Nous souhaitons ouvrir une ambassade en France, monsieur Chanteguet. Je remercie votre pays d'avoir ouvert l'an dernier une ambassade sur notre territoire : il est, en Europe, le deuxième à l'avoir fait après l'Allemagne. Si l'Union européenne a elle aussi une représentation diplomatique, les États qui la composent sont encore peu présents au sein de notre lointain pays. De nombreux touristes français le découvrent désormais pour le visiter ou y transiter sur le chemin de la Chine, et un certain nombre de vos concitoyens ont écrit des livres sur le Kirghizstan. Ces liens d'amitié nous sont très chers.
Toutes proportions gardées, certains agissements du pouvoir précédent étaient comparables à ceux que l'on observe aujourd'hui en Libye ; pourtant, nul ne s'en était ému – certains nous considéraient sans doute comme des sauvages ! Aujourd'hui, un article de l'International Herald Tribune évoque l'Ukraine, l'Indonésie et la Mongolie, mais ne dit pas un mot de ce pays du fin fond de la province du monde qu'est le Kirghizstan. La communauté internationale s'est montrée très critique à notre encontre, mais nous nous relevons progressivement ; nous avons ainsi trouvé des logements temporaires pour la population ouzbeke à Och, ce dont nos voisins d'Asie ne nous font guère crédit.
Les événements du 7 avril et du 10 juin 2010 sont les maillons d'une même chaîne, qui a fait se succéder révolution et contre-révolution. Alors que nous allons bientôt commémorer le premier anniversaire de ces événements, le Fonds monétaire international nous invite à les évaluer avec sévérité et objectivité. On voit aujourd'hui M. Kadhafi s'accrocher au pouvoir ; mais personne ne peut endiguer la soif de liberté d'un peuple. Dans la Révolution orange en Ukraine comme dans notre Révolution des Tulipes, certains ont voulu voir la main de l'Occident, mais il n'en est rien : dans les deux cas, c'est le peuple seul qui s'est soulevé contre un pouvoir autoritaire.
Il est vrai que les femmes, au Kirghizstan comme dans de nombreux pays asiatiques, sont particulièrement vulnérables ; aussi avons-nous pris des mesures en leur faveur, par exemple pour leur assurer la présidence d'au moins 30 % des commissions électorales. Malheureusement, le nouveau Parlement ignore ces décisions et attribue tous les postes aux hommes. C'est là une attitude que je ne cesserai de combattre. Il ne suffit pas que le pays soit présidé par une femme pour que l'égalité soit garantie.
Les femmes sont également victimes de violences au sein de certaines minorités, notamment la minorité ouzbeke ; en tant que femme, et aujourd'hui Présidente de la République, je me battrai jusqu'au bout pour garantir leurs droits.
M. Bakiev est en effet en Biélorussie, madame Ameline : le Président Loukachenko lui a réservé un accueil chaleureux, et l'on dit même qu'il dirige une usine militaire ; par ailleurs, de nombreuses personnes ont trouvé refuge à l'ambassade biélorusse à Bichkek. Évidemment, tout cela nous choque, et nous ne savons pas comment évoluera le contexte international en ce domaine ; quoi qu'il en soit, la France a fait beaucoup.
S'agissant de la Constitution, monsieur Chanteguet, nous avons opté pour un régime parlementaire ; ce n'est pas le chemin le plus facile, il suppose un grand engagement des députés chargés de faire les lois. Certains y rechignent d'autant plus qu'ils restent sceptiques sur la pérennité de ce régime et s'attendent à un retour au système présidentiel. Autour de nous, seules la Mongolie et la Turquie ont un régime parlementaire : nous sommes donc relativement isolés. Dans ces conditions, notre volonté et notre engagement seront essentiels.
Nous avons donc beaucoup de travail devant nous, et nous avons besoin de votre attention. Le Kirghizstan, nous en sommes conscients, n'est pas au premier rang des préoccupations françaises : certains pays d'Afrique ou du sud-est asiatique vous sont historiquement plus proches ; quant à notre pays, c'est la Russie qui est son allié stratégique.
Néanmoins la France reste à nos yeux un grand pays, symbole d'égalité et de liberté. Nous souhaitons concrètement bénéficier d'une aide de sa part pour mettre en place notre système judiciaire et renforcer notre police, car, sur ce dernier point, la mission de l'OSCE vient seulement de commencer ses travaux. D'autres réformes doivent être menées, à l'instar de celles réalisées par M. Saakachvili en Géorgie.
Nous avons aussi besoin d'une assise économique et financière plus solide, notre impasse budgétaire restant considérable. Nous espérons à cet égard qu'une redistribution aura lieu dans le cadre du G8. Sans tout attendre de la France, de l'Union européenne ou de l'OSCE, nous comptons sur leur aide. Nous vous remercions de rester à nos côtés, même dans nos heures les plus difficiles.