Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cela fait maintenant dix années que le Parlement a adopté la loi de solidarité et de renouvellement urbains. C'était il y a dix ans seulement, mais déjà un autre siècle. Sans sombrer dans la nostalgie, cette loi fait partie de la grande tradition législative dont notre parlement pouvait s'enorgueillir. La loi SRU symbolise ces débats de fond dont les enjeux portaient sur la transformation profonde de la société au service de l'amélioration des conditions de vie de nos citoyens. Depuis lors, qu'en est-il de ces grandes lois fondatrices, porteuses d'un idéal, d'un choix de société ?
Faire le bilan d'une loi, monsieur le secrétaire d'État, c'est réfléchir au sens de notre action dans la pérennité et au-delà des conjonctures. Sur tous les bancs, toutes tendances confondues, on ne peut que déplorer que l'oeuvre législative soit souvent dévalorisée et le rôle du Parlement vidé de son sens. La politique réside souvent dans l'incantation médiatique, dans la promesse non tenue et dans la démagogie ; le mot « réforme » est d'ailleurs de nos jours très largement dévitalisé. C'est pourquoi je remercie mes amis du groupe GDR qui ont permis ce débat sur le bilan d'une grande avancée pour l'aménagement du territoire et le logement qu'a été la loi SRU.
À La Réunion et dans la plupart des régions d'outre-mer, l'urbanisation rapide et l'absence d'une vraie politique globale ont conduit à un aménagement inconséquent du territoire, à des centres-villes dégradés et n'ont jamais permis d'éradiquer le fléau de l'habitat insalubre. La loi SRU, en renforçant les documents d'urbanisme par la création des PLU et des SCOT, a radicalement amélioré la planification urbaine. Mais c'est principalement l'introduction du plan d'aménagement et de développement durable qui a enfin permis d'avoir un instrument efficace pour définir une réelle politique territoriale d'aménagement cohérente, accessible à tous et dépassant l'aspect exclusivement technique des anciens POS. Ces nouveaux outils ont très largement favorisé l'appropriation par les citoyens des problématiques d'utilisation de l'espace public, mais ils ont surtout démocratisé l'aménagement. Après dix années de mises en oeuvre, ces outils n'ont certes pas encore permis de gommer toutes les aspérités du passé, mais ils permettront d'appréhender avec davantage de confiance le défi démographique qui se pose à La Réunion, territoire dont la population augmentera de 20 % dans les prochaines années et atteindra le million d'habitants en 2030. Ces éléments suffisent donc à qualifier la loi SRU de texte fondateur et majeur pour notre société.
C'est le volet solidarité de ce texte qui a fortement marqué la société. Donnant réellement corps à la mixité sociale, la fixation du seuil de 20 % de logement social a constitué une vraie révolution. En effet, trop longtemps, les pouvoirs publics ont fermé les yeux sur la ghettoïsation des classes sociales ! Ghettoïsation qui a donné corps au déclassement social, au sentiment d'abandon et à ses corollaires que sont le mal-être urbain et l'insécurité. La mixité sociale, le logement décent pour tous sont maintenant reconnus majoritairement comme des exigences, après avoir été pendant tant d'années des slogans et des promesses sans lendemains.
Néanmoins, si de très nombreuses communes se sont inscrites dans un processus de mixité sociale, il en reste encore trop qui, pour d'obscurs calculs politiciens ou idéologiques, s'y refusent. Ces contrevenants volontaires, ces jusqu'au-boutistes de la ségrégation sociale, devraient être à mon sens beaucoup plus lourdement sanctionnés car leur insupportable obstination pénalise toute démarche visant à encourager le logement social et à développer une politique sociale du logement innovante.
C'est ainsi qu'à La Réunion, dans plusieurs communes, y compris celle dont je suis maire depuis 2001, nous n'atteignons pas le seuil de 20 % de logements locatifs sociaux tel qu'il est défini par la loi. C'est en grande partie dû à l'absence par le passé de volontarisme politique et au déficit préalable des infrastructures nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle politique. Mais le différentiel est également dû à l'histoire, à la structure essentiellement rurale de la société réunionnaise et à la rareté du foncier disponible. Comme vous le savez, La Réunion connaît une situation sociale désastreuse : 40 % de chômeurs, et plus de 50 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté. Or, même frappés par l'exclusion sociale, on observe que nombreux sont les Réunionnais qui, propriétaires, logent dans des conditions d'insalubrité extrêmes. Cette réalité s'affiche dans tous les DOM et à Mayotte, puisque la proposition de loi de notre collègue Letchimy portant sur l'habitat indigne en outre-mer a été reconnue et votée à l'unanimité. De même, la faiblesse du foncier disponible et l'étroitesse des poches urbaines rendent très aléatoires la mise en oeuvre d'opérations immobilières collectives d'envergure.
Dès lors, de nouveaux dispositifs ont été imaginés, comme le logement évolutif social. Financé en partie par le budget de l'État au moyen de la LBU, il permet à des familles modestes, éligibles au logement social, d'obtenir un logement décent et d'accéder à la propriété. Ce système est selon moi le plus adapté à la situation particulière de La Réunion et le meilleur cadre pour y mener une politique sociale du logement efficace. À Saint-Joseph, j'ai orienté ma politique sociale du logement très clairement vers ce type de réalisations qui favorisent l'émancipation liée à l'appropriation de son logement. En comptabilisant ces réalisations, le taux de logement social de ma commune atteint 23 % et dépasse donc le seuil prescrit.
On peut donc regretter que le seuil de 20 % ne tienne pas compte de toutes les réalisations sociales en matière de logement et fasse assimiler les communes vertueuses à celles qui conduisent en toute conscience une politique de ségrégation sociale. On pourrait même augmenter ce seuil tout en durcissant lourdement les sanctions qui y sont liées. Monsieur le secrétaire d'État, il me semble très clair que le critère d'évaluation devrait prendre en compte beaucoup plus largement, notamment en outre-mer, les spécificités territoriales ainsi que l'ensemble des contributions à une politique sociale du logement dynamique et efficace…. Ce serait la mise en route de la loi SRU II. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)