Au-delà de notre attachement aux principes de gratuité et d'anonymat, c'est bien le principe de non-patrimonialité du corps humain et de primat du psychique, du relationnel, sur le biologique qui fonde notre rejet de la gestation pour autrui, comme il a, du reste, fondé notre attachement au droit du sol et non à celui du sang.
Si l'on peut entendre la détresse de certaines femmes, la question est de savoir si l'on est prêt à prendre les risques importants de dérives inhérents à la GPA pour satisfaire la demande d'avoir un enfant génétiquement issu de soi, ainsi que l'a dit le professeur René Frydman en commission.
Comme le développe très bien le rapport de la mission d'information, la gestation pour autrui soulève de lourdes interrogations éthiques à plusieurs titres, au regard tant des risques, physiques ou psychologiques qu'elle implique de faire prendre à des tiers, que de l'aliénation et de la marchandisation du corps humain, à travers l'exploitation des femmes les plus vulnérables, auxquelles elle serait susceptible de conduire. Il est impossible de définir un encadrement apte à garantir l'absence de toute dérive. Enfin, la légalisation de la gestation pour autrui entraînerait d'importantes répercussions sociales, juridiques mais aussi anthropologiques
En ne garantissant ni l'anonymat ni la gratuité et, moins encore, la non-patrimonialité du corps humain, la GPA consacrerait, de mon point de vue, un véritable recul de civilisation, et ce n'est pas parce que des États n'ont pas su résister aux pressions de certains groupes qu'il faudrait à notre tour y succomber. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
Depuis le siècle des lumières notamment, la France a su porter des valeurs profondément humaines en de nombreux champs de la vie sociale. Si, depuis, certaines ont souffert de reculs majeurs, n'en rajoutons pas un autre en matière d'éthique biomédicale. Ne livrons pas la médecine à une instrumentalisation qui en pervertirait la finalité.
J'en viens maintenant à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
Si l'embryon doit être regardé avec le respect dû à la potentialité de personne vers laquelle il peut évoluer, une des conditions impérativement nécessaire à cette évolution reste que l'embryon soit implanté dans l'utérus de la femme. S'il n'est pas implanté, il ne sera jamais la promesse d'un enfant à naître et, par conséquent, jamais une personne réelle à venir. Dès lors, je ne pense pas que l'on puisse refuser qu'il fasse l'objet de recherches dont les avancées peuvent servir à une meilleure connaissance des conditions de son développement, de sa « qualité », et par conséquent viser l'intérêt de l'embryon lui-même.
C'est l'interprétation que je fais de l'opinion du philosophe Lucien Sève lorsqu'il dit : « Il s'agit de mettre en oeuvre une démarche s'efforçant de bien saisir la logique du problème concret pour faire vivre au singulier l'exigence d'universalité. Une telle bioéthique travaille au cas par cas dans l'attention vigilante à ce que chaque cas a d'inédit, mais chaque cas est en même temps le lieu de l'universelle exigence du respect humain. Faire valoir cette exigence d'ensemble en chaque situation prise à part requiert non la conformité toujours trop sommaire à une règle mais la pertinence toujours renouvelée à une visée. »
En d'autres termes : « L'universalité de l'obligation au respect, c'est celle non d'une norme passe-partout mais d'un cap omniprésent qui peut nous conseiller des orientations bien différentes. À l'opposé de la norme, prescription concrète prétendant valoir pour la généralité des cas, le cap est expressément formel c'est-à-dire que son universalité ne prend corps qu'au singulier. »
C'est, me semble-t-il, ce type de considération qui démasque les théories de « l'animation immédiate » que portent certaines voix ou qu'illustre, d'une certaine façon et a contrario, l'appréciation que je partage avec Anne Fagot-Largeault lorsqu'elle affirme que le génome n'est pas sacré et que ce qui est sacré ce sont les valeurs liées à l'idée que nous nous faisons de l'humanité.
Du point de vue juridique, le Conseil d'État estime qu'il n'y a pas d'argument à opposer à l'introduction d'un régime d'autorisation. Rappelant la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, le Conseil d'État estime que : « Sous réserve que les atteintes portées à l'embryon soient justifiées par des motifs majeurs tenant à la protection de la santé, des recherches sur les cellules embryonnaires peuvent donner lieu à autorisation sans que le principe constitutionnel de protection de la dignité humaine puisse leur être opposé. »
Si le principe constitutionnel cité par le Conseil d'État porte précisément sur la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et pourrait difficilement être invoqué dans les cas des embryons non pourvus de personnalité juridique, il apparaît clairement que l'introduction d'un régime d'autorisation n'entrerait en contradiction avec aucune norme supérieure dès le moment où le législateur peut légitimement considérer, selon le juge constitutionnel, que les embryons surnuméraires sans projet parental sortent du champ couvert par l'article 16 du code civil qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie.
Sur la procédure, le Conseil d'État reconnaît que la méthode d'interprétation des textes pourrait différer dans le cas où une situation donnée serait incertaine mais souligne que l'instauration d'un dispositif d'autorisation sous conditions strictes ou d'un régime d'interdiction avec dérogation n'emportent pas de différences importantes dans les modalités pratiques des contrôles administratifs qui pèseront sur ces recherches. Juridiquement, la différence entre ces deux formules n'est pas fondamentale : l'un ou l'autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques. Dans les deux cas, ce seraient les mêmes recherches qui seraient interdites, et toute recherche non expressément validée serait interdite, sous peine de sanctions pénales.
Pour ces raisons de fond, je reste favorable à la possibilité de soumettre la recherche sur l'embryon à un régime d'autorisation sous conditions, en l'encadrant rigoureusement, ce que l'agence de la biomédecine sait très bien faire
Si l'aide médicale à la procréation est aujourd'hui considérée comme un acte médical ayant principalement pour objectif de suppléer l'altération de processus naturels de la reproduction humaine, plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information ont suggéré d'assouplir les conditions d'accès à ces techniques, jugées trop strictes.
Ces demandes portent sur les dispositions de la loi relative à la stabilité du couple et l'âge de procréer ainsi que sur la possibilité d'autoriser la procréation post mortem ou l'accès à l'AMP pour les femmes seules et les couples de même sexe.
S'il convient de maintenir l'interdiction de l'insémination post mortem, comme l'a décidé notre commission, en revanche le transfert post mortem d'embryons pourrait être autorisé sous certaines conditions précises, comme l'a prévu la commission spéciale. Le transfert post mortem d'embryons pourrait ainsi intervenir à titre exceptionnel lorsque le projet parental a été engagé mais a été interrompu par le décès du conjoint. Le transfert d'embryons serait autorisé par l'ABM, dès lors que le père y aurait consenti. Ce transfert ne pourra avoir lieu qu'entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès de ce dernier. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l'enfant sera appelé à la succession de son père. Je partage cette opinion qui a été adoptée par la commission.
S'agissant de la question de l'accès des couples homosexuels à l'AMP, je considère qu'il n'appartient pas à la médecine de répondre à cette demande. L'homosexualité n'étant pas une pathologie et l'infertilité qui en découle n'étant pas une maladie, la réponse ne peut être médicale.