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Intervention de Dominique Souchet

Réunion du 8 février 2011 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Souchet :

En ouvrant ce débat parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, un débat pas comme les autres parce qu'il met en jeu, vous l'avez rappelé cet après-midi, monsieur le ministre, notre conception de la condition humaine, nous mesurons la responsabilité individuelle et collective qui est la nôtre.

Nous sommes dans un domaine qui est encore un domaine de souveraineté. Les états généraux l'ont rappelé dans leur rapport final : « la France est un pays souverain qui ne doit pas se soumettre à la pression internationale en matière éthique ». Cela ne doit pas nous empêcher de nous inspirer des régulations les plus responsables adoptées par d'autres pays européens, l'Allemagne et l'Italie par exemple, pour ce qui est du refus de créer des embryons surnuméraires, et de refuser les législations les plus transgressives. Ce n'est pas parce que la Grande-Bretagne fait n'importe quoi en matière d'eugénisme qu'elle est en avance et que nous devons la copier.

Nous serons en avance en matière bioéthique lorsque nous disposerons de la législation la plus protectrice de la dignité de la personne humaine, ce qui n'est nullement contradictoire avec les avancées de la recherche. Les Français nous ont rappelés à nos devoirs à travers les états généraux : « Les citoyens attendent de l'État qu'il soit en mesure de protéger chacun, en particulier les plus vulnérables, contre les dérives mercantiles, les expérimentations et les pratiques qui bafouent le principe d'intégrité du corps humain ».

Dans ce domaine de compétence souveraine, qui touche au coeur de la vie humaine, notre responsabilité est donc inaliénable. Nous ne pouvons la déléguer à personne, à aucun corps d'experts, à aucune agence, fût-elle de biomédecine. Nous ne devons pas nous laisser déposséder de nos responsabilités propres d'élus législateurs au profit de personnalités technoscientifiques désignées.

Je voudrais insister sur un point essentiel sur lequel notre effort éthique doit se porter pour que les intérêts de la science n'entrent pas en conflit avec le service de l'homme. Il s'agit de la recherche sur les cellules souches et de l'inquiétude que suscitent les ruptures avec l'encadrement législatif de 2004 introduites par le projet de loi en matière de recherche sur l'embryon humain, qui apparaissent en décalage avec les résultats et les perspectives de la recherche.

Certes, la loi de 2004 avait un caractère schizophrène dans la mesure où, aussitôt après avoir posé le principe de l'interdiction de la recherche sur l'embryon humain, elle posait la transgression de ce principe. Du moins la dérogation prévue par la loi était-elle strictement encadrée dans le temps, avec la mise en place d'un moratoire de cinq ans, et dans son objet, puisqu'elle était subordonnée à une perspective exclusive d'application thérapeutique et à l'absence d'alternative d'efficacité comparable. Ce moratoire avait le mérite de reconnaître l'importance du principe du respect de l'embryon. La possibilité de déroger à ce principe avait un caractère provisoire, expérimental et sous bénéfice d'inventaire.

Or, que nous a appris ce moratoire de cinq ans ? Même si aucun bilan évaluatif des recherches sur les cellules souches, pourtant explicitement prévu par la loi de 2004, ne nous a été présenté, nous savons que les perspectives thérapeutiques que l'on avait fait miroiter aux yeux des parlementaires en 2004 se sont révélées illusoires. C'est au contraire la découverte des cellules reprogrammées qui a ouvert les perspectives les plus fécondes. Elles répondent aux besoins de modélisation de pathologies que recherchent les industriels du médicament. Elles sont plus accessibles et n'entraînent aucun dommage éthique.

Je rappelle d'ailleurs que les citoyens, lors des états généraux, ont regretté de « n'avoir pas été assez informés de l'existence des recherches prometteuses sur les cellules issues du sang de cordon, et les cellules pluripotentes induites ». Ils souhaitent « pouvoir disposer d'un bilan comparatif des résultats des différentes applications thérapeutiques ». Ils « attendent des pouvoirs publics qu'ils soutiennent ces recherches qui ouvrent des perspectives thérapeutiques prometteuses et innovantes ».

On comprend mal, dans ces conditions, pourquoi l'on s'acharne à toute force à vouloir maintenir la recherche sur l'embryon humain, alors que scientifiquement, jamais il n'a été moins nécessaire qu'aujourd'hui d'y avoir recours. S'agirait-il pour le marché de la fécondation in vitro et de l'industrie du médicament d'une question de différentiel de coût ?

L'UNAF, dont chacun connaît la représentativité, a tiré les conséquences de cette situation. « Puisque de nouvelles techniques apparaissent et rendent de moins en moins utiles les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, l'UNAF considère que le régime dérogatoire sous condition n'a plus lieu d'être. En alternative, elle demande que soit inscrite dans la loi l'absolue nécessité de développer les recherches sur les cellules souches embryonnaires animales, ainsi que les recherches sur les cellules reprogrammées en cellules pluripotentes et sur les cellules du sang de cordon et du sang placentaire ».

Il est donc paradoxal que ce projet de loi s'inscrive non pas dans cette perspective ouverte par les états généraux, l'UNAF, mais au contraire dans celle d'un élargissement, d'une libéralisation de l'expérimentation sur l'embryon humain. Le texte propose en effet la suppression du moratoire et donc la disparition de l'encadrement dans le temps de la dérogation. Mais inscrire dans la loi une dérogation à titre pérenne n'équivaut-il pas à son inscription comme principe ? En outre, le texte prévoit non seulement le maintien, mais l'extension de la dérogation. On passe de la perspective de « progrès thérapeutiques majeurs » à celle de « progrès médicaux », ce qui ouvre la porte à des pratiques telles que le criblage de molécules et la modélisation de pathologies utilisées par la recherche pharmaceutique ou encore les recherches visant à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation pouvant déboucher une véritable industrie de fécondation d'embryons.

La notion d'efficacité comparable cède la place à celle de recherche similaire qui ouvre la voie à l'autorisation de recherche sur l'embryon humain en vue d'objectifs qui pourraient être atteints grâce à d'autres cellules souches que les cellules embryonnaires humaines.

Ces discordances entres les propositions législatives et les perspectives de la recherche suscitent une interrogation majeure. Pourquoi vouloir pérenniser une transgression, alors qu'aucune raison scientifique ne peut plus le justifier ? Au lieu de poser l'apparence d'un principe d'interdiction, puisqu'il est aussitôt remis en cause par une multitude d'exceptions, le législateur ne devrait-il pas plutôt proposer que l'effort de recherche se concentre désormais sur les cellules non embryonnaires qui sont à la fois les plus prometteuses sur le plan thérapeutique et celles qui ne posent pas de problèmes éthiques ? Ainsi la recherche la plus susceptible d'aboutir à des résultats cliniques serait-elle encouragée en même temps que serait enrayé le risque de voir l'embryon humain devenir progressivement un matériau de laboratoire banalisé au service d'intérêts économiques et financiers.

Nous ne pouvons accepter que l'embryon en vienne, par glissements, à être considéré comme un simple tas de cellules à partir duquel pourraient être recherchés des brevets juteux en occultant sa qualité d'être humain au nom d'une hypothétique complémentarité entre cellules souches embryonnaires et non embryonnaires, qui n'est ni pertinente scientifiquement ni acceptable éthiquement.

L'amendement à l'article 23 du projet de loi introduit en commission a le mérite de rappeler la nécessité de réorienter la recherche, mais je crains qu'il ne soit largement déclaratif tant que demeureront les dérogations concernant la recherche sur les embryons.

En tout état de cause, il ne paraît pas acceptable d'adopter un régime d'autorisation élargi de manière permanente. Ses résultats doivent pouvoir être évalués par le législateur à une échéance fixée par lui. Cet examen doit avoir lieu dans le cadre d'une clause de revoyure inscrite dans la loi. Une durée de cinq ans paraît raisonnable, comme le prévoient plusieurs amendements. En l'absence d'une telle clause de rendez-vous, l'Agence de biomédecine aura naturellement tendance à se substituer progressivement au législateur, alors qu'il nous appartient au contraire de contrôler très strictement les pouvoirs et les décisions de cette agence et notamment les autorisations qu'elle délivre.

Un rendez-vous régulier est indispensable pour harmoniser enjeux éthiques et progrès de la connaissance. Il devra chaque fois être précédé, comme ce fut le cas pour le projet de loi que nous examinons, d'états généraux permettant de soustraire le débat au seul cercle des experts.

Il est indispensable, comme le souligne l'UNAF, « que s'engage selon des échéances régulières un véritable débat citoyen sur les valeurs que la société veut porter. Cette révision de la loi mobilise la société civile, les institutions comme les citoyens qui la composent. Il est impératif qu'une telle réflexion sur l'avenir de notre société se fasse collectivement et non pas uniquement à travers des experts, aujourd'hui comme demain ».

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