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Intervention de Chantal Bourragué

Réunion du 2 mars 2011 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Bourragué, rapporteure :

Les relations franco-indiennes se sont considérablement développées depuis une quinzaine d'années : les deux pays ont lancé un partenariat stratégique en 1998 et un dialogue stratégique un an plus tard. Les nombreuses visites bilatérales de haut niveau témoignent de cette évolution. Le Président Nicolas Sarkozy a effectué une visite d'Etat en Inde en janvier 2008 et une visite de travail en décembre 2010. Après un premier déplacement en France en septembre 2008, le Premier ministre Manmohan Singh a été l'invité d'honneur des cérémonies du 14 juillet 2009, pendant lesquelles quatre cents soldats indiens ont défilé sur les Champs Elysées.

Ces visites ont été l'occasion de signer une série d'accords de coopération, à l'exemple de l'accord de coopération pour le développement des usages pacifiques de l'énergie nucléaire et de l'accord sur l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques, dont notre Assemblée a autorisé la ratification au cours de ces derniers mois. Le même jour, le 30 septembre 2008, a aussi été signé l'accord de sécurité sociale qui est l'objet du présent projet de loi.

C'est le développement des relations économiques franco-indiennes, et particulièrement celui des investissements réalisés par les entreprises de chaque pays dans l'autre, qui justifie la conclusion d'un accord visant à faciliter l'envoi croisé de salariés. Les stipulations de cet accord sont néanmoins centrées sur les mesures de coordination concernant les risques longs, afin d'éliminer tout risque de « dumping social » lié à la nette différence du niveau des cotisations sociales entre les deux pays.

La part de marché française en Inde est de l'ordre de 1,7 %, ce qui fait de notre pays le 15ème fournisseur et le 11ème client de la Fédération. La France se situe en outre parmi les dix premiers investisseurs étrangers en Inde, avec un stock d'investissements directs de l'ordre de 750 millions de dollars américains. Notre pays est enfin le troisième pour l'accueil des investissements indiens en Europe sur la période 2003-2009, derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne : le stock des investissements directs indiens s'est élevé à 323 millions d'euros en 2009.

Ainsi, environ trois cents entreprises françaises disposent de 750 établissements permanents en Inde. Elles y créent un nombre d'emplois considérables, estimés par le ministère des affaires étrangères et européennes à au moins 40 000 en 2009. Le poids des sociétés de services informatiques et d'ingénierie est particulièrement important mais les entreprises françaises développent aussi leurs investissements dans les secteurs de l'énergie (Areva), la téléphonie, l'environnement (Suez et Veolia) et les transports (Renault et Michelin). Il faut souligner qu'une grande majorité des investissements directs a été réalisée par le biais d'acquisitions ou dans le but de conquérir des parts de marché en Inde, en Asie ou dans le Golfe persique ; seulement 5 % des emplois créés ont ainsi vocation à servir le marché français.

Parallèlement, on comptait, en 2009, 90 entreprises indiennes établies en France, représentant 8 000 emplois. Les secteurs les plus attractifs pour les investissements indiens sont la métallurgie et la fabrication de produits métalliques, les technologies de l'information et de la communication et l'industrie pharmaceutique. Les secteurs de l'automobile et des énergies renouvelables commencent aussi à retenir l'attention des investisseurs indiens.

Seule une petite partie des effectifs des entreprises françaises implantées en Inde et des sociétés indiennes installées en France est constituée, respectivement, de Français et d'Indiens. Mais étant donné le développement des investissements croisés et l'augmentation du nombre d'emplois en jeu, les personnels concernés ne sont pas négligeables.

Le ministère des affaires étrangères et européennes estime à environ 900 le nombre actuel des Français qui pourraient bénéficier du statut de détachement en Inde. Le nombre d'Indiens susceptibles d'en bénéficier en France est du même ordre : les salariés indiens détachés par des entreprises établies en Inde y étaient 206 en 2008, 413 en 2009 et 408 en 2010. Le « stock » des titres les concernant serait ainsi passé de 522 en 2009 à 894 en 2010, ce qui témoigne bien du dynamisme des relations économiques franco-indiennes.

L'accord vise donc à faciliter l'installation des entreprises françaises en Inde et vice-versa, grâce à une amélioration de la circulation des travailleurs. L'étude d'impact du projet de loi n'avance aucune donnée chiffrée dans sa partie consacrée aux conséquences financières de l'accord. Essayer de comparer les éventuelles pertes de recettes et les éventuels gains financiers qu'induira pour la sécurité sociale française l'entrée en vigueur de l'accord n'a en effet guère de sens. Il est d'abord difficile de prévoir précisément l'évolution des effectifs concernés, même si leur augmentation de part et d'autre est l'objectif même de l'accord ; ensuite, les Indiens détachés qui ne cotiseront pas au régime français ne toucheront pas non plus de prestations, contrairement aux Français qui continueront d'y être assujettis. En tout état de cause, étant donné l'ordre de grandeur limité des populations visées, l'application de cet accord ne contribuera aucunement au déséquilibre de nos comptes sociaux.

Les principes qui fondent cet accord de sécurité sociale sont classiques : sont affirmés celui de l'égalité de traitement et celui de l'exportation des prestations ; comme il est habituel, un salarié est soumis à la législation de sécurité sociale de l'Etat où il réside, à l'exception de certaines catégories particulières (personnels à bord des navires, fonctionnaires) et du cas des personnels détachés.

C'est le traitement des personnels détachés qui distingue cet accord des autres accords de sécurité sociale : en effet, alors que, dans les autres accords, les personnels détachés restent soumis à l'ensemble de la législation de leur pays d'origine en matière de sécurité sociale pendant une certaine période (trois ans renouvelables une fois, ou cinq ans, selon les accords), l'accord franco-indien ne prévoit le maintien de l'affiliation au régime du pays d'origine (pendant cinq ans) que pour les risques longs (vieillesse et invalidité) ; les salariés devront donc cotiser pour les autres risques dans leur pays de résidence.

Cette « dissociation des risques » répond à une préoccupation de la France. L'exemption de contributions à la sécurité sociale française, dont le coût pour les entreprises est élevé, constituerait un avantage comparatif important pour des entreprises établies en Inde, où ces contributions sont de faible niveau, et créerait des risques de « dumping social ». En outre, s'agissant des risques courts (maladie et accidents du travail), une prise en charge insuffisante des travailleurs concernés par le système de protection indien ou une assurance privée serait susceptible de faire peser une charge indue sur les établissements de soins français qui seraient amenés à dispenser les soins. Ce double souci a conduit à limiter l'exemption aux risques longs, pour lesquels les détachés restent couverts dans leur pays d'origine – ce qui évite les périodes d'interruption dans la constitution des droits à pension – et pour lesquels une affiliation en France n'a qu'un intérêt limité pour les salariés indiens.

Les ressortissants français détachés en Inde seront donc affiliés au régime indien pour les risques maladie-maternité et accidents du travail, dont le niveau de protection est inférieur au régime français, mais cette affiliation ne sera évidemment pas exclusive d'une couverture financée par leurs employeurs ou d'une assurance volontaire, du type de celle offerte par la Caisse des Français de l'étranger.

L'accord précise que les salariés en détachement bénéficient des prestations familiales versées dans l'Etat où ils exercent leur activité. Cette stipulation ne s'appliquera en fait qu'au profit des salariés indiens détachés en France puisqu'il n'existe pas de prestations familiales en Inde, compte tenu de la croissance démographique du pays.

Les règles relatives au calcul des prestations sont classiques. Ainsi, lorsqu'un travailleur ne justifie pas de la durée d'assurance prévue par la législation de l'Etat d'affiliation pour l'ouverture ou le maintien d'un droit, il est fait appel aux périodes d'assurance accomplies sous la législation de l'autre Etat, à condition que les périodes ne se superposent pas.

Les règles précises de calcul du montant des prestations d'invalidité, de vieillesse et de survivants sont aussi énumérées dans l'accord.

Celui-ci comporte enfin un volet relatif à la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations sociales, qui prévoit notamment des échanges d'informations.

L'accord de sécurité sociale franco-indien est un outil qui doit contribuer à renforcer l'attractivité de la France pour les investisseurs indiens et de l'Inde pour les investisseurs français, principalement en facilitant l'envoi de salariés détachés d'un pays vers l'autre. Il tient néanmoins compte de la grande différence du niveau des cotisations et des prestations sociales entre les deux Etats en limitant aux risques longs le maintien du rattachement des salariés détachés au système de leur pays d'origine.

Cet accord est attendu avec impatience par les entreprises des deux pays. Il m'a par exemple été signalé que l'organisme indien qui participe au projet ITER de Cadarache attend son entrée en vigueur pour y détacher plusieurs de ses salariés.

L'Inde n'a pas à suivre de procédure particulière pour la ratification des accords internationaux et le Sénat a adopté le présent projet de loi le 22 décembre dernier.

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