Tout ce qui touche à la question des droits de mutation à titre gratuit, qu'il s'agisse de donation ou de succession, doit être d'abord examiné sous l'angle civil. De ce point de vue, toutes les enquêtes indiquent que les Français sont viscéralement attachés à la notion de réserve héréditaire, qui nous vient du droit romain, à la différence des pays anglo-saxons, lesquels considèrent comme légitime la possibilité de déshériter ses enfants.
Cela a des conséquences, monsieur Carrez, sur l'importance des dons manuels, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal.
Sur le plan civil, les dons manuels au bénéfice d'un des enfants au détriment des autres nourrissent un conflit latent qui explose au moment de la succession, conduisant les héritiers devant les tribunaux. Ce sont des situations que nous rencontrons tous les jours dans nos études.
Sur le plan fiscal, la Cour de cassation a estimé que l'imposition du don manuel devait être assise sur son montant nominal. Cette jurisprudence a pour conséquence de susciter une évasion fiscale de grande ampleur via des montages aberrants, que les notaires refusent d'avaliser. L'évasion fiscale concernant les dons manuels est aujourd'hui pyramidale !
La question de la transmission à titre gratuit d'entreprises est un sujet important et cher au notariat, et nous avons très longtemps milité pour une évolution de la législation civile et fiscale en la matière. Aujourd'hui, la plupart des problèmes sont réglés par le dispositif mis en place par les lois Dutreil 1 et 2. Toute remise en cause de ce dispositif, certes complexe, risque de ressusciter les situations d'exil fiscal et de délocalisation d'entreprises que nous avons connues dans le passé. En effet, si la France manque, à la différence de ses concurrents européens, d'un réseau de PME dynamique, c'est aux déficiences passées de notre système fiscal en matière de transmission d'entreprises qu'elle le doit.
S'agissant de la cession d'entreprises, nous sommes devant le mur de l'ISF, le seul moyen de le franchir étant de s'exiler à Bruxelles, comme des centaines de Français l'ont fait. Ce n'est peut-être pas la solution la plus favorable à l'État, et il faudrait qu'une réflexion s'engage sur ce problème, dans l'hypothèse d'un maintien de l'ISF. Le législateur pourrait, par exemple, s'inspirer du dispositif d'exonération des plus-values de cession d'entreprise individuelle mis en place par la loi Dutreil au bénéfice des dirigeants de PME qui partent en retraite.