Le message de la Commission européenne n'est pas très différent de celui de l'OCDE. Sans doute cette convergence s'explique-t-elle par le fait que la très grande majorité des membres de l'Union font partie de l'OCDE…
Par rapport à la moyenne des pays membres de l'Union européenne, la France est un pays où la taxation tant du travail que du capital est forte, et celle de la consommation plutôt modérée, ce qui offre une petite marge de manoeuvre.
En 2008, la structure des prélèvements obligatoires par fonction économique révèle que la taxation du stock de capital a atteint en France 9,8 % du PIB, soit presque 1 point de plus que la moyenne européenne, qui est à 9 %, là où elle n'est que de 6,9 % en Allemagne. L'écart est dû essentiellement à la taxation chez nous du stock de capital, mais l'exotisme se situe plutôt outre-Rhin qu'en deçà. Il n'en demeure pas moins que la France se situe en deuxième position derrière le Royaume-Uni.
En revanche, les revenus du capital sont plutôt moins imposés que dans le reste de l'Europe, près d'un point de moins : respectivement 5,3 % et 6,2 %. Un tel écart peut ouvrir une piste. Bien que la fiscalité du travail soit hors sujet, il n'est pas inintéressant de relever que le niveau élevé du taux de pression fiscale tient avant tout au poids des cotisations sociales « employeur ».
S'agissant du stock de capital, le niveau de la pression fiscale – 4,5 % – résulte en France du cumul des droits de mutation à titre gratuit, des taxes foncières, des droits de mutation à titre onéreux et de l'impôt de solidarité sur la fortune. Même si le chiffre inclut encore la taxe professionnelle, il reste élevé malgré tout. C'est l'immobilier qui est le plus frappé – il rapporte environ 40 milliards d'euros, soit 80 % du produit de l'IRPP – mais il reste le placement privilégié des Français, parfois au détriment de l'investissement de long terme à risque. Il faut dire que, contrairement à ce qui se fait dans d'autres États membres, il n'existe pas de taxation des plus-values sur la résidence principale, ni de taxes spécifiques sur les résidences secondaires, ni d'imposition du revenu fictif de la propriété immobilière.
Les droits de succession procèdent d'une législation souvent complexe et combinent des abattements différents à des taux différents, parfois progressifs ; d'où la difficulté de se faire une idée globale. La France se caractérise par des abattements significatifs, mais qui ne sont pas parmi les plus élevés, ainsi que par un écart très important entre le taux minimal et le taux maximal d'imposition des successions. En cela, notre pays est très différent du régime britannique à la simplicité exemplaire – un abattement forfaitaire de 325 000 livres sterling et un taux unique de 40 % –, conséquence de l'éloignement progressif entre les droits de succession et le droit de la famille, mouvement qui s'observe également aux États-Unis.
Ce panorama doit être complété par le régime des donations qui est, à l'évidence, particulièrement favorable avec un abattement renouvelable tous les six ans. Mais il existe ailleurs des systèmes qui le sont tout autant, et même plus en Allemagne où l'abattement est de 400 000 euros tous les dix ans. Un point important à ne pas négliger : dans certains pays, dont la France, les donations peuvent servir à effacer l'imposition des plus-values. Cette disposition illustre les limites du droit fiscal par rapport au droit civil.
Après une communication de la Commission, la plupart des pays ont fait beaucoup d'efforts pour faciliter la transmission des entreprises. Le régime français s'inscrit dans la moyenne communautaire, bien qu'il soit un peu moins favorable que le régime allemand qui prévoit des exonérations de 85 % à 100 % selon la durée des engagements pris en matière de maintien d'activité et d'emplois. Le mécanisme néerlandais admet le report du paiement des droits lorsque les biens transmis ne suffisent pas à régler l'impôt.
Force est d'admettre que le dispositif français de droits de mutation à titre gratuit - DMTG – est relativement complexe. Sans doute pourrait-on simplifier le régime des droits de succession et le rendre plus égalitaire au-delà d'un certain seuil en relevant à la fois l'abattement et les taux, à condition toutefois – et ce serait un autre chantier –, de faciliter le paiement des droits. Le régime des donations pourrait également être simplifié, et rendu moins favorable par une limitation du mécanisme d'effacement des plus-values, qui est relativement utilisé aujourd'hui, et la reprise des donations lors du règlement successoral. Toutefois, la transmission des entreprises doit être confortée.
Les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, parce que les régimes sont très différents d'un pays à l'autre, sont de comparaison difficile. Ils peuvent constituer un véritable frein aux échanges et à la mobilité. Dans la plupart des pays, ils prennent principalement la forme de taxes sur les transactions immobilières. Elles représentent en France environ 80 % des DMTO. Ces droits sont relativement élevés en France, notamment sur les immeubles anciens, sur les cessions d'actions et autres parts sociales. Enfin, la France est le seul pays à avoir un droit de mutation à titre onéreux sur les cessions de fonds de commerce.
Au total, les taxes foncières pesant sur l'immobilier constituent en France une ressource proportionnellement plus importante que dans le reste de l'Union européenne, mais en ligne avec les pays anglo-saxons, le Japon et la Corée. Sur un patrimoine d'environ 7 000 milliards d'euros, les 40 milliards de recettes qu'elles génèrent représentent entre 0,5 % et 0,6 % du PIB. Les taxes amputent les revenus de 15 %, et de 30 % si l'on incorpore la taxation des revenus du patrimoine, ce qui laisse in fine, si le capital rapporte en moyenne 4 %, un rendement net de 2,8 %. Un tel taux est plutôt favorable et fait du capital une composante économique relativement avantagée du point de vue fiscal, par rapport au travail.
Pourrait-on, dès lors, envisager une property tax à la française, assise sur la valeur vénale, en fusionnant la taxe foncière, l'ISF et les DMTO ?
En ce qui concerne l'imposition des revenus du patrimoine, la France, en introduisant un prélèvement forfaitaire libératoire sur les intérêts et les dividendes, s'inscrit dans un mouvement général en Europe, certains se montrant plus radicaux. La France a la caractéristique d'avoir le taux le plus élevé de l'Union mais une assiette restreinte, compte tenu de très nombreuses exceptions qui vont de l'épargne réglementée jusqu'à l'épargne salariale et l'assurance vie, d'où un rendement de l'impôt relativement plus faible que la moyenne.
Le cas néerlandais est intéressant. Présenté comme une imposition du revenu du capital, l'impôt instauré en 2001 est assis sur un revenu fictif de 4 % sur le patrimoine hors résidence principale. Avec un taux de 30 %, il équivaut à un taux de 1,2 % sur le stock de capital. Il se rapproche donc d'une taxe sur l'actif net. Ce mécanisme a l'avantage de la simplicité, mais il n'évite pas les contradictions. Conçu pour taxer le capital de façon à le rendre plus efficace et à éliminer les rentes, il aboutit paradoxalement au résultat inverse au-delà d'un certain seuil. En effet, si le rendement est supérieur à 4 %, le surplus n'est pas imposé. Un tel dispositif encourage sûrement l'activation du capital puisque le capital dormant est pénalisé, mais je n'ai pas obtenu de renseignement sur la façon dont la réforme est perçue par les Néerlandais. Des protestations se sont fait jour, notamment parce que les rendements de 4 % sont rares aujourd'hui. Mais la taxe s'applique sur le capital net de dettes et la taxation globale du capital et de ses revenus n'est pas exorbitante aux Pays-Bas – elle est même légèrement inférieure à la moyenne européenne.
Les taxes sur la détention de capital, qui ont progressivement disparu dans la plupart des pays voisins, à l'exception de la Norvège – où elles atteignent 7,5 % du PIB –, de la Suisse et de la France, ont été remplacées par une imposition plus élevée des revenus du capital. D'autres pays appliquent des taxes qui, bien qu'elles n'en portent pas le nom, correspondent à une imposition du capital : la Suisse, l'Italie sur l'immobilier, et les États-Unis où certains États ont des impôts voisins de l'ISF.
Une taxation du capital, sous une autre forme, pourrait se justifier au nom de l'efficacité économique – que préconisait Maurice Allais – de la redistribution puisque l'IRPP ne joue plus ce rôle et de la volonté d'orienter le capital vers l'investissement à risque. En tout cas, l'ISF peut être qualifié de mauvais impôt dans la mesure où le taux marginal le plus élevé – 1,8 % – absorbe aujourd'hui la quasi-totalité du rendement net du capital alors que, lorsqu'il a été institué, il laissait 85 % du revenu net au détenteur du capital. L'évolution des taux d'intérêt et de l'inflation n'est en effet pas sans poser problème. Parmi les options possibles, on trouve le maintien de l'ISF en relevant fortement le seuil d'imposition ; un nouvel ISF à assiette élargie et taux plus faibles, qui soit ajustable et plafonné en fonction des revenus du patrimoine imposable ; ou une suppression pure et simple, à condition de ne pas lui substituer une imposition des revenus du capital productif, car il ne faudrait pas décourager l'investissement productif. La solution serait plutôt à chercher du côté des droits de succession, des droits de mutation à titre gratuit ou de l'équivalent d'une property tax.
En conclusion, par rapport aux autres pays de l'OCDE, le système fiscal français se caractérise par une imposition élevée de la propriété immobilière, mais qui laisse subsister des marges de manoeuvre, et une imposition de la consommation relativement plus faible et moins efficace que dans le reste de l'Europe. En matière de TVA, nous sommes vingtième sur vingt-sept, et vingt-sixième sur vingt-sept pour les droits d'accises, ce qui ouvre des pistes.
L'impôt des sociétés souffre lui aussi d'un taux trop élevé et d'une assiette trop étroite, mais la réforme doit s'inscrire dans un cadre européen.
Enfin, l'impôt sur le revenu gagnerait à avoir une assiette plus large et une progressivité plus effective. Mais les changements préconisés se heurtent à la structure des prélèvements libératoires : en France, l'État central ne recueille que 36 % des prélèvements obligatoires, contre 51 % en moyenne dans l'Union européenne ; et les collectivités locales 11,6 %, contre 17 % en moyenne dans l'Union alors que les organismes de sécurité sociale drainent 52 % des recettes, là où la moyenne européenne est de 31 %. Il y a là une spécificité française qui donne à réfléchir.
Une réforme limitée à la fiscalité du patrimoine serait une tâche délicate. Aussi serait-il préférable d'envisager une réforme d'ensemble. Elle est urgente mais ne doit pas se faire dans la précipitation. La consolidation fiscale doit aller de pair avec une réforme qui exerce un effet positif sur le potentiel de croissance.
Des marges de manoeuvre existent, mais le défi est immense. La compétitivité d'un système fiscal ne se limite pas aux taux effectifs : elle se mesure également à la lisibilité de ce système, d'où l'intérêt de taux nominaux bas. La simplicité, la sécurité juridique et la stabilité de la norme doivent figurer dans les objectifs principaux de toute réforme d'envergure. Mais il ne faudrait pas oublier l'équité, tout simplement parce que les études, notamment celle de l'OCDE, démontrent l'impact négatif des inégalités sur la croissance.
Enfin, une réforme des prélèvements obligatoires ne saurait dispenser de vérifier la qualité des dépenses qu'ils financent.