L'organisation mise en place, à la demande du Président de la République, après l'affaire marocaine me satisfait car elle permet la prise en compte des problèmes d'exportation au plus haut niveau de l'État. Nous pouvons désormais soutenir la comparaison avec nos concurrents, notamment américains et britanniques. Le sujet a été pris dans sa vraie dimension et positionné au meilleur niveau. Si nous voulons relancer notre économie, l'exportation joue un rôle fondamental.
Le cockpit Easy des avions Falcon, auquel M. Moyne-Bressand fait probablement allusion, représente une véritable percée technologique en matière d'ergonomie. C'est un dérivé de notre expérience militaire : le pilote d'un avion de combat doit pouvoir tout à la fois piloter l'avion, délivrer l'armement, se protéger contre les attaques ennemies et voler en patrouille. Notre but a été de soulager le plus possible son rôle afin qu'il puisse se concentrer sur la mission principale, à savoir la mission militaire. Nous en avons tiré la philosophie pour les appareils civils. En effet, 75 % des accidents aériens civils sont dus à des erreurs humaines.
Cela dit, il n'existe pas de brevets sur un cockpit. Nous serons donc copiés. Les compagnies aériennes feront pression sur les constructeurs pour qu'ils adoptent des philosophies similaires. Notre influence est indirecte et sans débouché commercial : il appartient aux avionneurs de réaliser leurs cockpits.
Pour ce qui est des autres technologies, nous en développons en permanence. À titre d'exemple, le Rafale comprend déjà des matériaux composites et nous maîtrisons de nombreuses technologies autour de ces matériaux. Mais ce domaine est en évolution permanente, principalement pour la production. La question du vieillissement et de la réparation semble à peu près résolue. Celle du foudroiement des avions, en revanche, reste un vrai sujet. Le composite n'étant pas conducteur, il faut le tramer avec des éléments métalliques, mais les rivets et les boulons sont sources de rupture dans la continuité électrique du tramage.
Par ailleurs, l'étude de l'utilisation des composites dans la fabrication de nos avions civils fait ressortir un bilan proche de zéro par rapport aux alliages les plus récents à base d'aluminium, en raison notamment de la petite taille de nos appareils et de l'épaisseur de fuselage au-dessous de laquelle nous ne pouvons pas descendre. C'est pourquoi nous n'envisageons pas d'augmenter la quantité de matériaux composites pour la nouvelle génération de Falcon qui est en cours de développement. Nous participons néanmoins à un programme européen consacré au développement de pièces plus importantes en composites.
J'en viens à la question monétaire. Notre principal problème réside dans la fluctuation de la monnaie américaine. Depuis quelques années, l'euro évolue entre 1,25 et 1,50, voire 1,60 dollar.
Notre première réponse à ce phénomène a été d'accroître la compétitivité de notre société, qui est sans doute la plus informatisée au monde. Dassault Systèmes est le numéro un mondial dans le secteur des logiciels industriels et j'ai utilisé cette capacité pour pousser la digitalisation à l'extrême. Nos gains de productivité dépassent ceux de nos concurrents, bien que ces derniers aient à leur disposition les mêmes outils. Par la confiance que nous avons dans ces outils et par le degré d'élaboration de nos logiciels, nous sommes très en avance. C'est le fruit du travail collectif de nos deux sociétés, l'une de génie logiciel et l'autre qui élabore des logiciels temps réels pour les avions de combat.
La deuxième réponse consiste à couvrir le risque chaque fois que nous le pouvons. Nous avons mené une politique un peu risquée mais qui nous a jusqu'à présent souri. Alors que certains de nos confrères couvrent systématiquement leurs contrats, quelle que soit la parité des monnaies, nous avons pour notre part recherché les créneaux où l'euro descendait au-dessous de 1,30 dollar – cela a été le cas, par exemple, avec la crise grecque – pour couvrir une quantité sans tenir compte des commandes. Nous avançons ainsi par sauts.
Ce procédé fonctionne pour le civil mais pas pour le militaire, où l'aléa en matière de commandes et de délais est trop grand. Comme il est matériellement impossible de couvrir un contrat militaire, nous subissons de plein fouet l'écart de compétitivité que peut représenter la parité. On dit que le Rafale est cher par rapport au F18, mais le prix est comparable si on le rapporte à une parité de 1 ou 1,10. En dépit de la différence du nombre d'avions fabriqués, nous serions au même prix si la parité entre les deux monnaies était correcte.