Le secteur du bâtiment et de la construction a connu une forte croissance dans notre pays à un moment où j'étais ministre de l'environnement et des collectivités locales. J'étais profondément préoccupé car les arrivées de capitaux ont été telles que les anciens systèmes prudentiels de crédit ont disparu : les banques ont tout simplement transféré des fonds en provenance d'autres nations européennes pour les diriger vers des projets dont certains étaient de qualité ; mais l'éclatement de la bulle conduit aujourd'hui à une situation très difficile – moins peut-être néanmoins que les médias ne le laissent entendre. Le retournement du marché de la construction a entraîné une chute des recettes fiscales qui lui étaient liées, de la TVA à l'impôt sur le revenu des 250 000 personnes qui étaient employées dans ce secteur. Nous sommes ainsi confrontés simultanément à l'effondrement des recettes fiscales et aux retombées de la crise bancaire.
L'industrie de la construction n'a toujours pas redémarré. Les prix de l'immobilier, qui avaient connu une surévaluation, semblent avoir touché le fond. L'agence de gestion chargée de ces actifs toxiques (NAMA) devrait permettre de progressivement normaliser la situation. Des signes semblent montrer que le marché, après avoir atteint son point bas, va pouvoir repartir, mais cela prendra du temps.
En ce qui concerne les mouvements migratoires, l'émigration a malheureusement recommencé : les parents voir partir les jeunes qui ont étudié dans nos universités. L'émigration est vraiment le fléau de la vie nationale irlandaise. Elle avait cessé avec l'adhésion au projet européen, et l'Irlande avait commencé à attirer des immigrants. En 2004 – j'étais ministre – je faisais partie de ceux qui avaient vigoureusement plaidé pour que l'on ne mette pas de barrière à l'entrée en provenance des dix nouveaux membres de l'Union. Je continue à penser que c'est la bonne politique. Nous avons, je crois, accueilli comme il convient tous ceux qui sont venus dans notre petit pays, à hauteur de 10 % de sa main d'oeuvre. Un grand nombre de ces personnes sont retournées chez elles, mais beaucoup aussi sont restées en Irlande et font partie des nouveaux Irlandais.
Pour paraphraser le célèbre discours du Président John F. Kennedy, je voudrais évoquer non ce que peut faire l'Union européenne pour l'Irlande, mais ce que peut faire l'Irlande pour l'Europe : nous pouvons lui montrer qu'un petit pays, confronté à un tsunami de difficultés économiques, peut prendre des décisions courageuses et se reconstruire.
En ce qui concerne le G 20, votre ministre a présenté lors du Conseil des affaires générales auquel j'ai participé à Bruxelles les travaux à mener sous présidence française. Malheureusement, je n'étais pas là lundi car j'étais retenu par la fin de la session du Parlement. Je crois à la possibilité d'une synergie ; en matière bancaire, par exemple, la maladie n'a pas débuté en Irlande ou en Europe : elle est venue de l'extérieur. Certains problèmes ont un caractère tellement multinational qu'un cadre comme celui du G 20 s'impose pour les résoudre. Je pense donc que la présidence française aura le soutien de l'Irlande. Les mesures de gouvernance sont satisfaisantes. Ce qui m'irrite, ce sont les décisions que prennent les agences de notation sur les dettes souveraines : il y a peu de temps, elles accordaient un triple A à des obligations à haut risque… Nous devons traiter ce problème : pourquoi et comment une personne dans son bureau peut-elle prendre une décision susceptible d'affecter la vie d'un peuple entier et, au-delà, de l'ensemble de l'Europe ?
En ce qui concerne la PAC, j'ai évoqué mon dialogue avec les autorités brésiliennes. Je ne renie en rien les commentaires que j'avais faits au sujet des importations brésiliennes. La viande produite en Europe répond à divers critères de qualité. En Irlande, quand on va au supermarché pour acheter son steak, on voit une photo du fermier chez qui cette viande a été produite ! On peut même relever les indications GPS pour aller visiter la ferme. Il y a donc une traçabilité totale, ce qui est très important pour les consommateurs. L'Europe serait bien mal avisée d'abandonner la PAC, notamment pour des raisons de sécurité alimentaire ; regardez ce qui s'est passé cette année avec l'embargo russe sur les exportations et avec les interrogations sur la production australienne du fait des conditions climatiques.
L'Irlande devient un contributeur net au budget européen ; nous avons donc intérêt nous aussi à ce que ce budget soit maîtrisé et bien utilisé. Moi qui ai été élu député d'une circonscription urbaine, je considère que la PAC nous a été très bénéfique.
S'agissant enfin du taux de 12,5 % que nous retenons pour l'impôt sur les sociétés, j'insiste sur le fait que d'autres facteurs importants contribuent à attirer les investissements étrangers en Irlande. D'abord, il se trouve que par un accident de l'histoire, nous ne parlons pas notre langue irlandaise, mais une langue que nous avons empruntée à notre voisin et qui est largement utilisée dans les échanges internationaux. Ensuite, les Irlandais ont une mentalité très entrepreneuriale ; ils ont un regard très favorable sur les entreprises. Le fait que tant d'Irlandais aient si bien réussi dans le monde des affaires en Amérique en est la preuve. En outre, nous avons créé d'excellents réseaux à travers le monde. Le niveau d'imposition a surtout un impact psychologique ; l'objectif est avant tout de ne pas dissuader les investissements. Un livre remarquable diffusé par l'ambassade d'Israël, « La nation des start-up » fait systématiquement des comparaisons entre Israël, l'Inde et l'Irlande – les trois « I ».