Bien évidemment, nous voterons la demande de renvoi en commission qui a été présentée par notre collègue de Rugy. Auparavant, je voudrais dire à M. Claeys que je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'il prend la peine d'intervenir pour préciser que ce n'est pas au citoyen de décider à notre place. Aucun d'entre nous n'a dit cela ici. Nous ne sommes pas des fanatiques de la démocratie directe, et si nous sommes sur les bancs de cette assemblée après nous être présentés devant les électeurs, c'est parce que nous croyons à la démocratie représentative.
Cela étant et comme l'a souligné Jean Leonetti tout à l'heure, former des panels de citoyens sur des sujets aussi importants que la bioéthique n'a pas perturbé la démocratie représentative au Danemark depuis 1989. Nous avions d'ailleurs copié cette idée venant du Danemark – M. Le Déaut peut en parler – à l'occasion de la recherche sur les OGM, et de l'avis qui devait être émis par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sauf que la commission avait suivi un avis complètement contraire à ce qui avait été préconisé par le panel de citoyens. Cela en dit long sur la conception qui est la nôtre d'une certaine forme de démocratie participative. Solliciter les citoyens pour émettre des avis, puis aller à l'encontre de leur expertise, n'est pas forcément la meilleure des solutions.
Il faut que les citoyens soient associés – cela me paraît une nécessité et ce qu'a dit Jean Leonetti va dans le bon sens – sur des sujets aussi importants, qui ont des conséquences sur nos modes de vie, sur ce que l'on appelle, un peu trop couramment, le vivre-ensemble, sur le choix de société.
À l'occasion de la révision des lois relative à la bioéthique beaucoup de moyens ont été mis en place : les états généraux, les conférences des citoyens. On a fait beaucoup de bruit – pour reprendre le titre d'une pièce de théâtre célèbre, beaucoup de bruit, peut-être pour pas-grand-chose, je ne dis pas pour rien. La révision des lois aurait dû permettre à la représentation nationale et aux législateurs que nous sommes non pas d'accompagner le progrès scientifique et médical, mais de l'encadrer et de tenir compte de ses conséquences sur notre société et sur l'évolution de la famille, qui n'est pas la même que celle de 1994.
Lorsque nous aurons terminé nos discussions, lorsque cette loi sera votée, nous n'aurons pas tort de dire qu'il s'agit d'un statu quo par rapport à 2004. En la circonstance, le statu quo vaut recul. C'est d'une certaine manière un carcan, alors que l'on aurait pu imaginer que la révision des lois relatives à la bioéthique serve de cadre pour surveiller, en tout cas pour réguler, le progrès scientifique, puisque, nous le savons, ce n'est pas aux scientifiques de décider à notre place. Nous avons eu de manière assez elliptique, ici, un certain nombre de débats – je pense aux organismes génétiquement manipulés. Et l'on s'aperçoit d'ailleurs que les valeurs défendues par M. Mariton sont plutôt à géométrie variable, car sur les OGM, il y a effectivement une action sur le vivant avec des caractères irréversibles. Nous sommes donc en droit de nous poser les mêmes questions de société que celles qu'il soulève aujourd'hui.
Monsieur Mariton, sans vouloir donner de leçons de philosophie ou d'histoire, la question des valeurs n'est pas interchangeable. Mais les valeurs, suivant l'histoire, ont quelquefois changé de camp. Les valeurs de pacifisme défendues par les uns à une époque ont été défendues par d'autres qui étaient leurs pires ennemis idéologiques.
La question des valeurs ne peut pas se définir en quelques mots, ou en une sorte d'oraison, comme celle à laquelle vous vous êtes livré tout à l'heure. Il serait très intéressant, mais ce n'est pas le lieu, de définir le critère, le périmètre, la source, l'inspiration des valeurs.
De la même manière, il serait intéressant, monsieur Leonetti, de s'interroger sur ce qu'est la dignité. Ce monde, marqué par les tremblements, les inégalités et les injustices, nous apprend que la dignité ne peut être vécue de la même manière. Dans un pays comme le nôtre, on peut être victime de cette disgrâce que l'on appelle l'indignité. On ne se détermine pas – j'en suis désolé, monsieur le rapporteur – par rapport à l'estime ou la haine de soi.
Monsieur Mariton, il n'y a pas ici deux camps : celui de ceux qui défendraient les individualistes pragmatiques, qui n'agiraient qu'en fonction de leurs désirs et de leur bon plaisir, qui voudraient ce droit à l'enfant en fonction de leurs arrangements et de leur confort, et, de l'autre côté de l'hémicycle, celui de ceux qui défendraient une société dans laquelle il y aurait des valeurs, des projets, un encadrement.
Nous sommes pour l'individu dans la société, et non pour l'individu contre l'individu. Nous sommes pour l'individu dans la société. Nous pensons que c'est à la société de faire en sorte que l'individu se sente responsable en elle. Nous défendons – et c'est notre mission – ce que l'on appelle le destin collectif. Or lorsqu'il s'agit du destin collectif, on ne peut pas imaginer que l'action d'un individu n'ait pas de conséquences sur la société, sur sa part de société et même sur l'ensemble de la société.
Voilà pourquoi je considère que la loi qui sera votée dans quelques jours sera une loi prisonnière, otage de la biomédecine, ne tenant pas suffisamment compte de l'évolution de notre société, de l'évolution de la famille et ne prenant pas suffisamment en considération les conséquences sociétales de ce que l'on appelle la bioéthique.
Dans ce contexte, dire qu'il n'y aura pas de révision obligatoire des lois relatives à la bioéthique est un recul. C'est ce que l'on appelle – pardonnez-moi d'utiliser une expression un peu pédante – de l'essentialisme. Vous voudriez que le monde se soit arrêté aux premières lois de 1994, selon vos critères de société. Vous n'accepteriez pas ainsi que, sur des sujets aussi importants, où le progrès de la médecine, de la science et le rôle des experts ont tant d'influence, nous, législateurs, utilisions la loi pour protéger les plus faibles, les plus vulnérables et que nous soyons là comme des régulateurs.
Vous avez verrouillé de tous les côtés, par crainte de voir un certain nombre d'hommes, de femmes ayant fait tel ou tel choix d'orientation sexuelle fonder une famille. Ils ont droit, comme les autres, à pouvoir fonder une famille. Or les dispositions que vous avez prises tendent précisément à empêcher ces personnes qui veulent fonder une famille de le faire. Cela s'appelle de la discrimination, de la ségrégation.