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Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 16 février 2011 à 9h30
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, président de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de sant :

Je répondrai d'abord sur la gouvernance des agences. Comment prendre des décisions pertinentes sans disposer d'informations ? Voilà le vrai sujet. Une agence unique qui saurait tout, tel Big Brother, serait-elle préférable ? Il ne m'appartient pas de me prononcer sur le sujet mais on sait les risques qu'au sein d'une structure tentaculaire, sous quelque autorité qu'elle soit placée, les transmissions ne se fassent pas. Le système actuel est perfectible. Attachons-nous à l'améliorer. L'AFSSAPS évalue le rapport bénéficesrisques des médicaments selon des règles mondiales. Ce benchmarking doit être une préoccupation constante. Notre pays doit rester à l'avant-garde comme il l'a été avec la création de l'Agence du médicament. Nous devons renforcer notre place en Europe et entretenir des liens beaucoup plus étroits avec la FDA américaine. Évaluer en amont et en aval de l'AMM, rendre l'évaluation plus démocratique, ce qui signifie contradiction, regards croisés, transparence, remises en question permanentes : voilà notre tâche. S'il importe que nous conservions notre indépendance, nous n'aurons pas les moyens de tout faire seuls. Confrontons notre vision et notre approche à celles d'autres pays. Cela nous gardera d'ailleurs de la partialité.

La vraie question n'est pas de savoir comment doit se situer la Haute autorité de santé par rapport à l'AFSSAPS mais si ce sont les mêmes experts qui procèdent aux évaluations. C'est le plus souvent le cas.

Faut-il systématiquement exiger des essais « avec comparateur » ? Tout dépend des cas. On compare, et il le faut, deux produits de consommation courante, mais lorsqu'on a affaire à un traitement du sida et qu'il n'en existait aucun auparavant, aucune comparaison n'est possible. Ce traitement n'en doit pas moins être essayé. Si nous devons nous fonder sur des critères scientifiques, des considérations d'ordre social ou sociétal peuvent intervenir. On peut être amené à s'interroger sur le bénéfice, non pas individuel, mais collectif, d'une démarche thérapeutique, ce qui suppose des arbitrages à la clé. Pour avoir fait beaucoup de recherche thérapeutique en cancérologie, je sais que la notion de comparateur n'est pas exempte de critiques car, à comparer même un mauvais traitement à pas de traitement du tout, on peut identifier un bénéfice. Il faut que les agences revoient la notion de bénéfice et que cette révolution s'effectue au niveau mondial. C'est important pour la démocratie sanitaire mais aussi pour adresser un signal aux industriels du médicament. Prenons l'exemple d'une firme qui engage une centaine de millions de dollars pour développer un médicament. Si au bout de plusieurs années de recherche-développement, les règles du jeu que lui avaient initialement données les agences changent, tant pis éventuellement pour les sommes qu'elle a dépensées mais quid des milliers de malades qui auront été inclus dans des essais cliniques dont personne ne tiendra compte ? Les agences ont la responsabilité à l'échelle mondiale de travailler sur les critères d'évaluation des médicaments dans chaque contexte.

Oui à l'autonomie des différentes agences, à condition que leur action soit coordonnée et qu'aucune ne soit autiste. L'AFSSAPS doit tenir compte des évaluations de la HAS pour apprécier le rapport bénéficerisque au fil du temps, qui peut différer de celui déterminé en amont de l'AMM sur la base de critères mondiaux, pouvant prendre en compte certains impacts sociétaux. Dans la surveillance post-AMM, il faut d'autant moins hésiter à dire qu'un bénéfice est faible que le risque est alors élevé.

Quels sont les médicaments à surveiller ? Tous, répondrai-je, et ce n'est pas là vouloir terroriser. Il est au contraire rassurant pour la population de savoir que les produits de santé font l'objet d'une étroite surveillance et que leur rapport bénéficerisque est périodiquement réévalué. Bien sûr, si un médicament utilisé depuis des années se trouve du jour au lendemain inscrit sur une liste de produits à surveiller, cela bouleverse les habitudes et peut inquiéter, mais il suffit d'expliquer qu'à l'échelle de toute une population, des risques ont été repérés et qu'il est inutile de s'exposer davantage. Qui ne le comprendrait ? C'est toute la différence entre risque individuel et risque collectif.

Une question récurrente est de savoir comment une AMM a pu être octroyée à des médicaments peu utiles, de surcroît désormais moins bien remboursés du fait de ce service médical rendu faible. Je pense, pour ma part, qu'il est préférable de dissocier l'évaluation de l'utilité d'un médicament de la fixation de son taux de remboursement comme de son suivi ultérieur. Mais il appartient aux politiques de trancher à ce sujet et je suivrai leurs décisions.

Il faudrait lever un malentendu avec nos concitoyens : la majorité d'entre eux considère que tous les produits de santé, même sans utilité, devraient être remboursés. Or, tous n'ont pas à l'être. Que certains soient en vente libre et non remboursés n'empêche pas que l'AFSSAPS doive les surveiller.

Le Vidal comporterait beaucoup de spécialités inutiles. Faut-il s'en alarmer ? Non, car nul n'est obligé de les acheter, fussent-elles en vente libre. En revanche, si elles présentent le moindre danger, il faut les supprimer. Nous aurons à faire collectivement un travail de toilettage. N'oublions pas qu'il y a quelques années, nos concitoyens descendaient dans la rue quand on diminuait de 10 % le taux de remboursement d'un produit peu utile mais qu'ils étaient habitués à prendre. La crise actuelle devrait être l'occasion d'un meilleur dialogue avec eux sur la notion d'utilité. Espérons qu'elle leur permette de mieux percevoir que tout argent gaspillé pour des médicaments inutiles, c'est autant de moins dont on dispose pour des traitements utiles, parfois vitaux et très onéreux.

L'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) est un autre sujet complexe sur lequel nous aurons à prendre position. Ce mode d'accès compassionnel à des médicaments ne disposant pas d'AMM est l'une des spécificités et des richesses du système de santé français, unique au monde. Il incombe aux laboratoires d'assumer le coût de cette compassion, sous le contrôle de l'AFSSAPS. Si cela était remboursé par la solidarité nationale et que les laboratoires ne mènent pas d'essais cliniques pour solliciter une AMM, cela équivaudrait à un enregistrement « bis » qui n'est bien sûr pas souhaitable. Ce mode d'accès compassionnel doit aller de pair avec davantage de recherche et d'essais cliniques financés par les industriels.

S'agissant de la longévité des experts à leur poste, on ne peut pas être expert à vie en un seul domaine. Précisément parce que j'ai fait de la cancérologie tout au long de ma carrière, je revendique d'avoir un regard plus neutre dans d'autres domaines. Il faut varier et croiser les regards. Les experts doivent savoir écouter les non-experts et se départir de leur jargon pour s'en faire comprendre. Il faut à la fin d'une expertise être capable de produire une synthèse claire, pointant les bénéfices et les risques – il y a toujours des deux – et exposant pourquoi finalement la balance penche de tel ou tel côté. Cela peut parfaitement être expliqué de manière compréhensible de tous. Je m'y engage si je suis nommé à la tête de l'AFSSAPS – au risque qu'on puisse nous accuser parfois de simplisme. Il n'est plus tolérable que le travail des experts ne soit pas compris de la population. Nous avons le devoir de le rendre lisible. C'est une des raisons pour lesquelles la FDA a imposé la présence de patients dans les commissions d'expertise. Ces patients sont protégés, ont reçu une formation ad hoc et ne sont jamais des « permanents » de l'expertise, pour éviter tout risque de lobbying. Leur présence oblige les experts à être clairs.

Cela étant, gardons-nous des excès. Si les experts font l'objet de trop d'attaques du genre « tous pourris », le risque est, alors même qu'il n'y en a pas beaucoup, qu'on en trouve encore moins. Et il serait dangereux, tout particulièrement dans le domaine du médicament, de n'avoir affaire qu'à des experts non-spécialistes. Il faut donc protéger les experts, leur redonner dignité et respectabilité, les rémunérer correctement sur fonds publics pour le service public qu'ils rendent. Ils ne peuvent travailler bénévolement tout en se faisant humilier et accuser de collusion ou de corruption – que nous devons bien entendu traquer.

Suis-je indifférent à l'idée de quitter mes fonctions à la tête de l'INCa ? Bien sûr que non. Le ministre de la santé m'a assuré que mon départ ne remettrait absolument pas en question l'activité ni les missions de l'Institut et qu'il n'y aurait aucune rupture. C'était l'important pour moi. Aujourd'hui, je tourne la page du cancer pour celle de la sécurité thérapeutique.

J'en viens à la coordination. Nous avons réussi à l'INCa à faire se parler des acteurs qui s'ignoraient et travaillaient chacun dans leur coin. Je ne peux pas imaginer que l'AFSSAPS ne se coordonne pas avec la HAS, ne soit pas pro-active vis-à-vis de l'European Medecines Agency (EMA) et n'informe pas le Gouvernement. Comment celui-ci pourrait-il décider s'il ne dispose pas de toutes les informations nécessaires ? Notre rôle est de lui présenter une synthèse d'informations provenant de sources diverses.

Il est bon que les agences sanitaires soient indépendantes mais sans coordination, la catastrophe est assurée. Il faut donc les y obliger. Si les informations sont transmises en toute transparence et en langage compréhensible de tous, non seulement au Gouvernement mais aussi aux élus et à la population, un grand pas aura été fait dans la démocratie sanitaire. Il est terrible que le Gouvernement n'ait pas été informé dans l'affaire du Mediator, mais selon toute vraisemblance, le directeur de l'AFSSAPS ne l'avait pas été non plus !

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