du fait de ses nombreuses applications potentielles, la biologie synthétique est considérée comme une nouvelle révolution industrielle, même si les débats sur les enjeux sont encore actuellement limités à des cercles fermés. Dans ce contexte, je me félicite que l'Office en soit saisi très en amont, ce qui devrait permettre un débat responsable sur les risques et les avantages de la biologie synthétique et empêcher les dérives qui ont marqué les débats sur les OGM et les nanotechnologies.
Les enjeux que j'ai pu identifier, à ce stade de mes travaux, ont trait : au statut scientifique hétérogène de la biologie synthétique, à l'écart entre les espoirs qu'elle suscite et le nombre limité des réalisations concrètes à ce jour et à la gouvernance.
J'insisterai sur deux des multiples approches de la biologie synthétique. La première vise à la création d'un génome minimal, que la médiatisation des recherches de l'Américain Craig Venter a fait connaître au grand public. Ses derniers travaux, en mai 2010, ont consisté à fabriquer une bactérie dont l'ADN a été synthétisé in vitro. Venter n'a pas créé la vie de toutes pièces. Pour de nombreux scientifiques, sa recherche témoigne toutefois de progrès tangibles dans la synthèse d'un génome entier et de la possibilité de l'intégrer dans un organisme vivant, puis, de le rendre fonctionnel.
La deuxième approche – la construction de « machines à ADN » –est encore appelée BioBricks (briques du vivant). Initiée par le chercheur américain Drew Endy, elle vise à appliquer les méthodes de l'ingéniérie à la biologie. Celles-ci consistent à fabriquer les briques du vivant (protéines, ADN, ARN, …), à les standardiser et à les stocker dans un répertoire – librement accessible en ligne – contenant les fonctions et les gènes qui les accomplissent.
Drew Endy et les autres ingénieurs veulent ainsi montrer qu'il est possible d'assembler les briques et de les intégrer dans une bactérie ou une levure pour lui faire accomplir une fonction à la demande.
Les initiateurs de BioBricks sont parvenus à accroître la notoriété de leurs travaux, grâce notamment au succès grandissant du concours IGEM (International Genetically Engineered). Créé en 2004 par Drew Endy, il rassemble des étudiants venus du monde entier, en vue d'évaluer des projets sur toutes sortes de fonctions, dont les bactéries pourraient être capables.
Une équipe parisienne a remporté le concours en 2007 et l'équipe de l'INSA de Lyon a été récompensée, l'an dernier, d'une médaille d'argent.
Ces différentes approches distingueraient la biologie synthétique des autres disciplines, en particulier de la biologie des systèmes. Cette dernière a pour objet de décrire et de comprendre le vivant à partir des systèmes résultant des interactions entre protéines et ARN, alors que la biologie synthétique vise à la modification rationnelle et maîtrisée du vivant, à l'aide de l'usage systématique et à grande échelle de la modélisation informatique et mathématique.
Malgré la nouveauté de ces approches, mes interlocuteurs n'y voient pas une science nouvelle. En effet, la biologie synthétique a bénéficié des progrès intervenus dans la biologie moléculaire et utilise les trois techniques de base du génie génétique : séquençage de l'ADN, clonage et réaction en chaîne par polymérase.
Le deuxième enjeu porte sur l'écart entre les espoirs suscités par la biologie synthétique et ses réalisations concrètes limitées à ce jour. Les applications potentielles touchent à de nombreux domaines : santé (fabrication de médicaments et de vaccins et approche nouvelle de certaines maladies, dont le cancer et la malaria) ; énergie, avec l'apparition possible d'une chimie plus verte. Dans le domaine de l'environnement, des capteurs contenant des bactéries pourraient détecter des doses toxiques dans l'eau ou des explosifs, tandis que la bioremédiation, fondée sur l'utilisation de systèmes biologiques, permettrait de traiter les contaminants environnementaux. Pour autant, le nombre des réalisations concrètes demeure encore limité. D'un côté, les travaux de la biologie synthétique sont encore loin d'atteindre la complexité du système cellulaire et même, au-delà, de comprendre de façon approfondie les conditions dans lesquelles les composants essentiels de la vie fonctionnent et interagissent. De l'autre, les processus de synthèse sont également complexes, comme le montrent les neuf étapes qu'exige la production de l'hydrocortisone, fruit des travaux de Denis Pompon, directeur de recherche au CNRS.
Enfin, en ce qui concerne les enjeux de la gouvernance, ils touchent respectivement à des positions diamétralement opposées sur l'appréciation et la gestion des risques, à l'adéquation du droit de la propriété intellectuelle et des brevets, à la question de l'opportunité d'un débat public – en particulier sur l'acceptation sociale de ces avancées – et aux problèmes de formation et de financement de la recherche.
En conclusion, je souhaite que l'Office autorise la poursuite de cette étude. Sa saisine a été regardée favorablement par mes interlocuteurs, dont certains m'ont indiqué que le rapport s'inscrit dans le cadre du renforcement de la coopération scientifique et technologique avec les Etats-Unis et la Suisse, deux acteurs majeurs de la recherche en biologie synthétique.
Quoi qu'il en soit, j'ai constaté chez les scientifiques un besoin de communiquer, ce qui m'apparaît tout à fait nouveau.
Les conditions dans lesquelles j'envisage de travailler, si l'Office en est d'accord, sont les suivantes : des déplacements à l'étranger, des ateliers interactifs entre des personnalités d'horizons divers, la participation, au mois de mai, à un colloque franco-américain sur la biologie synthétique et la participation éventuelle à un forum suggéré par l'association VivAgora, dont j'ai entendu des représentants.