Est-ce à dire que, si l'on émet un avis même modéré, ouvert et absolument pas militant – ce qui est mon cas – concernant la gestation pour autrui, on est immédiatement catalogué parmi celles et ceux qui ne sont pas attachés aux droits de la personne humaine ? Est-ce à dire que l'on est antiféministe et que l'on ne peut plus se prétendre de gauche ? Est-ce à dire qu'un candidat ou une candidate à l'élection présidentielle qui ne partagerait pas ce point de vue serait automatiquement disqualifié aux yeux des signataires de ce texte ?
Outre que ce « terrorisme intellectuel » est toujours pénible, je crois profondément que nous n'avancerons jamais dans ces débats si nous commençons par nous disqualifier mutuellement. Je plaide pour ma part pour un débat apaisé, où les convictions de chacun et de chacune soient respectées. Que chacun réfléchisse, agisse et, au final, vote selon sa conscience, sa vision philosophique ou même ses convictions religieuses, cela est à mes yeux tout à fait normal. Je le dis d'autant plus tranquillement que je ne suis ni croyant ni pratiquant d'aucune religion. Je reconnais l'engagement de chacun et la valeur des convictions. Je ne crois pas que ce soit une question de gauche ou de droite.
On pourrait affirmer, comme l'a illustré Olivier Jardé en répondant à Noël Mamère, que s'affrontent une vision libérale et une vision conservatrice. Je ne le crois pas non plus. On voit bien d'ailleurs que, d'un sujet l'autre, ce ne sont pas toujours les mêmes clivages qui ressortent. Des personnes favorables à l'avortement peuvent ainsi être opposées à la gestation pour autrui.
Je défends donc l'idée selon laquelle le double préalable à ce débat est que l'on ne s'enferme ni dans la neutralisation faussement unanimiste, comme l'a fait le ministre de la santé, ni dans la diabolisation des positions adverses, à laquelle s'est livré M. Leonetti lors du débat sur la fin de vie. Soyons tout simplement à l'image des Français, qui débattent de ces questions, recherchent souvent des solutions en tâtonnant, sans se barder de certitudes.
Puisqu'il sera souvent question de dignité de la personne dans nos discussions, défendons par notre attitude la dignité du Parlement. N'oublions pas que l'essentiel de ce débat est de savoir quels espaces nouveaux de liberté et de choix on ouvre pour les Français. Il ne s'agit pas d'imposer à tout le monde une position, il s'agit d'ouvrir la possibilité d'un choix.
Deuxième point : il ne faut pas – une fois de plus – repousser à plus tard la nécessité d'avancer sur ces questions, d'autant que, nous le savons, nous le ferons sans doute par étapes successives. M. le ministre Xavier Bertrand a cru bon de dire qu'il ne fallait pas faire une révolution. Personne, en la matière, ne l'a suggéré. Ce progrès par étapes était d'ailleurs le principe des lois de bioéthique. Il était prévu de réexaminer ces questions à intervalles réguliers – tous les cinq ans, en l'occurrence.
Le gouvernement et la majorité actuels semblent rompre avec cette ligne de conduite et vouloir toujours repousser à plus tard les débats et les décisions. Ainsi, sur la question récurrente de la fin de vie, le Premier ministre a lui-même pris sa plume pour rédiger une tribune publiée dans le journal Le Monde au mois de janvier dernier.
Il y reconnaît que « sur un sujet qui touche au sens profond que nous donnons au désir de vivre ou à la volonté de mourir, il n'y a pas de débat interdit, au contraire, car le débat sur la fin de vie est un débat de nature politique, au sens le plus noble du terme. »
Il ajoute et je ne peux que souscrire à ces propos : « Il ne s'agit pas de s'envoyer des anathèmes ou de se crisper sur des positions ou des tabous, de part et d'autre. Nous devons dialoguer en confiance et entendre, avec respect, les arguments de chacun. » Mais c'est pour conclure étrangement : « Il y a une méthode à proscrire, c'est celle de la précipitation. »
Il tente un peu plus loin de justifier en ces termes le refus d'agir : « Plutôt que de légiférer dans la précipitation, plutôt que de trancher sans prudence et sans recul une question fondamentale, nous devons poursuivre le renforcement de la culture palliative en France, mettre en oeuvre scrupuleusement le programme de développement des soins palliatifs et approfondir le débat sur la prise en charge de la fin de vie. »
Autrement dit, alors qu'il affirme par ailleurs dans ce texte son hostilité à titre personnel à la légalisation d'une aide active à mourir, il enterre la question dans les profondeurs d'un débat sans fin.
La prudence – et le recul – dont il propose de faire preuve, nous la voyons à l'oeuvre aujourd'hui. Refuser le débat est indissociable du refus de toute avancée législative. Il faut en effet préciser que cette tribune a été publiée quelques jours après le vote en commission au Sénat d'une proposition de loi sur la fin de vie. Elle était pourtant issue de plusieurs textes émanant de sénateurs et de sénatrices de plusieurs sensibilités de la majorité et de l'opposition. Pour ma part, je trouve le travail de cette commission exemplaire. La prise de position du Premier ministre a malheureusement eu pour conséquence immédiate le sabordage de cette proposition de loi en séance publique et le débat s'en trouve de nouveau enterré, sans aucun doute jusqu'aux prochaines élections présidentielle et législatives de 2012.