Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est appelée à débattre et à se prononcer sur l'évolution du cadre législatif qui encadre les questions bioéthiques. À ce jour, l'historique des lois liées à la bioéthique en France comporte deux dates importantes, 1994 et 2004. Mais il faut remonter à 1983 et à la mise en place du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, pour dater la volonté des pouvoirs publics de mener une réflexion et d'offrir un cadre sur des questions qui ne relèvent pas seulement de la science, mais également et sans doute d'abord de notre conscience.
En 1988, dans son étude Sciences de la vie, de l'éthique au droit, le Conseil d'État avait appelé l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de légiférer, après avoir conduit un débat public préalable à l'engagement du travail législatif. Ce débat, largement alimenté par les avis du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, a abouti au vote des trois lois dites « de bioéthique » : la loi du 1er juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé ; les lois du 29 juillet 1994 relatives, d'une part, au respect du corps humain, d'autre part, au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
Si l'on y ajoute la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, on aboutit à un ensemble législatif très complet qui a défini un cadre au développement du progrès médical.
Ces lois que l'on a communément regroupées sous le qualificatif de « bioéthiques » recouvrent, en effet, à la fois l'affirmation des principes généraux de protection de la personne humaine, introduits notamment dans le code civil, les règles d'organisation de secteurs d'activités médicales en développement tels que l'assistance médicale à la procréation ou les greffes, ainsi que des dispositions relevant du domaine de la santé publique ou de la protection des personnes se prêtant à des recherches médicales.
Après un débat, le législateur a estimé que certaines des dispositions adoptées en 1994 devaient faire l'objet d'un réexamen pour tenir compte de l'évolution rapide des techniques et des enseignements qui pourraient être tirés de leurs premières années de mise en oeuvre. La loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, a donc fait l'objet d'une révision en 2004.
Ce choix du législateur s'est trouvé conforté par les évolutions qui ont caractérisé les sciences de la vie depuis 1994. En premier lieu, on peut constater que la question de savoir s'il faut légiférer en ces matières n'est plus réellement un sujet de débat, à quelques exceptions près. Nous le savons, il existe aujourd'hui une demande importante des professionnels et de l'opinion publique tendant à ce que des règles claires encadrent le développement des techniques nouvelles, notamment en matière de lutte contre la stérilité et de greffes d'éléments du corps humain. En montrant sa capacité à donner un cadre à la diffusion du progrès médical, le législateur a ainsi suscité une nouvelle demande de droit.
Ensuite, le droit de la bioéthique s'est largement diffusé sur le plan international, avec, d'une part, la Déclaration universelle sur le génome humain adoptée par l'UNESCO le 11 novembre 1997 et, d'autre part, la signature, le 4 avril 1997, de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe et entrée en vigueur à la fin de l'année 1999. Par ailleurs, depuis la fin des années 1980, la plupart de nos voisins européens se sont dotés de lois dans le domaine des sciences de la vie. Par-delà les différences inhérentes à l'histoire et aux cultures de chaque pays, ces lois traduisent le souci de trouver un point d'équilibre entre le développement du progrès médical et scientifique et le respect de règles éthiques correspondant aux aspirations contemporaines de nos sociétés.
Depuis l'adoption des lois de 1994, les techniques médicales et de biologie, notamment de la reproduction, ont évolué à un rythme accéléré. À ce titre, l'exemple du clonage est révélateur de la nature des problèmes, voire des dilemmes, créés par les progrès des sciences de la vie. Le développement des techniques de clonage reproductif sur des mammifères est venu nous rappeler une réalité : l'imprévisibilité du rythme et de l'ampleur des avancées scientifiques. En 1994, la question du développement de cette technique était largement absente des débats parlementaires, tant elle paraissait éloignée du champ des possibles. Mais en 1997, le clonage de la brebis Dolly, très largement relayé par les médias du monde entier, a avivé l'angoisse des opinions publiques internationales face à une « révolution biologique » susceptible de conduire à des atteintes inacceptables à la dignité de la personne humaine et à sa descendance. C'est ce qu'en 1945 le philosophe Günther Anders appelait « la honte prométhéenne ».
Ces poussées d'inquiétude collective, concentrées sur la mise en oeuvre du clonage reproductif chez l'homme, ont obscurci la perception de l'intérêt thérapeutique de l'application de cette technique aux cellules humaines, notamment embryonnaires, ainsi que les problèmes éthiques spécifiques qu'elle pose. Les recherches actuellement conduites sur des cellules embryonnaires d'animaux tels que la souris ouvrent, en effet, des perspectives très prometteuses dans la lutte contre certaines maladies encore largement incurables, mais viennent poser, avec une acuité nouvelle, la question dite du « statut de l'embryon humain ».
La révision, en 2004, des lois de bioéthique de 1994 se fondait sur quelques principes connus : l'interdiction du clonage, qu'il soit reproductif ou thérapeutique ; le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, sauf dérogation – ces recherches pouvant être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires, pour une période limitée à cinq ans, si « elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » – ; l'élargissement du cercle des personnes pouvant procéder à un don d'organe pour une greffe ; l'autorisation de la brevetabilité pour « une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain » ; enfin, la création d'une Agence de biomédecine.
Nous sommes donc aujourd'hui appelés à revoir le dispositif législatif que je viens d'évoquer. Avant d'entrer dans le coeur du sujet, donc du texte qui nous est soumis, permettez-moi de procéder à quelques remarques préliminaires. Nous savons tous, sur les bancs de cette assemblée, que les sujets en débat sont passionnels, qu'il s'agisse de l'assistance médicale à la procréation et de son éventuelle ouverture aux couples homosexuels, de la légalisation de la gestation pour autrui, de la levée de l'anonymat du don de gamètes, ou de l'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches. Ces sujets divisent l'opinion, les partis, et aussi la représentation nationale. Ils relèvent à la fois de la politique au sens le plus classique du terme, mais aussi, et sans doute plus que d'autres sujets, de notre conception la plus intime de la vie et de l'organisation sociale. Je crois que pour mener un débat fructueux, il convient de ne pas disqualifier, au cours de notre discussion, les points de vue contraires, même s'il faut avoir en tête que les avancées législatives sur des questions liées à ces problématiques ont, la plupart du temps, eu lieu dans des contextes de grande polémique. Et les lignes de partage ne recoupent pas toujours les frontières partisanes.
Ainsi, le 26 novembre 1974, Simone Veil, alors ministre de la santé, présentait ici même le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse, dans une atmosphère d'une grande violence, faisant face avec dignité aux attaques les plus outrancières. Trente ans plus tard, le droit à l'avortement n'est toujours pas un droit totalement acquis, il doit être sans cesse défendu ; trente ans plus tard, les femmes continuent à se heurter à de nombreux obstacles pour recourir à l'avortement, selon ce que constatent les associations de défense du droit à l'avortement et les professions de santé.
Deux IVG sur trois ayant lieu à l'hôpital public et les médecins acceptant de pratiquer les IVG étant peu nombreux, les délais d'attente sont souvent de trois à quatre semaines. Certains centres publics ou privés refusent, malgré la loi de 2001, de prendre en charge les mineurs sans autorisation parentale. De nombreuses structures privées ont fermé des lits réservés à l'IVG, l'acte étant considéré comme non rentable. Les femmes ont dû attendre trois ans pour recourir à l'IVG médicamenteuse, hors des structures hospitalières, après l'adoption de la loi Aubry. Des groupes parfois violents, opposés à ce droit des femmes, sont toujours au coin du bois, profitant du moindre événement pour repartir à l'attaque. Plus près de nous, le débat sur le PACS a été d'une violence blessante pour une grande partie de l'opinion. Les propos tenus au cours de la discussion parlementaire apparaissaient d'un autre âge, et j'espère qu'ils font aujourd'hui honte à leurs auteurs. Une bible a même servi d'argument !