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Intervention de Vincent Chriqui

Réunion du 9 février 2011 à 10h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique, CAS :

Placé auprès du Premier ministre, le Centre d'analyse stratégique compte environ 150 agents répartis entre quatre départements : économie, travail et emploi, questions sociales, développement durable.

Ce dernier couvre bien évidemment un champ très vaste que nous essayons de traiter en nous intéressant à des questions comme les transports, les comportements écologiques, la croissance verte, la consommation durable et l'énergie. Afin de pouvoir ensuite répondre aux questions, je me contenterai de balayer rapidement ces sujets, en insistant sur nos travaux les plus récents.

La consommation durable a fait l'objet d'un rapport que j'ai récemment remis à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. En la matière, le constat est connu : une forte pression s'exerce aujourd'hui sur les ressources naturelles, par le biais des émissions de gaz à effet de serre et d'une consommation non soutenable des matières premières. Certes, des progrès technologiques sont enregistrés, mais ils ne suffisent pas : pour atteindre les objectifs recherchés, il faut aussi parvenir à changer les comportements et les modes de consommation. Ainsi, on estime que la moitié des objectifs que l'on se donne en matière de lutte contre le changement climatique peuvent être atteints par des améliorations technologiques qui permettront de produire avec moins d'énergie et ainsi de « verdir » la production, mais que l'autre moitié viendra des consommations : certes, les voitures consomment de moins en moins d'énergie, mais cela ne sera pas suffisant si l'on ne parvient pas à rouler moins.

Notre rapport analyse donc toute une série de pistes qui visent à faire des consommateurs les vrais acteurs de leur consommation : si beaucoup sont conscients des enjeux du développement durable, rares sont ceux qui traduisent cette prise de conscience dans leurs actes de consommation. Parmi les pistes identifiées, on trouve en particulier des mesures d'incitation et de formation dès le plus jeune âge ; des propositions relatives aux modes de consommation comme les circuits courts et les éco-quartiers ; ce qui a trait aux progrès technologiques ; des dispositifs d'information, en particulier par le biais de labels ; les signaux prix, en particulier avec l'application de bonus-malus et des prix plus élevés pour certains types de consommation ; enfin les actions des collectivités locales pour favoriser certains types de consommation.

Une telle politique ne peut être efficace qu'à long terme car il s'agit en fait de changer de société. Par ailleurs, nous ne faisons pas de lien entre une société plus économe, avec une consommation durable, et la théorie de la décroissance : pour nous, il ne s'agit pas de consommer moins mais mieux ; ce sont souvent des objets plus sophistiqués qui le permettent. Cela pose d'ailleurs une autre difficulté car la consommation durable ne saurait être réservée à une élite.

Je ne brosserai bien évidemment pas ici un tableau d'ensemble des énergies renouvelables. Un mot peut-être de l'éolien qui est actuellement le sujet principal. La situation de la France est assez complexe. Tout l'éolien onshore installé dans notre pays vient de producteurs étrangers car nous n'avons pas acquis la maîtrise technologique en la matière : sur les 7 000 emplois en France dans ce secteur, 90 % sont dans la distribution et l'installation, et seulement 3 % dans la fabrication ! Le contexte est différent pour l'offshore, industrie naissante dans laquelle nous disposons, avec Vergnet, d'un producteur spécialisé, et qui bénéficie d'un très ambitieux programme gouvernemental de 10 milliards d'euros afin de lancer les appels d'offres en vue de la construction, à l'horizon 2015, de 600 éoliennes, pour une production totale de 3 GW, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. Si nous parvenons à mener parallèlement une véritable politique industrielle, nous aurons ainsi la possibilité de créer une véritable filière française de l'éolien.

Même si l'on y entend plutôt parler des transports, la déforestation est un sujet très important dans les négociations sur le réchauffement climatique. On estime que 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre lui sont liés. Pour lutter contre ce phénomène, on a prévu à Cancun de procéder par étapes : élaboration de plans de lutte, puis rémunération partielle des efforts, enfin pleine rémunération, soit par un marché, soit par un fonds. La France et la Norvège ont été en pointe sur ces questions ; elles ont créé un partenariat mondial destiné à collecter quelque 4 milliards d'euros pour l'ensemble de ces programmes.

Pour sa part, le Centre d'analyse stratégique s'est demandé comment cet argent pourrait être dépensé de façon efficace, ce qui paraît assez difficile dans la mesure où les États les plus directement concernés sont souvent fragiles et où il n'est pas facile d'y mener des politiques d'incitation adaptées. Nous considérons qu'il convient en la matière de mener des politiques globales. Ainsi, la lutte contre la déforestation ne peut pas être déconnectée de la politique agricole, en particulier de la place de l'agriculture et des exploitations familiales, donc du subventionnement et, par exemple, de la diffusion de semences sélectionnées afin d'éviter d'aller vers une exploitation intensive. De même, en matière d'exploitation forestière, il faut clarifier les régimes fonciers, établir une cartographie des espaces, donc s'intéresser aux aspects juridiques liés au droit de la propriété – je vous renvoie sur ce point à un autre de nos rapports, consacré aux actifs agricoles.

Nous nous sommes aussi intéressés ces derniers mois aux nouvelles mobilités. On voit bien que la trajectoire actuelle en matière de transports n'est pas durable : les émissions de gaz à effet de serre ont diminué dans tous les secteurs, elles ont augmenté de 20 % dans les transports, tandis que le parc automobile a doublé en une trentaine d'années, de même que le nombre de déplacements en voiture. Je l'ai dit, les voitures sont de plus en plus efficaces, on commence même à disposer de véhicules électriques et hybrides, mais cela ne suffit pas à compenser l'accroissement du nombre des déplacements, d'autant que nous restons très dépendants de la voiture, autour de laquelle notre société a été largement construite. Or, nous disposons d'exemples inverses à l'étranger : à Zurich, 44 % des déplacements se font à pied ; à Copenhague, 36 % se font à vélo ; à Ulm, 10 % de la population sont inscrits au système d'autopartage. L'évolution passera d'abord par les villes, avec davantage de partage, une nouvelle génération de véhicules et des initiatives des collectivités locales en faveur de schémas de déplacements.

En 2011, nous traiterons d'autres sujets également liés au développement durable. Nous continuerons bien évidemment à travailler sur la lutte contre le changement climatique. Nous nous pencherons sur les outils de régulation économique, en particulier la taxe carbone, et sur des incitations à des modifications de comportements. Nous réfléchirons aux véhicules du futur, en nous interrogeant sur l'évolution des voitures traditionnelles comme sur les nouveaux types de véhicules.

De manière plus générale, nous nous efforcerons de conduire une réflexion sur la croissance verte. Outre que le sujet est complexe, il est propice aux polémiques, on l'a vu récemment avec une étude du Trésor qui montrait que les investissements liés à la croissance verte pouvaient générer de la croissance à court terme mais que les choses étaient plus compliquées à long terme, dès lors que l'on tenait compte de la contrainte budgétaire. Je crois, en effet, qu'il faut être prudent et tenir compte des contraintes environnementales, de la nécessité de se montrer plus économe dans l'utilisation des ressources, toutes choses qui, en elles-mêmes , ne sont pas créatrices de croissance. Pour autant, la croissance peut suivre grâce à des gains de productivité, à des innovations technologiques qui permettent de gagner en efficacité et en compétitivité pour peu que nous les développions avant les autres. Mais cela ne « tombera pas du ciel », il faut une réflexion stratégique afin de distinguer les secteurs dans lesquels notre pays peut-être à la pointe et mener une politique industrielle adaptée. Ce sont tous ces sujets que nous explorerons tout au long de l'année, en lien avec le Commissariat général à l'investissement et aux dépenses d'avenir.

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