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Intervention de Pierre-Yves Bourtourault

Réunion du 9 février 2011 à 11h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre-Yves Bourtourault, avocat conseil au cabinet Baker & Mc Kenzie :

Avant d'en venir aux pistes, il importe de recadrer les objectifs de la réforme – et non de la « révolution » – fiscale. Il faut donc entendre que la contribution au budget de l'État doit être identique, même si elle est déjà proportionnellement supérieure à ce qu'elle est dans les pays voisins.

Nos clients réclament, quant à eux, de la lisibilité, d'où découle une nécessaire proportionnalité de l'impôt en fonction des capacités contributives de chacun. Ils aspirent également à une simplification qui passe avant tout par une limitation des dérogations et par des règles simples, qui sont la condition de l'équité devant la charge fiscale. Il faut également de la sécurité, qui est synonyme de prévisibilité et d'absence de complexité. Par ailleurs, les impôts ne doivent pas nuire à la fluidité du marché, c'est-à-dire au transfert des actifs. La fiscalité englobe non seulement l'impôt sur le stock, mais aussi les impôts perçus au moment des transferts, comme les droits d'enregistrement et la taxation des plus-values. L'attractivité du système fiscal français par rapport à ses concurrents doit également être prise en compte.

En France, on acquitte un impôt lors de l'acquisition du patrimoine – en général, des droits d'enregistrement de l'ordre de 5 % sur la valeur –, ce qui est étrange puisqu'à cet instant l'acquéreur n'en a tiré aucun profit et que cette charge non négligeable va grever le coût d'obtention et accroître le besoin de financement. Cette taxe n'existe pas dans les mêmes proportions ailleurs. La détention du patrimoine est également imposée, par le biais de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, et des impôts locaux. Il ne faut pas oublier la taxe de 3 % payée par les non-résidents sur la détention de patrimoine immobilier, dont il est rarement question mais qui est assez lourde, surtout à un moment où il faudrait favoriser l'acquisition de biens par des étrangers, d'autant qu'elle génère des activités économiques dans son sillage. Outre son aspect quelque peu discriminatoire, cet impôt me semble anti-économique.

La cession de patrimoine est également assujettie à des impôts : la taxation des plus-values et, éventuellement, les droits d'enregistrement qui sont dus soit par l'acquéreur – c'est le cas général – soit par le vendeur. Parmi les impôts sur la cession du patrimoine, figure également l'impôt sur la transmission à titre gratuit, dans le cadre des donations et des successions, et qui excède en théorie ce qui se fait à l'étranger.

S'agissant de l'environnement international, la fluidité de la transmission transfrontalière de patrimoine est assurée par des conventions fiscales, mais elles sont rares à traiter des donations, un peu plus nombreuses à traiter des droits de succession. Dans un environnement économique globalisé, où les migrations de population concernent également des individus à fort pouvoir d'achat, les problèmes de double imposition sont mal traités en l'absence de dispositif adéquat.

Les propositions que je vais vous soumettre tiennent compte des échanges, d'une part, avec nos clients et, d'autre part, avec mes confrères que je rencontre dans le cadre de l'association que je préside actuellement, l'Institut des avocats conseils fiscaux.

Il faudrait – première proposition – réduire, par exemple à trois, le nombre de catégories d'imposition. Le régime actuel repose toujours sur des cédules mises en place au début du siècle dernier, sortes de silos étanches dans lesquels sont traitées indépendamment les unes des autres les catégories de revenus, en particulier les plus et moins-values selon leur origine. Le chiffre de trois peut être discuté, mais il faciliterait le calcul de l'impôt. Nous proposons de distinguer les revenus d'activité, ceux issus du patrimoine, et les plus-values immobilières, qui pourraient constituer une catégorie à part. Les revenus du patrimoine regrouperaient alors plusieurs cédules actuelles qui se verraient fiscalisées selon les mêmes règles – deuxième proposition –, à savoir un taux forfaitaire unique, faible, sur un revenu net mais large – le cas échéant avec un barème progressif pour ne pas pénaliser les contribuables faiblement assujettis – et prenant en compte la spécificité des placements à long terme ou risqués par le biais de réfactions ou d'abattements. Enfin, – troisième proposition –, il faudrait supprimer ou modifier substantiellement l'ISF et, par voie de conséquence, le bouclier fiscal et la taxe de 3 % sur le patrimoine immobilier des non-résidents.

La Suède, quant à elle, distingue trois catégories d'imposition – les revenus d'activité salariée, d'activité professionnelle non-salariée, et du patrimoine. Les Pays-Bas également : revenus d'activité, ceux issus d'une participation substantielle dans une société et ceux issus du patrimoine. Aux États-Unis, où les règles sont compliquées, il existe deux catégories principales – les revenus d'activité et ceux du patrimoine – et les plus-values immobilières sont isolées. Cette nomenclature suppose d'identifier correctement les revenus issus du patrimoine par rapport aux autres, et donc de revenir sur la définition actuelle qui permet de requalifier en revenus d'activité certains revenus du patrimoine et entretient le flou entre patrimoine privé et patrimoine professionnel. Certaines mesures ont été prises, comme la suppression de la théorie du bilan, mais il faut poursuivre la tâche pour éviter les structures artificielles. Nous proposons aussi une lisibilité et une complète transparence pour pouvoir contester les montages du type holding patrimoniale qui permettent actuellement d'échapper à l'imposition des personnes physiques. En les ignorant, on pourrait aller chercher directement les actifs et les revenus qu'ils génèrent.

Une fois correctement identifiés, les revenus qui doivent figurer dans la catégorie des revenus du patrimoine seraient frappés d'une taxe forfaitaire sur un revenu net. L'uniformité de taux est en vigueur en Suède, en Espagne, en Belgique, au Royaume-Uni, et en partie aux États-Unis. Autrement dit, cette proposition n'a rien d'une innovation. Elle vise simplement à une simplification en s'appuyant sur l'expérience d'autres pays.

Si le taux est faible, nous proposons une assiette large en incluant dans les revenus issus du patrimoine ceux acquis en franchise d'impôt dans des structures de capitalisation, en adoptant la règle du mark to market qui permet de prendre en compte la revalorisation des actifs sous-jacents ou les revenus engrangés au niveau des structures intermédiaires, y compris par le biais de l'assurance vie.

Dans le calcul des revenus nets, il conviendrait d'accepter que les pertes ou moins-values générées par certains revenus soient imputables sur les autres revenus, pour respecter le principe selon lequel on est imposé en fonction de sa capacité contributive.

La distinction entre placements à court terme et placements à long terme existe partout, et ce critère pourrait se combiner à celui du risque couru par l'investisseur pour soustraire de la base imposable les capitaux propres des sociétés, notamment des PME. Et, même si la fiscalité des particuliers ne doit pas être le seul canal pour favoriser ce type d'investissement, un dégrèvement peut être envisagé compte tenu de l'intérêt que présente pour les contribuables le développement de l'économie locale.

Cela étant, on comprend bien que, pour des raisons strictement politiques, il faille prévoir des exceptions à telle ou telle règle. Dans pareil cas, nous proposons de les traiter par voie de réduction ou de crédit d'impôt, en somme de recourir à des outils uniformisés pour ne pas créer des « trous dans le gruyère » et ne pas complexifier le système au point de le rendre incompréhensible.

La contrepartie de l'harmonisation consisterait à modifier l'ISF de façon substantielle. Le consensus s'est fait autour d'une base élargie, au besoin après application d'un seuil, et de taux très faibles, de l'ordre de 1 ‰, de sorte que la solidarité joue. Une autre conséquence serait la suppression du bouclier fiscal et de la taxe de 3 %. Initialement, celle-ci était destinée à des contribuables français qui auraient été tentés d'investir dans l'immobilier en France via des sociétés étrangères mais, avec le coût de mise en oeuvre et des procédures qui en résultent, il n'est pas certain que cette taxe anti-évasion se justifie pleinement.

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