Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention concernera la levée de l'anonymat des donneurs et donneuses de gamètes. Même si le texte adopté par la commission a levé le doute a priori, c'est un débat qui animera encore longtemps notre société.
Ceux et celles qui sont contre la levée de l'anonymat, et j'en suis, utilisent souvent la raison d'une éventuelle baisse du nombre des donneurs. Pourtant, ce n'est pas cette raison qui me pousse à être contre la levée de l'anonymat.
L'histoire d'un enfant issu d'un don de gamètes est différente de celle d'un enfant adopté. Je ne suis pas sûre, à entendre certains propos dans notre pays, que cela soit si évident. Dans le cas de l'enfant issu du don de gamète, il n'y a pas de rupture. Dans le second cas, un enfant a été conçu et abandonné, donc il y a une rupture qui peut parfois générer un besoin criant et douloureux de savoir la ou les raisons de cet abandon, même s'il est adopté, éduqué, élevé avec tout l'amour de ses parents.
Revenons au premier cas : quelle est l'histoire de l'enfant conçu avec don de gamètes ? Elle peut être compliquée pour les futurs parents avant la conception de l'enfant mais simple à vivre une fois l'enfant arrivé. Il faut mettre toutes les conditions pour que cette histoire soit simple et « naturelle ». Un maître mot doit guider la démarche : « La vérité, rien que la vérité », au fur et à mesure que les questions sont posées par l'enfant.
Comment imaginer qu'un individu puisse se construire, s'épanouir dans le mensonge, le non-dit ou, pire, dans la découverte soudaine des conditions de sa conception ? Si on ne me l'a pas dit, c'est qu'il y avait quelque chose à me cacher, si la vérité est dite, l'histoire est somme toute assez simple à raconter.
On a, d'un côté, un couple désirant un enfant avec défaut de gamètes chez l'un des deux parents, de l'autre, un donneur ou une donneuse qui, avec le consentement de la mère ou du père de ses enfants, vient donner ce que j'appelle du « matériel biologique ». Ce don gratuit, anonyme et volontaire permet de faire aboutir un projet parental mûrement réfléchi. L'enfant sait et sent qu'il n'est pas l'enfant du hasard, qu'il est un enfant désiré, ardemment attendu, que, dans sa conception, tout est don et générosité. Point de rupture dans cette vie-là !
Il ne s'agit pas de nier les questions et les problèmes que se posent certains enfants, conçus ainsi, qui souffrent de n'avoir pas accès à leurs origines. Alors que, dans la grande majorité des cas, cela se passe bien, et avant de se lancer dans la levée de l'anonymat comme certains le voudraient, s'est-on penché réellement sur la raison de cette souffrance : comment les parents ont-ils été préparés à ce projet ? L'ont-ils appris à leur enfant ? Quand l'ont-ils informé ? Comment et avec quels mots ?
Se pose évidemment la question des moyens d'accompagnement avant et après l'arrivée de l'enfant. J'en profite pour répondre à certains spécialistes, sociologues pour lesquels j'ai le plus grand respect. Je n'accepte pas qu'ils puissent dire que la France est un pays sourd et fermé, pas plus que je n'accepte l'idée que nous serions des sexagénaires – je n'ai d'ailleurs pas soixante ans moi-même – disposant avec arrogance de la vie des trentenaires que nous serions incapables d'écouter.
J'ai l'intime conviction que donner la possibilité de lever l'anonymat serait une régression philosophique et intellectuelle, bien loin de la pensée de Lucien Malson qui disait « L'homme est une histoire » ou encore « L'homme n'est pas né mais construit ».
Ramener l'individu à ses origines génétiques, c'est remettre en cause ce qui relève de l'inné et ce qui relève de l'acquis. C'est créer une certaine confusion entre l'être génétique et l'être social. C'est emprunter un chemin dangereux sur lequel un candidat aux présidentielles, devenu Président de la République, s'était honteusement aventuré en 2007, en laissant supposer que la pédophilie ou l'homosexualité seraient d'origine génétique. Comme si cela ne suffisait pas, la majorité présidentielle, quelques mois plus tard, envisageait des tests ADN pour définir le périmètre familial. La personne, l'individu, l'être humain est avant tout l'addition d'acquis affectifs, culturels, sociaux, éducatifs.
Et si j'en parle aujourd'hui avec conviction à cette tribune, c'est parce que c'est l'histoire de ma famille, de mes enfants et des six donneurs que nous avons amenés il y a près de vingt ans au CECOS de Toulouse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)