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Intervention de Alain Delfosse

Réunion du 9 février 2011 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Alain Delfosse, directeur du service des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat :

Avec les dispositions du Grenelle 2 taxant les plus-values découlant de l'installation d'infrastructures publiques, et qui ont été supprimées par la dernière loi de finances, un terrain devenu constructible pouvait être frappé de trois taxations : la taxe prévue dans le Grenelle 2, la taxe sur les plus-values immobilières et la taxe pour les terrains rendus constructibles dans le cadre de l'article 1529 du code général des impôts. Or, dans le même temps, l'OCDE nous indique que l'imposition de la propriété immobilière représente 2,2 % du PIB en France, contre 1,1 % dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

S'agissant des droits de mutation à titre onéreux, nos propositions de réforme visent à favoriser l'acquisition par des primo-accédants pour les unes, et la mobilité professionnelle pour les autres.

Dans l'état actuel du droit, les droits de mutations à titre onéreux sont des impôts réels qui frappent les contribuables sans considération de leur situation personnelle. Avec un taux de 5,09 %, ils constituent une charge importante lors de l'acquisition d'un logement, et aujourd'hui la part des ménages propriétaires de leur résidence principale est de 58 % en France, contre 70 % au Royaume-Uni. Or on sait que l'accession à la propriété est facteur de paix sociale, outre qu'il est un moyen de régler des problèmes tels que celui de la dépendance ou du cadre de vie des futurs retraités. Pourtant, selon l'INSEE, la part des ménages les plus modestes, la part des primo-accédants a diminué au sein des ménages ayant acquis leur logement.

C'est pourquoi le notariat a à coeur de voir consacrer un statut fiscal de la résidence principale, en vous proposant des pistes de réforme, non seulement du régime des droits d'enregistrement, mais également du régime des droits de mutation à titre gratuit et de celui des revenus fonciers.

La première piste que nous vous proposons serait de permettre aux primo-accédants de déduire de leurs revenus les droits de mutation à titre onéreux pendant un délai de cinq ans. Cette solution aurait le mérite de ne pas diminuer directement les recettes des collectivités locales. L'autre solution, plus franche et qui aurait un plus grand impact sur l'opinion, serait de diminuer les droits d'enregistrement en cas de primo-accession. Elle viendrait utilement compléter le nouveau PTZ. Je rappelle qu'en Italie le taux de ces droits est de 3 %, qu'en Belgique il s'applique après abattement, et qu'au Royaume-Uni il varie en fonction du montant de l'acquisition. Une troisième possibilité est de favoriser l'accession à la propriété du locataire du bien : celui-ci, à la condition qu'il l'occupe depuis au moins deux ans, pourrait devenir propriétaire de sa résidence principale sans avoir à payer de droits de mutation.

S'agissant de la mobilité professionnelle, on sait qu'elle est entravée par la charge que constituent les droits de mutation, d'autant plus lourde que les ménages ne peuvent pas les déduire de leur revenu imposable : ces frais constituent un frein à la mobilité résidentielle et contribuent à la rigidité du marché du travail. Cette charge est d'autant plus lourde qu'elle est récurrente, puisqu'on déménage en moyenne tous les sept ans en Île-de-France, et tous les neuf ou dix ans en province. Certains ménages préfèrent même renoncer à un emploi pour ne pas avoir à changer de résidence principale, et ainsi amortir ces frais.

Pour faciliter la revente-acquisition, pourquoi ne pas permettre d'imputer les frais payés lors de la première acquisition sur ceux dus lors de la seconde, à la condition que celle-ci ait lieu dans un certain délai ? On pourrait également faciliter la translation d'hypothèque, en supprimant les droits d'enregistrement en cas de transfert de prêts hypothécaires dans le cadre d'une mobilité résidentielle.

J'ai bien conscience que ces solutions auraient un coût fiscal. Mais nous pouvons également vous proposer des sources de recettes.

On pourrait ainsi envisager le rehaussement des droits dus par un professionnel au titre de l'achat de murs commerciaux ou industriels, puisqu'il peut les déduire en tant que frais d'établissement. On pourrait également relever la taxation des opérations purement spéculatives réalisées par les marchands de biens : il n'est pas normal que les plus-values immobilières réalisées par les marchands de biens ne soient taxées qu'à hauteur de 0,715 %, soit un taux sept fois moindre que le taux acquitté par les particuliers.

On peut également découvrir des gisements de recettes fiscales dans le régime des droits de mutation à titre gratuit.

Dans l'état actuel du droit, les droits de donation ou de succession sont calculés après réintégration des seules donations consenties depuis moins de six ans par le donateur ou le défunt au même bénéficiaire : c'est ce qu'on appelle la « dispense de rappel fiscal ». Cette règle a des conséquences fiscales non négligeables, les transmissions à titre gratuit consenties entre les mêmes personnes dans le délai de six ans formant une unité du point de vue du calcul de l'impôt, de l'application des abattements, des tranches du barème et des réductions de droits. En revanche, les donations consenties depuis plus de six ans étant dispensées de rappel fiscal, les compteurs fiscaux sont remis à zéro : le donataire ou l'héritier bénéficie à nouveau des abattements, des tranches basses du tarif et des réductions de droits.

Le notariat propose de moduler ce rappel fiscal et, en même temps, de faire passer le délai de six à dix ans, comme c'est le cas en Allemagne, et comme c'était le cas en France avant 2006. On pourrait envisager une formule pro rata temporis, qui rendrait le dispositif plus équitable en supprimant la brutalité de ses effets de seuil. On pourrait ainsi prévoir une reconstitution des abattements de 10 % par an, sur une durée de 10 ans.

Un second gisement est à rechercher du côté des dons manuels. Le notariat a souvent signalé les dangers de ces donations de sommes d'argent de la main à la main, d'autant que la financiarisation des patrimoines a considérablement étendu le domaine de ces donations, qui peuvent désormais porter sur des valeurs mobilières ou des virements de compte à compte. Si nos concitoyens les considèrent comme un espace de liberté juridique, cela ne doit pas faire oublier que ces opérations constituent une bombe à retardement, susceptible d'exploser lors du règlement de la succession du donateur. Les notaires ne diront jamais assez que la transmission du patrimoine est un acte grave, qui doit s'inscrire dans la durée et ne peut se résumer à la signature d'un imprimé fiscal. Les dons manuels constituent de véritables niches fiscales, qu'il conviendrait de revisiter. Notre propos n'est pas d'abolir les dons manuels, qui ont leur place dans notre arsenal juridique, mais de revenir sur l'immunité fiscale dont ils bénéficient dans certaines situations, en un mot de limiter les abus.

La première piste serait la mise en place d'une obligation de déclarer le don manuel, même si le donataire ne vient pas à la succession du donateur ou ne reçoit pas de nouvelles donations de sa part. Aujourd'hui, les dons manuels échappent à toute taxation, sauf dans quatre cas : lorsqu'ils sont déclarés dans un acte, lorsqu'ils sont reconnus judiciairement, lorsqu'ils sont révélés volontairement, ou lorsqu'un don manuel devient imposable si son bénéficiaire hérite du donateur ou reçoit une nouvelle donation. S'agissant d'opérations par nature discrètes, le donataire peut être tenté, conformément à l'adage « pas vu, pas pris » de ne pas révéler les dons s'il n'est pas appelé à recevoir une nouvelle donation, ou s'il n'a pas vocation à hériter du donateur. Dans ces situations, le don manuel conduit à une absence de neutralité au détriment des autres formes de donation, taxées dès leur réalisation. Pour mettre fin à cette immunité fiscale, on pourrait envisager l'instauration d'une obligation de révéler les dons manuels qui n'auraient pas été taxés du vivant du donateur, au plus tard lors du décès du donataire.

Une deuxième piste est à rechercher dans l'assiette imposable des dons manuels. Celle-ci est normalement constituée de la somme d'argent donnée, même lorsque cette somme a servi à l'acquisition d'un bien. Contrairement à l'administration fiscale, la Cour de cassation considère que le montant à taxer est celui de la somme donnée. Sans remettre en cause le principe de taxation de la valeur historique des donations manuelles de sommes d'argent, ne pourrait-on envisager de l'assortir de certaines conditions ? Par exemple, en cas de réemploi de la somme donnée, la taxation pourrait porter sur son montant nominal, à condition que le don soit révélé à l'administration fiscale dans les six mois à compter de sa réalisation ; à défaut, l'assiette imposable serait alors la valeur du bien acquis avec la somme donnée. Pas plus que nous ne remettons en cause les dons manuels, nous ne remettons en cause la faculté d'utiliser les présents d'usage, qui resteront hors du champ fiscal à partir du moment où ils respecteront certaines conditions.

L'assurance-vie peut constituer un troisième gisement de recettes fiscales, et ce pour quatre raisons. Premièrement, si les avantages fiscaux de l'assurance-vie existent dans de nombreux pays, ils sont beaucoup plus importants en France. Deuxièmement, l'assurance-vie constitue 40 % du patrimoine du dernier décile, c'est-à-dire des 10 % de ménages les plus fortunés. Troisièmement, 59,8 % des détenteurs d'assurance-vie n'ont que des contrats en euros. Quatrièmement, les assurances vie actuellement commercialisées n'ont rien à voir avec les contrats d'assurance-vie envisagés par la loi de 1930 : ce sont désormais des opérations de placement fonctionnant selon le principe de la capitalisation.

Dans ces conditions, deux pistes de recettes se dégagent. Sachant que l'article 990 I du code général des impôts soumet à un prélèvement forfaitaire de 20 % tout le capital excédant 152 500 euros par bénéficiaire, on peut se demander pourquoi un contrat s'apparentant à un placement financier bénéficie d'un régime aussi favorable. Pourquoi ne pas prévoir un barème légèrement progressif au-dessus de 20 % ? Pourquoi ne pas plafonner l'avantage fiscal, ou encore moduler le tarif en instituant des tranches ? On pourrait également instaurer un barème différencié au cas où l'épargne est orientée vers les entreprises.

Quant aux dépenses fiscales, nous n'en avons que peu à vous suggérer, et il s'agit plutôt de propositions de simplification, la simplicité étant ce qui manque à la fiscalité française.

Nous vous proposons ainsi d'appliquer le même barème aux droits de succession en ligne directe et aux droits de mutation entre époux ou pacsés. Ce serait d'ailleurs l'occasion de créer une véritable progressivité. Dans l'état actuel du droit, la tranche à 20 % s'applique à des montants qui vont de 15 900 euros à 552 000 euros, alors qu'en Allemagne la taxation est de 19 % jusqu'à 6 millions d'euros. Ensuite, on a une quasi-inexistence des tranches les plus basses : on arrive très vite aux taux de 20 %.

Par ailleurs, notre fiscalité successorale est largement imprégnée du droit du sang, mais nous ne ferons pas l'économie, dans les années qui viennent, d'une réflexion sur les familles recomposées. Or la succession entre étrangers est actuellement soumise au taux confiscatoire de 60 %.

Dans la perspective, déjà esquissée, d'un véritable statut fiscal de la résidence principale, on pourrait également envisager que le régime fiscal des successions réserve à celle-ci un traitement particulier.

Quant au relèvement par la loi TEPA de l'abattement en ligne directe, envisagé à taux constant, ce n'est là que la nécessaire actualisation d'un abattement qui n'avait jamais été revalorisé. En Allemagne, cet abattement est de 400 000 euros.

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