Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, monsieur le rapporteur Jean Leonetti, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui un débat sur un sujet, sur des sujets en vérité, particulièrement importants et sensibles parce qu'ils touchent à l'essence même de la vie.
Si j'interviens en ce début de discussion pour soutenir une motion de renvoi en commission, c'est parce que les conditions du débat ne me paraissent pas satisfaisantes. Il y a plusieurs façons de l'aborder, et je constate malheureusement que deux procédés, différents en apparence, se conjuguent pourtant pour le neutraliser et, pour tout dire, l'évacuer.
Il y a l'attitude adoptée par le ministre des affaires sociales et de la santé, dont on a la plus parfaite illustration dans l'entretien qu'il a donné au journal Libération paru ce matin. Il évacue le débat en le déclarant quasiment nul et non avenu. Pour lui, il n'y a rien à changer et il lui suffit d'invoquer les « valeurs » – sans jamais dire lesquelles, d'ailleurs – pour clore le débat avant même qu'il commence dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Ainsi, il affirme dans cet entretien : « Je sais bien que les structures familiales évoluent, mais je crois qu'il ne faut pas s'éloigner d'un certain nombre de valeurs. » Un peu plus loin, il dit encore : « Cette valeur de l'autonomie n'est pas mise de côté dans notre projet, mais il y a aussi les valeurs du vivre-ensemble », et poursuit : « Je suis persuadé que si nous n'avons pas de vrais garde-fous et de vraies valeurs, la confiance se délitera. Il faut défendre le vivre-ensemble ».
Avant d'asséner l'argument des valeurs et du vivre-ensemble, il serait quand même plus intéressant pour le débat de définir ces notions. Je le dis d'autant plus tranquillement mais non moins fermement qu'il n'y a rien de choquant à affirmer sinon des valeurs au moins des convictions et des choix de vie. S'abriter en revanche derrière l'affirmation des valeurs ou du vivre-ensemble sans les définir, c'est au mieux utiliser un argument d'autorité, au pire tenter de disqualifier les autres points de vue, comme s'ils ne s'appuyaient, eux, sur aucune valeur ou, pire, qu'ils voulaient détruire le vivre-ensemble, puisque c'est de cela qu'il s'agit. D'ailleurs, si la politique de ce gouvernement était d'abord et avant tout guidée par le souci du vivre-ensemble, on peut penser que le Président de la République s'abstiendrait d'enchaîner les déclarations à l'emporte-pièce, usant systématiquement de la technique du bouc émissaire – on vient encore d'en avoir un exemple lors d'une triste affaire judiciaire – et montant les Français les uns contre les autres. Très concrètement, il faudrait nous expliquer en quoi la recherche sur l'embryon ou la gestation pour autrui conduisent à déliter le vivre-ensemble…
Il y a une autre attitude que je voudrais dénoncer : celle qui consiste à disqualifier directement les positions ou les convictions que l'on ne partage pas. Ainsi, le 19 novembre 2009 se tenait ici même un débat sur la fin de vie et le droit à mourir dans la dignité, initié par le groupe socialiste, au travers d'une proposition de loi dont Manuel Valls était le rapporteur. Notre collègue de l'UMP Jean Leonetti est intervenu. Il a commencé par en appeler à un débat serein mais a malheureusement fini son intervention par des amalgames particulièrement éloignés du sujet et, pour tout dire, choquants. « Il y a une autre société, a-t-il dit, celle que nous appelons probablement tous de nos voeux, une société affirmant que la personne humaine ne se décline pas en fonction de sa force, que le nouveau-né, le mourant, le mendiant, l'homme mort dans les camps de concentration ne sont pas moins dignes que les autres. »
Pouvez-vous nous dire, monsieur le rapporteur, ce que la référence à l'homme mort dans les camps de concentration venait faire dans ce débat ? Quel était votre but sinon d'établir un amalgame insidieux entre euthanasie et extermination dans les camps de la mort ?