Je vous remercie de m'accueillir, car je suis très attachée aux interactions entre les députés et les élus locaux que nous sommes, notamment lorsque vous nous aidez à mettre en oeuvre la législation. D'ailleurs, si je suis élue depuis 2001, c'est justement parce que, après avoir voté la loi contre le cumul des mandats, un de vos collègues – dont je salue la présence parmi nous – m'a sollicitée après le vote de la loi sur la parité pour que je puisse le relayer ; je m'occupe donc d'un quartier de 15 000 habitants, qui correspond à sa circonscription.
Je suis adjointe au maire de Rennes, ville de 220 000 habitants et capitale de région, inscrite dans une métropole de 37 communes et de 450 000 habitants. Si je vous donne cette précision, c'est parce que je pense que l'identité du territoire guide notre action. De même qu'il existe de nombreuses inégalités entre les femmes, il existe de nombreuses inégalités entre les territoires.
Les bureaux des temps se sont développés dans les années 2000 et, une vingtaine de territoires s'en sont aujourd'hui dotés. Ce fut le cas à Rennes, Edmond Hervé ayant rédigé, à la demande de Claude Bartolone, ministre de la ville et de Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes, un rapport préconisant la création de bureaux des temps dans les villes de plus de 20 000 habitants.
Il existe également une association « Droits des femmes et bureaux des temps » car les politiques temporelles intéressent beaucoup les femmes, qui sont sensibles à la proximité et à l'accessibilité des services publics. Ces politiques intéressent aussi les collectivités locales, puisqu'elles sont à la fois des révélateurs d'inégalités entre les citoyens et des leviers pour lutter contre ces inégalités.
En tant que collectivité, nous tentons d'offrir des services de qualité, dans tous les domaines et pas seulement dans ceux qui pourraient intéresser spécifiquement les femmes. Il est regrettable d'ailleurs que les médias se soient focalisés sur les questions de la petite enfance et des modes de garde, en laissant de côté le logement, la mobilité, les transports ou l'accès à la culture, qui relèvent pourtant de notre sujet : plus vous êtes pauvre, moins vos conditions de travail sont bonnes, plus vous habitez loin et plus vous êtes dépendant des transports en commun.
Nous avons mené des enquêtes, notamment auprès des agents d'entretien, pour savoir en particulier quels services ils attendaient de la collectivité. Nous avons été surpris de constater que les femmes concernées nous demandaient des services qui existaient souvent depuis vingt ans et qu'elles considéraient qu'on ne faisait rien, ou pas grand-chose, notamment pour prendre en charge leurs enfants. Pourtant, voilà très longtemps que nous travaillons, à Rennes, sur les services périscolaires et à la petite enfance. Cela signifie que nous devons être au plus près des citoyens pour prendre en compte leur situation.
Plus généralement, moins de 40 % des personnes qui travaillent ont des horaires classiques. Il faut donc prendre en compte la façon dont vivent les 60 % restants, ainsi que le fait que 85 % des Français habitent en ville et que le schéma classique familial a beaucoup changé.
Si les Françaises sont les Européennes qui travaillent le plus et jouissent d'un niveau de qualification très élevé – supérieur à celui des hommes –, ces qualités ne sont pas reconnues au moment de l'accès à l'emploi, dans leurs parcours de carrière et encore moins dans leurs revenus – salaires comme retraites. Par ailleurs, bien que toutes les professions leur soient légalement ouvertes, elles sont concentrées dans un tout petit nombre de métiers, essentiellement de service, qui prendront encore plus d'importance dans les années à venir.
Les collectivités locales sont des employeurs majeurs dans nos territoires. La ville de Rennes est ainsi le troisième employeur de la région, après PSA Peugeot-Citroën – qui a d'ailleurs mené un plan d'égalité professionnelle tout à fait intéressant et qui fut la première entreprise à obtenir le label Égalité professionnelle – et l'hôpital régional. Et elle emploie une majorité de femmes.
S'intéresser aux plus démunies est une priorité politique, mais on doit aussi s'intéresser aux autres et faire en sorte que les femmes cadres puissent faire carrière. Il faut donc veiller à la mixité des métiers. À Rennes, nous y travaillons depuis vingt-cinq ans, tout particulièrement ces dernières années dans le cadre du label Égalité professionnelle proposé en 2004 par le Gouvernement. En tant qu'élue aux droits des femmes, il me semblait important d'obtenir un tel label. En effet, la plupart des politiques menées en faveur des droits des femmes dépendent de la détermination de nos leaders politiques. Si elles ne sont pas portées par nos maires ou nos présidents de communautés de communes, si elles ne sont pas inscrites dans les programmes municipaux, elles risquent fort de rester secondaires.
Aujourd'hui, personne ne se déclare contre l'égalité, mais ce consensus mou est très dangereux : lorsque tout le monde est d'accord, il devient inutile d'en parler, et encore plus de se battre. Il y a quarante ans, les revendications en faveur des femmes étaient plus explosives et plus dérangeantes, mais au moins elles étaient présentées comme une exigence de démocratie. Voilà pourquoi je fais appel aux parlementaires que vous êtes : grâce à votre audience nationale, vous pouvez porter cette cause et impliquer les collectivités locales qui ont de grandes capacités d'action.
À Rennes, nous nous sommes donné cinq priorités.
Première priorité : informer et sensibiliser l'ensemble de la population, en particulier sur les questions d'égalité professionnelle.
Deuxième priorité : travailler sur les conditions d'emploi des femmes, qui sont les premières victimes de la précarisation. En ce domaine, nous avons un travail important à mener, qui intègre tout à fait la question de l'égalité professionnelle. N'oublions pas que la collectivité est employeur, donneur d'ordres et aussi moteur de développement, notamment économique.
Troisième priorité : les partenariats. D'abord, le partenariat institutionnel avec les autres collectivités : les départements, les régions, les intercommunalités. Avec les institutions d'État, nous travaillons d'une part, avec les délégations régionales et départementales aux droits des femmes, qui sont chargées de mettre en oeuvre les politiques gouvernementales en la matière ; d'autre part, avec l'éducation nationale, parce qu'il est évident que c'est en agissant auprès des jeunes que l'on peut s'attaquer aux problématiques qui nous occupent et préparer, entre autres, l'égalité professionnelle. Tous les secteurs de l'enseignement sont concernés, mais l'enseignement professionnel me semble devoir faire l'objet de tous nos soins. Certes, l'orientation scolaire ne dépend pas des collectivités locales, mais celles-ci peuvent collaborer avec l'éducation nationale et avec les centres de formation pour résoudre la difficile question de la mixité et de la sexualisation des métiers. Chaque collectivité peut travailler à son niveau : les communes auprès des écoles maternelles et élémentaires, les départements auprès des collèges et les régions auprès des lycées.
Ensuite, le partenariat associatif : je pense aux grandes associations, dont le coeur de mission est le droit des femmes, comme le réseau des centres d'information sur les droits des femmes (CIDF) ou celui du planning familial.
Enfin, nous avons développé dans nos territoires, au fil des décennies, des initiatives que nous devons soutenir, sous des formes multiples et diverses, dans un cadre local, national et européen. C'est d'ailleurs dans ce dernier cadre que nous nous sommes rencontrés il y a deux ans au sein d'un groupe créé par la Commission européenne. Je considère de surcroît que, dans la mesure où nos législations nationales sur les droits des femmes sont influencées par les politiques européennes, nous devrions davantage nous appuyer sur la Commission et sur le Parlement européens.
La ville de Rennes a porté deux programmes européens : NOW (New Opportunities for Women) avant 2000, et EQUAL, sur la gestion des temps. Si nous y avons trouvé beaucoup d'intérêt, nous avons aussi rencontré de nombreuses difficultés. Nos États semblent en effet tendre à rendre les procédures européennes de plus en plus complexes et nos interlocuteurs, bien que compétents et créatifs, agissent plutôt en experts comptables… Nous n'avons aucune influence à ce niveau, c'est pourquoi je souhaite que vous interveniez pour simplifier le système.
J'ai déjà évoqué le label Égalité professionnelle, que nous sommes la première collectivité française à avoir sollicité et obtenu et que nous sommes en train de renouveler. J'aimerais beaucoup entraîner d'autres collectivités dans le mouvement. Malheureusement, le dossier du label proposé par l'AFNOR a davantage été rédigé pour les entreprises que pour les collectivités ou les services de l'État. Malgré tout, je crois que la sous-préfecture du Rhône est aujourd'hui labellisée et qu'un des services du ministère des affaires étrangères s'y intéresse.
Les entreprises labellisées sont de grandes entreprises qui, souvent, se développent en région et sont en lien avec des organisations européennes et internationales. Nous avions justement discuté, il y a deux ans, de l'intérêt de donner au label français une dimension européenne. Je crois que le précédent commissaire n'y était pas opposé. Quoi qu'il en soit, la labellisation de ces entreprises est un phénomène très important, dans la mesure où le sujet de l'égalité est maintenant considéré comme incontournable.
Je disais tout à l'heure que les politiques en faveur des femmes dépendaient de la détermination des leaders politiques. Mais ils peuvent ne pas être réélus et les responsables des services administratifs d'une ville peuvent changer. Or ces politiques ne peuvent réussir que sur le long terme et il faut être conscient que les processus engagés prendront du temps. Ainsi, il n'y a aucune raison de licencier des responsables de service sous prétexte qu'ils sont tous des hommes, mais il faut profiter des départs et des recrutements, pour embaucher davantage de femmes. C'est ce que nous avons essayé de faire à Rennes. La dynamique à long terme que cela suppose est favorisée par le label, qu'il conviendrait donc de valoriser davantage.
Quatrième priorité : la lutte contre les violences faites aux femmes. En tant que collectivité locale, nous ne pouvons pas empiéter sur les compétences d'État – police ou gendarmerie. Voilà pourquoi, à Rennes, nous avons choisi de privilégier la prévention et l'éducation à l'égalité, de soutenir les associations compétentes et de sensibiliser la population à ce sujet. Nous avons proposé des actions, des colloques, des conférences, des films et des expositions dans les quartiers de la ville, à des heures et dans des lieux différents afin de susciter l'intérêt de tous.
Cinquième priorité qui va sans doute intéresser vos collègues étrangères : la solidarité internationale. De nombreuses collectivités locales ont choisi, souvent depuis très longtemps, de nouer des liens privilégiés avec certains territoires. Nous avons travaillé sur la question des mutilations sexuelles et sur celle de la participation des femmes, notamment des Maliennes, dans les espaces de décisions et dans les espaces politiques.
J'ai par ailleurs contribué à la rédaction de la Charte européenne pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans les collectivités locales, qui a été lancée par le Conseil des communes et des régions d'Europe, créé en 1951, la plus grande association de collectivités en Europe. Dans les années quatre-vingts, il est apparu aux quelques rares femmes engagées dans ce Conseil que l'on accordait trop peu de place aux élues et aux sujets relatifs aux droits des femmes. Voilà pourquoi une commission spécifique s'est mise au travail en 1984.
Comportant un Préambule et trente articles, la Charte est traduite en vingt-deux langues. Elle a été signée par 1 000 collectivités en Europe : des capitales, mais aussi de tout petits territoires. On ne compte que soixante-dix signataires en France. Pour autant, il s'agit de collectivités engagées : douze départements – tant qu'il y aura aussi peu de femmes dans les conseils généraux, les politiques en faveur des femmes ne seront pas considérées comme prioritaires –, douze régions, quatre intercommunalités et quarante-deux villes. La semaine dernière certaines villes, comme Lille, ont profité de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes pour signer la Charte. Cette dernière a été souvent inscrite dans les programmes politiques. Et bien sûr, elle comprend un certain nombre d'articles ayant trait au travail des femmes et à l'égalité professionnelle.
Sur cette question, le bureau des temps de Rennes a porté un projet européen entre 2002 et 2008, en partenariat local avec le Centre d'information des droits de la femme, l'Université et le Conseil de développement économique et social du pays et de l'agglomération de Rennes, et en partenariat transnational avec une ville espagnole proche de Barcelone et une ville italienne proche de Florence. Je précise que ces villes, d'une taille équivalente à la nôtre, portaient dans le même temps, respectivement dix-sept et treize projets européens, alors que nous avions presque du mal à en porter un seul ! Nous avons toutefois pu mener, entre 2002 et 2008, un certain nombre d'actions grâce aux moyens qui nous ont été accordés à cette occasion.
Rennes a la chance de disposer d'une élue aux droits des femmes et d'un budget autonome. Mais ce budget est insuffisant au regard des besoins. Certes, je peux obtenir des cofinancements interinstitutionnels ou internes pour le bureau des temps ou les droits des femmes. Je travaille par exemple avec les fonds « politiques » de la ville ou les fonds des contrats urbains de cohésion sociale. Mais si demain ces fonds étaient réduits, nous ne pourrions plus mener nos actions, qui s'entendent sur le long terme. C'est pour cela que j'en appelle à votre vigilance.
Quelques mots, à présent, de notre plan d'égalité professionnelle. Dans ce cadre, nous avons souhaité disposer d'un état des lieux et d'une évaluation de la réalité de la collectivité « ville de Rennes » en tant qu'employeur. Les difficultés mises à jour ne sont pas les mêmes dans une entreprise, une collectivité, et entre les différents niveaux de collectivité, par exemple entre l'entité « Rennes métropole » et la collectivité « Ville de Rennes » : l'une est une administration jeune, avec des compétences nouvelles qui supposent des formes de recrutements bien précis ; la ville de Rennes emploie une majorité de femmes, plutôt dans des métiers liés aux services à la personne.
Nous avons d'abord choisi, dans le cadre de notre plan d'égalité professionnelle et avec le soutien du projet européen, de travailler plus particulièrement auprès des agents d'entretien, dont le métier constitue le secteur le plus important du bassin d'emplois rennais. Le maire nous a demandé de « balayer devant notre porte » et de voir ce que la Ville faisait pour eux, même si on pouvait imaginer d'emblée que ces agents étaient plutôt mieux lotis qu'ailleurs, qu'il s'agisse de leur vie quotidienne ou de leurs revenus. Recherchant les moyens d'améliorer les conditions d'emploi des agents d'entretien, nous avons été amenés à interroger les services municipaux, l'Hôtel de Rennes métropole, d'autres collectivités et les entrepreneurs locaux, et nous avons ainsi constaté qu'ils rencontrent des problèmes importants, en particulier d'absentéisme.
Puis nous nous sommes intéressés à d'autres métiers, notamment les aides à domicile, qui sont en nombre très important dans nos collectivités, en nous efforçant de trouver un équilibre entre la qualité du service rendu à la population et les conditions de travail de ceux qui rendent ce service. En l'occurrence, il y a encore deux ans, alors que les associations d'aides à domicile travaillaient aussi le samedi et le dimanche, les aides à domicile de la Ville de Rennes ne le faisaient pas. Si on voulait améliorer la qualité du service rendu, il fallait assurer une aide à domicile ces jours-là. Mais on ne pouvait pas demander à des salariés de travailler le week-end, ni, de travailler plus tard parce que certains malades ou personnes âgées supportent mal d'être couchés à dix-neuf heures.
Travailler sur les politiques temporelles et le droit des femmes est donc difficile. Les moindres choses peuvent avoir de l'importance. Par exemple, il faut s'assurer que les bus s'arrêtent à quinze heures devant la maison de retraite, pour prendre les femmes à la césure de quinze heures. Parfois, on ne règle qu'incomplètement les problèmes. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur les activités périscolaires et les centres de loisirs ; reste qu'on ne sait pas qui garde certains enfants le samedi et le dimanche.
Cela nous renvoie à la question de l'ouverture des commerces le dimanche. À Rennes, nous sommes arrivés à faire en sorte que les commerces ne soient ouverts qu'exceptionnellement. Ce qui peut se concevoir à Saint-Malo intra muros ne se justifie pas à Rennes, qui n'a pas la même activité touristique. Nous mettons en avant notre projet de société et notre refus de privilégier une société de consommation qui profite seulement aux plus aisés et pas aux plus démunis, parmi lesquels de nombreuses femmes travaillant dans la grande distribution. Mais quand nous ouvrons un nouvel équipement culturel comme les Champs libres et que nous demandons aux salariés d'y travailler le dimanche, nous devons nous justifier.
Sur un tel sujet, nous ne sommes pas les seuls à décider. Sur d'autres, nous pouvons mettre au point notre politique temporelle. Par exemple, il se trouve qu'un Rennais sur quatre est un étudiant. C'est un élément de l'identité de la ville, qui influe sur ses rythmes et son calendrier. Nous travaillons donc actuellement à la question des « hyper pointes » et à celle des bibliothèques, en particulier de leurs horaires d'ouverture, comme nous l'avons fait récemment pour les piscines.
Enfin, dans les politiques temporelles, il faut se donner le droit de l'expérimentation, donc le droit de se tromper. Lorsque nous avons proposé d'ouvrir la médiathèque des Champs libres le dimanche, ni les salariés ni les syndicats n'ont applaudi. Mais lorsqu'il s'est avéré qu'entre 5 000 et 7 000 personnes s'y rendaient tous les dimanches, le travail des personnels s'en est trouvé valorisé. Il se peut donc que tout le monde y trouve son compte.