Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 16 février 2011 à 9h30
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, président de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de sant :

Comme vous le savez, je suis pressenti par le ministre de la santé pour occuper les fonctions de directeur général de l'AFSSAPS. C'est avec beaucoup d'humilité que je me présente aujourd'hui devant vous.

Âgé de 61 ans, j'exerce la médecine depuis plus de trente-cinq ans. Je n'ai jamais exercé que dans le secteur public, m'étant très tôt orienté vers la cancérologie, plus particulièrement le traitement des cancers du sang. Je me suis de ce fait très vite intéressé à la recherche, surtout à visée thérapeutique.

A la fin des années 70 et au début des années 80, j'ai travaillé à l'amélioration du traitement des leucémies en utilisant certains médicaments à très forte dose et en pratiquant la thérapie cellulaire avec des greffes de cellules souches hématopoïétiques. Nous avons obtenu certains succès mais ces traitements lourds entraînaient de multiples effets secondaires chez les patients. La balance bénéficerisque est une préoccupation permanente pour les médecins qui font du développement thérapeutique. Forts d'avoir découvert que le système immunitaire des patients pouvait, après la greffe de cellules souches, contrôler la leucémie, nous avons cherché à limiter les complications consécutives au traitement tout en en conservant les bénéfices. Éradiquant les premières, nous avons, hélas, perdu aussi les seconds. C'était les débuts de l'immunothérapie adoptive. Nous avons eu la chance à Marseille qu'une entreprise de biotechnologie, Immunotech, puisse nous fournir des anticorps monoclonaux à visée thérapeutique et des cytokines produites après par génie génétique – ces substances permettent de moduler les réactions immunitaires. J'ai donc beaucoup travaillé dans le domaine du médicament, en phase pré-clinique et clinique.

Mon parcours m'a conduit à travailler aux États-Unis, en étroite collaboration avec des équipes françaises et des firmes pharmaceutiques qui maîtrisaient la technique de clonage de ces produits. Je ne vous détaillerai pas tout ce que nous avons fait durant ces années. Sachez seulement que nous avons eu plus d'échecs que de réussites, de quoi il faut tirer une leçon : les découvertes les plus enthousiasmantes sur le plan théorique, aux résultats parfois très encourageants aux tous débuts, ne trouvent pas toujours d'application thérapeutique efficace sur le long terme. S'ils n'ont pas permis beaucoup de guérisons, les travaux de mes équipes ont pu contribuer à certains succès et surtout fait stopper des traitements inutiles. C'est un devoir que de savoir s'arrêter à temps, avant que l'utilisation de certains produits ou techniques ne soit généralisée dans le système de santé. La décision est parfois difficile à prendre car il n'est pas de conflits d'intérêts que financiers : le chercheur est intéressé à démontrer l'efficacité de sa découverte, le médecin cherche à guérir son malade.

Des années plus tard, des travaux ayant montré que, dans le cas du cancer, la présence de certains gènes de susceptibilité rendait totalement inefficaces certains traitements, j'ai recherché les moyens de prédire chez quels patients ils pouvaient au contraire agir. Cela permet d'éviter d'administrer des traitements lourds, inutiles chez 90 % des malades, et de se concentrer sur leur utilisation chez les 10 % chez qui ils peuvent être efficaces.

J'ai aussi travaillé à nous adjoindre la collaboration de chercheurs en sciences sociales afin d'associer les patients à la compréhension et l'analyse du rapport bénéficerisque des traitements qui pouvaient leur être proposés. Les patients savent quels risques ils sont prêts à encourir pour quels bénéfices. Cette confrontation a été particulièrement enrichissante.

En sus de cette carrière scientifique, j'ai également occupé des fonctions managériales. J'ai dirigé pendant seize ans le centre régional de lutte contre le cancer de Marseille, l'Institut Paoli-Calmettes, qui est le deuxième centre de traitement anti-cancéreux de France après l'Institut Gustave Roussy de Villejuif, tant en nombre de malades reçus que de chiffre d'affaires. Ce centre de prise en charge globale du cancer, alliant thérapeutique et recherche, doté d'un budget de 120 millions d'euros et où travaillent quelque 1 200 personnes, n'a jamais connu le moindre déficit.

Ma deuxième expérience de management a été à la tête de l'INCa, l'Institut national du cancer, principal opérateur de l'État en matière de coordination dans la lutte contre le cancer. Je préside l'établissement depuis septembre 2006.

J'ai toujours veillé au respect le plus strict de la déontologie et n'ai cessé de m'interroger sur le plan éthique, ayant été très tôt dans ma carrière confronté à des incertitudes autour de thérapies innovantes, comme certaines greffes, fort heureusement désormais encadrées par la loi. J'ai remis en 1995 au ministre de la santé de l'époque un rapport sur la thérapie cellulaire, qui a inspiré plusieurs mesures législatives, dont certaines sont toujours en vigueur et placent la France plutôt à l'avant-garde en ce domaine.

Pour ce qui est d'éventuels conflits d'intérêts, j'ai remis, en toute transparence, au secrétariat de votre Commission une liste détaillée de tous mes liens d'intérêt. Je n'ai pas actuellement de liens avec l'industrie pharmaceutique : j'en ai eu de nombreux par le passé, liés à des travaux académiques. J'ai perçu des honoraires pour des prestations de conseil, lesquelles ont d'ailleurs le plus souvent débouché sur des recommandations d'arrêt du développement de certains médicaments ou thérapies.

Qu'est-ce qui me pousse à accepter de prendre la tête de l'AFSSAPS dans la tourmente actuelle ? Tout d'abord, traiter de sécurité thérapeutique, c'est traiter de santé et de relation bénéficerisque, domaines qui ne me sont pas étrangers. Ensuite, je demeure persuadé que cette agence et la politique française du médicament sont exemplaires sur le plan international. Qui est exemplaire est aussi exposé. Nous traversons actuellement une crise sans précédent, que je ne commenterai pas, liée à un médicament et un laboratoire précis, mais comportant des composantes systémiques qu'il sera de ma responsabilité future, si je suis nommé, d'analyser afin que plus jamais un tel drame ne se reproduise. Vos propres travaux sur cette crise me seront à cet égard précieux.

Le contexte a évolué. La tension est aujourd'hui croissante pour ce qui est du rapport bénéficerisque des produits de santé. La validité de l'expertise scientifique est souvent remise en cause, de manière parfois légitime, parfois infondée. La communauté scientifique et sans doute certains décideurs, comme s'ils étaient autistes, ne perçoivent pas les signaux d'alerte encore faibles, pourtant essentiels. La démocratie sanitaire est insuffisante – ce n'est pas à des parlementaires que j'expliquerai ni la valeur de la démocratie ni l'extrême difficulté de l'exercer. Les patients, les associations, l'ensemble des parties prenantes doivent jouer un plus grand rôle : des regards neufs, croisés, apporteront beaucoup. Une suspicion s'est fait jour sur des conflits d'intérêts financiers, dont le résultat a été une perte de confiance. Ma première mission à la tête de l'AFSSAPS serait de rétablir la confiance, de redonner respectabilité et fierté à une agence qui, pour avoir parfois failli, n'en demeure pas moins exemplaire et doit retrouver sa performance. Puisse cette crise conduire vers de nouvelles valeurs et mener à de nouvelles réalisations qui permettent de progresser sans s'obnubiler sur le passé. C'est en tout cas dans cet esprit que je suis candidat.

La tâche principale de l'AFSSAPS est d'évaluer le rapport bénéficerisque pour des produits de santé distribués dans toute la population. L'affaire du Mediator vient rappeler que si les bénéfices sont pour les patients, les risques aussi hélas. La prudence doit donc demeurer une règle élémentaire, comme toujours en médecine. La balance bénéficerisque n'est pas statique : ce qui pouvait être vrai à un moment donné peut ne plus l'être cinq ans plus tard. Il faut accepter de la réévaluer en permanence, quelle qu'en soit la difficulté sur le plan pratique, formel, intellectuel et juridique. Les connaissances évoluent, des produits concurrents se développent. D'une manière générale, plus les bénéfices sont faibles, par exemple lorsqu'ils ne sont plus que marginaux pour l'ensemble de la population, plus les risques sont importants. L'Agence doit prendre à temps les décisions nécessaires pour les prévenir.

Notre expertise devrait aussi être plus pro-active et plus anticipatrice. Lorsqu'on s'est intéressé à un produit par avance, on est mieux à même d'anticiper l'évolution du rapport bénéficerisque et de prendre les décisions les plus appropriées.

Notre expertise en matière d'autorisation de mise sur le marché (AMM) doit être factuelle et se fonder sur des références mondiales. Notre rôle, très important notamment au niveau européen, est aussi de contribuer à faire évoluer les règles mondiales de l'évaluation qu'appellent les nouvelles thérapeutiques. L'une des faiblesses de notre système actuel, dont je ne peux vous garantir que je parviendrai à y remédier mais j'aimerais beaucoup que vous m'y aidiez, est le suivi post-AMM, pourtant capital. Le rapport bénéficerisque est évalué en toute objectivité lors de la demande d'AMM mais ce qui s'est révélé vrai chez mille malades peut ne plus l'être chez dix mille. En outre, ce rapport est évalué pour une indication donnée : or, la moitié environ des médicaments se développent en-dehors de leur AMM. Ce travers n'est pas propre à la France – c'est ce qu'on appelle aux Etats-Unis le off label use, dont la Food and Drug Administration (FDA) ne répond pas. Il faut impliquer les firmes dans ce suivi post-AMM, ce qui implique, soit dit au passage, de changer de vision économique. N'attendons pas des signaux d'alerte graves. Dès lors qu'un médicament commence d'être largement prescrit hors AMM, les risques potentiels sont presque inévitablement supérieurs aux bénéfices car rien n'avait préalablement établi qu'on pouvait escompter des bénéfices. C'est là tout un champ à explorer. Vous vous y êtes déjà impliqués. C'est ainsi que nous moderniserons notre système de sécurité des produits de santé.

Le Parlement s'apprête à légiférer sur la prévention des conflits d'intérêts, il faut s'en réjouir. Il lui revient de déterminer quel sera, pour les médecins et pour les firmes, le système déclaratif le plus clair et le plus transparent. Il n'y a pas de problème à percevoir des honoraires d'un laboratoire : l'important est que cela se sache. Espérons que la future loi sera aussi rigoureuse que le Physician Payment Sunshine Act de la réforme de la santé aux États-Unis. De cette totale transparence dépendent à la fois l'honneur de l'industrie pharmaceutique et la confiance de la population. Toute zone d'ombre ne peut que saper cette confiance.

Il faudra renforcer la collégialité des décisions et multiplier les regards croisés. Les collèges d'experts ne devraient pas rassembler des spécialistes d'un seul domaine. Je serais heureux par exemple que des cardiologues soient appelés à donner leur avis aussi en cancérologie.

Il faudra également renforcer le caractère contradictoire des expertises, notamment en associant les patients et les associations. Pour l'avoir vu pratiquer de manière courante outre-Atlantique et l'avoir expérimentée dans mon institution, je puis témoigner qu'il y a tout à gagner à cette confrontation des parties prenantes.

Le benchmarking doit être une autre préoccupation constante. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce qui se passe dans le reste du monde. Si un produit n'est utilisé qu'en France, comment ne pas s'interroger ? S'il présente vraiment un intérêt exceptionnel, il nous revient de convaincre les autres pays de ne pas se priver de ses bénéfices. S'ils s'y refusent obstinément, demandons-nous pourquoi il n'y aurait qu'en France qu'il serait si extraordinaire. Ayons l'esprit plus ouvert sur le reste du monde.

Il faut promouvoir une véritable culture du suivi et de l'évaluation. Il sera long et difficile de faire changer les mentalités. Mon rôle sera d'essayer, avec votre soutien, d'accompagner les acteurs dans toutes les étapes de ce changement indispensable.

Il faut aussi mieux faire comprendre à l'ensemble de nos concitoyens, y compris au corps médical, ce qu'est le rapport bénéficerisque et que les bénéfices d'un jour peuvent ne pas se retrouver dans le temps. Cette balance doit être en permanence réévaluée, en-dehors de toute crise et hors des passions. Cela n'a d'autre nom que le progrès.

Je m'efforcerai aussi, avec votre soutien, de favoriser les déclarations d'incidents. En effet, comment expertiser valablement sans informations ? Incitons les patients et les prescripteurs eux-mêmes à faire état des effets indésirables qu'ils ont pu constater. Combien de fois un praticien n'a-t-il pas décidé dans son for intérieur de ne plus jamais prescrire un médicament car il a eu connaissance d'un cas étrange sans toutefois n'avoir rien déclaré à quiconque ! Ces déclarations sont aujourd'hui compliquées. On se sent quelque peu coupable de les faire et on s'inquiète de leur traçabilité. Les faciliter et y encourager, sans qu'on tombe à chaque fois dans le drame, participe de la démocratie sanitaire.

Si notre système de pharmacovigilance doit s'améliorer, il nous faut également surveiller des signaux extra-pharmacologiques. Sans tomber dans la paranoïa, efforçons-nous d'en capter le plus possible. Comme je le disais, qu'un produit ne soit distribué qu'en France devrait alerter. Il en va de même si plusieurs agences de notation internationales reconnues estiment que le service médical rendu (SMR) d'un médicament est faible ou nul. Il arrive certes qu'elles se trompent, mais nous ne pouvons rester indifférents à leurs avis.

Même si elle a pu faillir, l'AFSSAPS demeure brillante. Il n'en reste pas moins qu'elle a perdu en anticipation. Si le savoir n'est plus que du côté des industriels ou de leurs consultants, l'Agence, passive, ne peut plus assurer la police du médicament à partir des critères les plus pertinents. N'ayons pas peur des connaissances accumulées par les industriels, accompagnons-les, comme le fait la FDA aux États-Unis. Attachons-nous à la veille scientifique et soyons plus pro-actifs en matière de recherche.

Notre système de santé doit aussi donner la préférence à ce qui est le plus utile. Vingt mille médicaments sont commercialisés, le marché du médicament est libre et les Français, on le sait sans en connaître vraiment la raison, consomment plus de médicaments que d'autres. Il faut être clair : qu'un médicament ait reçu une AMM, soit commercialisé, éventuellement en vente libre, ne signifie pas qu'il doit obligatoirement être utilisé. Les risques sont énormes si on laisse des médicaments sans utilité sous prescription. Quand des médicaments, c'est-à-dire des principes actifs, sont en vente libre, il faut les gérer d'une autre façon. L'une des richesses de notre système de santé est que la population a très largement et de manière équitable accès aux biens de santé. L'accès au marché est également équitable pour les fabricants, c'est l'une des clés de la réussite de notre système. Ne transformons pas ces atouts en faiblesses.

Ce qui se passe en France est très regardé dans le monde. Notre dispositif de régulation du médicament est jusqu'à présent demeuré un modèle. Il a notamment largement inspiré la réforme de la santé aux Etats-Unis. Si je suis nommé à la tête de l'AFSSAPS, je n'ai pas l'intention de mettre à bas un système qui ne fonctionne pas si mal, mais au contraire d'en soutenir les valeurs, de le moderniser, d'en corriger les dysfonctionnements et de le rendre encore plus efficace. C'est dans cette stratégie d'action que je m'inscris.

Je m'engage à la transparence, au débat, et à l'information. Le langage des experts est trop abstrait et incompréhensible. Il est très difficile de comprendre, à la consultation du site Internet de l'AFSSAPS mais aussi de l'Agence européenne du médicament, l'EMA (European Medicine Agency), ce qu'est un bon médicament et d'identifier ses dangers. Mon devoir sera de rendre l'information plus transparente pour nos concitoyens comme pour les prescripteurs, pour lesquels formation et information vont de pair.

1 commentaire :

Le 19/02/2011 à 19:32, ernst a dit :

Avatar par défaut

J'espère que vous remplirez vos nouvelles fonctions avec honèteté et sans aucun lien d'intéret comme vous le dites .

Comme Mr Bernard Bapt vous l'a signalé nous sommes des centaines de malades atteints de myofasciite a macrophage qui attendent reconaissance et réparation après avoir été contaminées pas les vaccins contre l'HB .

Nous attendons de vous que nous ne soyons plus les méchants qui critiquent les laboratoires mais reconnus comme étant leurs victimes .

Sincèrement

ernst fabienne

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion