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Intervention de Louis Giscard d'Estaing

Réunion du 2 février 2011 à 9h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouis Giscard d'Estaing, Rapporteur spécial :

Confier une activité militaire à une entreprise privée tend à inspirer un sentiment de méfiance instinctif, compte tenu de la mission particulière des armées. Mais il faut bien rationaliser les dépenses publiques et répondre à l'augmentation continue des besoins de financement. Les pouvoirs publics ont donc été conduits à expérimenter, puis à développer des partenariats entre le ministère de la Défense et les entreprises privées, comme l'ont fait les pays comparables au nôtre.

Depuis 2002, pas moins de cinq rapports parlementaires spécifiques – dont quatre publiés par l'Assemblée nationale – sont venus alimenter la réflexion sur la question des externalisations de la défense et des financements innovants.

Le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des opérations extérieures, que j'ai présenté en juillet 2009 avec Françoise Olivier-Coupeau, avait attiré l'attention de la commission des Finances sur l'utilité de poursuivre cette réflexion.

C'est pourquoi, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la commission des Finances de l'Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur « le coût et les bénéfices attendus de l'externalisation au sein du ministère de la défense ». Le rapport rendu par la Cour, qui est à votre disposition sur les tables, met en évidence l'intérêt du sujet et incite à en poursuivre l'étude.

La consultation de ce rapport d'enquête m'inspire cinq observations.

Première observation : l'externalisation a d'abord été vécu davantage comme une nécessité que comme un choix librement consenti. Les raisons du recours croissant à des sociétés extérieures aux armées sont multiples. Elles tiennent principalement à la disparition de la main-d'oeuvre constituée par les appelés. Souvenons-nous qu'ils exerçaient un certain nombre de fonctions ou de facteurs, ce qui a été remis en cause avec la fin du service national. Elles tiennent aussi à la contrainte pesant sur les moyens budgétaires. Mais l'externalisation est également encouragée par la nécessité de bénéficier d'une expertise constamment actualisée.

La Cour des comptes souligne que les administrations ont commencé à externaliser des fonctions de soutien élémentaires depuis les années 1990. Quelques-unes ont eu recours à des partenariats public–privé pour pouvoir répondre à des besoins importants difficiles à financer dans le cadre d'un budget contraint. Mais il a fallu attendre 2002-2003 pour que s'amplifie le mouvement dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme. Par la suite, la mise en oeuvre de la RGPP et les décisions prises en matière de non-remplacement d'une partie des fonctionnaires partant en retraite ont donné un nouvel élan au développement des externalisations.

Le ministère de la Défense a engagé une réforme reposant sur une réorganisation de l'administration et des soutiens permettant, à qualité de prestation au moins égale, de réduire les coûts en ces domaines. Les gains économiques et budgétaires doivent être réemployés pour l'acquisition d'équipements et l'amélioration de la condition des personnels.

Selon les principes posés à l'été 2008 pour le ministère de la Défense, partenariats et externalisations sont soumis à quatre conditions qui doivent être réunies simultanément :

– les projets ne doivent pas affecter la capacité des armées à réaliser leurs missions opérationnelles. Nous pouvons prendre l'exemple du corps des marines, aux États-Unis, dont la restauration est externalisée, mais seulement sur le sol américain ;

– ils doivent assurer dans la durée des gains économiques et budgétaires significatifs, évalués par une méthode rigoureuse ;

– ils doivent préserver les intérêts du personnel au travers de conditions de reclassement correctes ;

– ils ne doivent pas favoriser la création d'oligopoles chez les fournisseurs, mais au contraire, permettre l'accès des PME à ces marchés.

Chaque opération est donc décidée au cas par cas, au regard de ces critères, après analyse des résultats d'une étude préalable solide dont les règles sont mises en place par la mission d'appui aux partenariats public–privé, placée auprès du secrétaire général pour l'administration.

Deuxième observation : malgré les critères édictés par le ministère de la Défense, la Cour des comptes considère que les externalisations doivent être mieux encadrées. Elle appelle à la prudence et distingue deux écueils à éviter.

Le premier écueil consisterait à envisager l'externalisation comme substitut aux réformes. Citant l'exemple du renouvellement en une seule fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale, la Cour reconnaît que le recours à l'externalisation était en l'occurrence nécessaire. Pour autant constate-t-elle, l'externalisation ne doit pas devenir un principe général d'administration permettant de ne pas réaliser en interne des réformes qu'on ne sait pas ou qu'on ne veut pas mener.

Le deuxième écueil est d'utiliser l'externalisation pour « contourner l'obstacle budgétaire ». La tentation est de remplacer par des loyers de titre 3, certes limités mais durables, des financements d'équipement de titre 5 insuffisants. C'est un choix à courte vue. La Cour cite en exemple le choix, qualifié d'« erroné », de louer avec option d'achat des Airbus A 340, au lieu de les acheter directement, en vue du transport à longue distance de nos forces. Elle se montre sceptique à l'égard du projet de vente de l'usufruit des satellites de télécommunications militaires Syracuse, qui « obéit plus à la volonté de créer des recettes exceptionnelles qu'à une opération d'externalisation ».

Dans un contexte budgétaire difficile, l'externalisation ne doit donc être ni une alternative à des réformes nécessaires ni une « finance inventive » qui finirait par alourdir les charges futures. Elle doit être l'instrument d'une efficacité accrue du ministère de la Défense et de l'État.

La Cour des comptes distingue à juste titre plusieurs séries de contrats d'externalisation, répondant à des démarches différentes. Ils appellent des observations qui ne sont pas de même nature, à mesure que la démarche prend de l'ampleur.

Ma troisième observation sera pour rappeler que l'externalisation a commencé avec la mise en oeuvre d'une sous-traitance classique.

Plusieurs domaines sont concernés par des opérations d'externalisation : la restauration, l'infrastructure, le soutien informatique ou encore le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. Notons que certaines opérations de partenariat prennent en compte l'externalisation de tout ou partie des prestations de services associées. C'est notamment le cas du projet Balard pour les fonctions de restauration, accueil, maintenance immobilière et informatique, ainsi que pour la sécurité, ce qui attire l'attention, car il paraît paradoxal d'externaliser la sécurité de nos forces de sécurité…

En matière de restauration, d'hôtellerie, de loisirs, une première opération portant sur un périmètre limité dans un premier temps à huit sites concernant 356 emplois a été lancée. Il s'agit d'une première expérimentation recouvrant essentiellement la fonction restauration et qui porte sur près de deux millions de repas par an, soit 5 % du total des repas servis au ministère de la Défense.

L'externalisation de la fonction habillement, qui représente entre 170 et 180 millions d'euros d'achats par an et un stock évalué à 750 millions d'euros, est également envisagée. La passation du marché est prévue pour 2012. Tout cela est classique et appelle simplement un contrôle de gestion de bonne qualité.

Mais, et c'est la quatrième observation, des partenariats plus ambitieux sont développés. Deux projets conséquents ont déjà été lancés : la formation initiale des pilotes d'hélicoptères et le déménagement d'un opérateur du ministère.

Le ministère de la Défense achète désormais des heures de vol d'hélicoptères au profit de l'école d'application de l'aviation légère de l'armée de terre de Dax (EAALAT-Dax). L'opération, basée sur un contrat de 22 ans signé avec une société privée, permet le remplacement de la flotte actuelle de 54 Gazelle, entretenue par du personnel du ministère de la Défense, par une flotte de 39 hélicoptères de type EC-120 et par l'adaptation des infrastructures mises à la disposition du groupement. Le partenaire privé est chargé de l'entretien des hélicoptères et de leur mise à disposition de l'école et il peut vendre à des tiers le potentiel d'heures non consommées par celle-ci.

Le contrat de partenariat devrait permettre de réaliser, pour le périmètre externalisé, une économie de 8 % en valeur actualisée nette par rapport à une approche classique. Mais la durée de l'engagement de l'État doit inciter l'autorité budgétaire à la vigilance.

Deuxième projet, le déménagement de l'ENSTA (École nationale supérieure des techniques avancées) sur le site de Palaiseau a fait l'objet d'un contrat signé début juillet 2009, dans le cadre du dispositif d'une AOT-LOA (autorisation d'occupation temporaire-location avec option d'achat). La livraison des bâtiments est prévue pour la rentrée 2012.

D'autres grandes opérations d'externalisation sont envisagées à très court terme. Certaines seront rendues nécessaires par le montant financier de ces opérations, que le ministère ne pourrait mobiliser seul, sauf à étaler ces opérations sur une très longue durée. J'en citerai trois :

– d'abord le transport stratégique maritime par navires rouliers. Ce projet vise à acquérir des capacités de transport et de logistique pour la projection de forces en cas de crise sur un théâtre d'opération extérieur. Il a pour vocation à se substituer aux contrats d'affrètement actuels ;

– ensuite l'acquisition de bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers : un partenaire privé se verra confier le soin de mettre en construction ou d'acquérir d'occasion huit navires. Quatre de ces bateaux seraient armés par des équipages militaires car destinés à des missions de nature militaire, tandis que le reste de la flotte serait armé par des équipages civils pour conduire des tâches concourant au service public et de nature civile ;

– en troisième lieu, le regroupement de l'administration centrale à Balard. Le projet de regrouper les états-majors et les services centraux du ministère de la Défense à Balard devrait aboutir à la signature d'un contrat au cours du printemps 2011.

Mais, et c'est ma dernière observation, d'autres partenariats sont à l'étude. J'en donnerai trois exemples :

– la cession de l'usufruit des satellites de télécommunication. L'opération consiste à céder à un opérateur économique l'usufruit des ressources de communication des satellites et à satisfaire les besoins des armées par une location de fréquences. L'opérateur pourra louer la ressource non utilisée à des tiers afin de rationaliser l'utilisation des satellites ;

– le remplacement des avions de surveillance et d'intervention maritime actuellement en service et qui arriveront en fin de vie en milieu de décennie. Il s'agit d'examiner si le recours à un contrat de partenariat peut constituer une alternative opportune à une acquisition classique ;

– enfin, la mise à disposition d'un parc de véhicules légers tactiques polyvalents non protégés destiné à remplacer le parc actuel vieillissant. Les premiers travaux d'étude préalable ont démarré afin d'examiner l'intérêt éventuel d'une démarche de partenariat.

En conclusion, je voudrais souligner que, fidèle à son habitude, la Cour des comptes présente un rapport détaillé, rigoureux et très bien documenté. Mais c'est un point de départ pour des choix politiques, plutôt qu'un point final.

Je constate que le rapport soulève un certain nombre de questions relatives à la méthodologie et au périmètre des externalisations. Pour l'heure, le ministère de la Défense n'apporte pas encore de réponses pleinement satisfaisantes. Certaines ambiguïtés et incertitudes non négligeables subsistent : par exemple, les postes supprimés dans le cadre de l'externalisation sont-ils inclus dans la déflation des 54 000 suppressions annoncées ou viennent-ils en sus ? Enfin, la Cour relève que « les insuffisances méthodologiques et le manque de données ne permettent pas à ce jour de conclure définitivement et de façon globale sur l'intérêt économique des externalisations ». Nous retrouvons ici une nouvelle fois les difficultés nées de ce que le ministère de la Défense ne dispose pas encore d'une comptabilité analytique permettant le suivi de ses diverses activités.

Au-delà de l'aspect strictement financier, qui justifierait à lui seul une attention particulière sur le sujet compte tenu des sommes engagées, la conclusion de partenariats avec des entreprises privées dans le but de concourir à l'accomplissement de missions régaliennes de l'État exige un strict contrôle de la représentation nationale.

C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable de définir le cadre adéquat continuer à travailler sur ce sujet en évolution perpétuelle, et examiner en particulier toute nouvelle orientation qui serait envisagée par le Gouvernement.

En tant que rapporteur spécial, je suis prêt à y travailler. On peut aussi envisager de soumettre le sujet à la MEC.

Je vous remercie de votre attention.

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