif de très longue durée des présumés terroristes aggravent la politique de la peur et du rejet, qui fait des étrangers des boucs émissaires, alors qu'ils vivent ici, travaillent ici et partagent notre vie de tous les jours.

Il me semble que le virage politique opéré par le Gouvernement, au nom duquel vous présentez ce projet; est profond et durable. Il s'agit sans doute moins de tactique électorale que de stratégie politique. Les quatorze mois qui nous séparent de l'élection présidentielle vont malheureusement illustrer jusqu'à la nausée cette orientation, d'autant qu'elle s'inscrit dans un contexte européen propice et pour le moins inquiétant.

Ainsi se dessine par petites touches une nouvelle droite, aux formes diffuses, car encore incertaines, aux relations incestueuses avec le monde de la finance, que la soirée du Fouquet's, le scandale Woerth-Bettencourt ou les petites affaires du couple Alliot-Marie-Ollier incarnent à merveille, tissant sa toile d'influence dans les médias, décidée à réduire le contrôle de l'État et les services publics, répugnant à respecter son opposition, considérant toujours son élection aux plus hautes responsabilités comme une sorte de dû ou de chèque en blanc, une autorisation de passer en force, au mépris des institutions et du respect des règles auxquelles obéit la prise de décision en démocratie.

Cette droite agit prétendument au nom de ce que veut le peuple, mais elle violente la démocratie. Cette droite, que vous incarnez ce soir, monsieur le ministre, abaisse notre République. Elle ne croit plus en rien, si ce n'est à son droit d'accaparer le pouvoir ; à cette fin, elle flirte sans complexes avec le populisme et puise dans le fonds de commerce de l'extrême droite en s'inventant les mêmes boucs émissaires que cette dernière, tout en feignant de croire que cela n'aura pas de conséquences.

Les éléments épars du puzzle ont pris forme à Grenoble, lorsque Nicolas Sarkozy, pour mieux conjurer sa chute de popularité dans l'opinion, a décidé de franchir la ligne jaune, celle qu'aucun homme d'État n'avait osé outrepasser avant lui. Dans un discours aussi limpide que guerrier, dans le droit fil de Le Pen, le Président lia immigration et délinquance. C'était une folie, mais une folie assumée.

Le durcissement spectaculaire, en discours comme en actes, de la politique sécuritaire et migratoire française représente une transgression majeure, et sans doute irréversible, du pacte républicain. La parole présidentielle, même inspirée par l'ex-journaliste de Minute Patrick Buisson, mérite d'être prise au sérieux, car elle entraîne la République sur la voie de la réprobation internationale et de la trahison des idéaux de la patrie des droits de l'homme.

Depuis le discours de Grenoble, assimilant immigration et délinquance, remettant en cause les conditions d'appartenance à la nation et ouvrant la chasse aux indésirables, la parole présidentielle a libéré et légitimé l'expression d'une logique mortifère contre laquelle, du fait même de l'origine de cette parole, il n'existe actuellement aucun antidote efficace.

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