Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans sa saisine du Conseil d'État en date du 11 février 2008, M. le Premier ministre invitait les conseillers d'État à procéder à l'examen approfondi de la question suivante : « Les dispositions encadrant les activités d'assistance médicale à la procréation, et en particulier celles de diagnostic prénatal et préimplantatoire, garantissent-elles une application effective du principe prohibant toute pratique eugénique tendant à l'organisation et à la sélection des personnes ? »
Force est de constater, trois ans après, que très peu d'éléments de réponse nous ont été fournis par les différentes études, les différents rapports qui ont été rédigés dans le cadre de la préparation de cette révision des lois de bioéthique. Et pourtant, chacun d'entre nous peut constater une dérive progressive dans la pratique du dépistage prénatal : 92 % des foetus porteurs de la trisomie 21 sont détectés, et parmi eux, 96 % sont ensuite éliminés.
Sans porter, en aucune manière, un jugement de valeur sur les choix souvent douloureux qui sont faits par chaque couple, il est de notre devoir, me semble-t-il, de nous interroger sur ces chiffres impressionnants, qui découlent d'un système volontairement organisé à cet effet.
Et nous devons également nous interroger sur le texte du projet de loi, qui, loin d'envoyer un signal contraire, nous invite à programmer un dépistage généralisé. Plutôt que de cautionner l'élimination du handicap, ne pourrions-nous pas plutôt privilégier sa prise en charge collective par notre société, qui serait alors véritablement solidaire ? Et ne pourrions-nous pas, dans la pratique du diagnostic prénatal, rétablir un peu plus de liberté, un peu plus de sérénité, tant du côté des femmes et des couples, qui doivent retrouver une véritable liberté de choix, que du côté des médecins, qui doivent retrouver aussi une véritable liberté dans leur pratique médicale ?
S'agissant des médecins, vous me permettrez de lire des extraits d'une tribune que plusieurs médecins gynécologues et personnalités représentatives de la réflexion bioéthique viennent de publier dans un grand quotidien, pour réclamer que soit inscrite dans la loi l'obligation d' « une meilleure information de la femme dans le cadre du diagnostic prénatal ». Parmi les cosignataires de cette tribune, nous retrouvons le docteur Gilles Grangé, de la maternité Port-Royal, le professeur Emmanuel Hirsch, de la faculté de médecine de l'université Paris-Sud 11, le professeur Pascal Gaucherand, chef de service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Femme-Mère-Enfant de Lyon, le professeur Jean-François Mattei, ancien ministre de la santé, le professeur Gérard Lévy, ancien président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, le professeur Israël Nisand, chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de Hautepierre à Strasbourg, ou encore le professeur Didier Sicard, président d'honneur du Comité national consultatif d'éthique.
Je cite leur tribune :
« Les statistiques nationales nous indiquent que les femmes enceintes se prêtent massivement à ce dépistage alors que leur autonomie décisionnelle est mise à mal par un manque d'information. Ajoutons qu'aux facteurs qui contribuent à entraver cette autonomie décisionnelle s'ajoute une forte pression sociale conduisant à un rejet de plus en plus systématique de la différence. Cela se traduit par un taux très élevé d'interruption de grossesse en cas de diagnostic anténatal de trisomie 21.
« Cela a probablement échappé à beaucoup, », disent-ils, « mais, le projet de loi de bioéthique couvre ces problématiques et constitue à ce titre une opportunité pour renforcer l'autonomie des femmes enceintes face à un dépistage de masse aux enjeux fondamentaux.
« La proposition de loi, par sa formulation actuelle, voudrait contraindre les praticiens à la proposition systématique du test de dépistage de la trisomie 21. Il s'agit en réalité d'entériner une situation de fait qui n'a jamais fait l'objet d'un débat public. En effet, devant le niveau d'information hétérogène des femmes, la proposition systématique est le moyen de garantir une certaine égalité d'accès. L'intention est louable. Néanmoins, on ne peut pas se satisfaire d'une démarche qui piétine le droit à l'information et à l'autonomie décisionnelle des femmes enceintes. Si la proposition du test doit en théorie être accompagnée d'une information permettant une décision éclairée, la réalité des pratiques en est très éloignée.
« Le projet de loi est donc une chance pour que les assemblées, et à travers elles les citoyens, y réfléchissent et réintroduisent l'importance première de l'information sur les possibilités de dépistage et la substituent à la proposition systématique des tests. L'égalité d'accès sera respectée, et la société, par la loi dont elle se dotera, signifiera clairement sa préoccupation de la liberté de choix des femmes enceintes et des couples. Il s'agira de ne plus placer les femmes enceintes face à un choix qui se résumera à consentir ou à refuser, alors que ce dépistage devrait être une demande de la femme bien au fait de ses modalités et de la stratégie plus globale dans laquelle il s'intègre.
« Ce changement permettrait de ne plus faire du taux de couverture du test l'objectif principal de nos tutelles alors que les préoccupations sont davantage de savoir si ces choix importants sont réellement faits en connaissance de cause.
« Mettre l'accent sur l'information, c'est laisser la possibilité de ce dépistage à celles qui le souhaitent, sans que les autres ne se sentent contraintes. C'est l'opportunité d'informer sur l'intérêt de ce test, mais aussi sur ses écueils, les risques qui lui sont associés. C'est enfin une occasion favorable pour parler de la trisomie 21 elle-même. En avoir conscience c'est pouvoir, d'une façon peut-être imperceptible, changer le regard du corps médical, des femmes enceintes et de la société sur ce dépistage. Dans cette différence tient aussi la nature du regard que l'on pose sur l'anormalité et sur la liberté individuelle face à l'hégémonie du “normal”. Il nous semble ainsi que ce projet de loi sous sa forme actuelle n'a pas pris la pleine mesure de l'avis du Comité consultatif national d'éthique expliquant : “Il est à craindre que le recours fréquent au diagnostic prénatal ne renforce le phénomène social de rejet des sujets considérés comme anormaux et ne rende encore plus intolérable la moindre anomalie du foetus ou de l'enfant.” »
Cette tribune concluait : « Les débats concernant la recherche sur l'embryon, le diagnostic préimplantatoire et la gestation pour autrui occupent aujourd'hui une place très importante dans l'espace médiatique. Ceux-ci sont fondamentaux car ils réactualisent les valeurs de notre société, mais ils ne concernent en pratique que peu de couples. La question du dépistage, qui dépasse de loin la question de la trisomie 21, s'inscrit dans une dimension plus vaste car elle touche toutes les femmes enceintes, leur conjoint, et leurs enfants à naître. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)