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Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 2 février 2011 à 15h00
Débat sur l'otan et les orientations données aux forces armées françaises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Fabius :

Sur un autre aspect, plus général, à savoir le service européen d'action extérieure – mais vous transmettrez ma remarque à votre collègue des affaires étrangères –, nous devons tous, sur tous les bancs, regretter la décision de Mme Ashton, qui, semble-t-il, prend les décisions, qui a contribué à ce que les Français n'aient pas vu leur représentativité reconnue. En tout cas, je ne pense pas que l'on puisse soutenir que notre influence ait augmenté au sein de l'OTAN. C'est si vrai que, lors de la réunion de 1999, nous avions obtenu, alors que nous n'étions pas dans le commandement militaire – et probablement parce que nous n'y étions pas – , que l'on ne puisse pas engager les forces s'il n'y avait pas une décision de l'ONU, contrairement au souhait des Américains et d'autres.

C'est probablement en raison de notre spécificité que nous avons obtenu satisfaction alors que, cette fois-ci, sur la question de la défense et du bouclier antimissile, personne ne soutiendra que la position ardente de la France était d'obtenir de l'OTAN la reconnaissance du bouclier antimissile, mais j'y reviendrai. Le Président de la République a estimé qu'il était contraint et qu'il devait le faire. Cela étant, on ne peut pas, à partir de là, soutenir que notre influence se soit accrue.

Quant à la défense européenne, je veux citer les faits, à moins, monsieur le ministre d'État, que vous n'ayez de bonnes nouvelles à nous annoncer.

L'Agence européenne devrait être l'instrument privilégié pour définir des programmes d'armement commun et organiser la restructuration de l'industrie de l'armement dans un cadre européen. Mais chacun ici – et vous êtes tous des spécialistes – connaît les limites de l'exercice, pas seulement les limites budgétaires, mais également les limites liées au fait qu'un seul pays, en l'occurrence la Grande-Bretagne fait blocage. Malheureusement, cette agence ne joue pas le rôle qu'elle devrait jouer.

Pour ce qui est de la coopération structurée permanente du traité de Lisbonne, qui devait permettre à certains États d'aller plus loin dans le domaine des capacités militaires au sein de l'Union européenne, on ne peut malheureusement que constater le désintérêt à l'égard de cet outil. Certains feront valoir l'accord de Londres, mais là, il y a deux interprétations, monsieur le ministre d'État. Certes, il y a des dispositions positives dans ces deux actes. Pour certains, c'est un premier pas pour aller vers une ouverture, une coopération structurée, mais lorsque l'on interroge les Britanniques, qui sont tout de même l'une des deux parties, ils répondent exactement le contraire. Considérer que l'accord de Londres est une avancée comme l'avait été en son temps celui de Saint-Malo, ce n'est pas une traduction fidèle de la réalité.

S'agissant de la cellule de planification militaire de l'Union européenne, qui permettrait d'améliorer les conditions de réalisation des opérations civilo-militaires de l'Union européenne, et à l'Union européenne d'être plus autonome par rapport à l'OTAN, nous la réclamions depuis 2003. La réalité, sauf si vous nous dites le contraire, monsieur le ministre d'État, c'est que le projet est abandonné alors que la création de cette cellule devait pourtant être la contrepartie du retour de la France dans le commandement intégré.

Quant au projet de fusion des mécanismes de planification de l'OTAN et de l'Union européenne, il est, paraît-il, en cours de négociation, mais s'il intervenait, dans quelle mesure n'enlèverait-il pas toute spécificité à l'Europe de la défense ? Tant sur la question d'une avancée réelle en matière de défense européenne que sur celle de notre influence plus grande au sein de l'OTAN, la réponse est une double désillusion.

Je souhaite maintenant aborder la question compliquée du bouclier antimissile dont a traité le sommet de Lisbonne en novembre 2010. L'évolution de l'OTAN qu'elle traduit est assez problématique. Bien sûr, il y a des points qui ne présentent pas de problèmes particuliers, même s'ils sont difficiles à réaliser : les réorganisations pratiques ou les économies. On peut même estimer que certains aspects de l'élargissement du concept sont tout à fait acceptables, même si traditionnellement la France est réticente à une généralisation de l'OTAN, qui n'est pas un doublon de l'ONU sous contrôle américain. En revanche, il y a quelques points sur lesquels il faut être beaucoup plus prudent.

Selon M. Poniatowski, le partenariat avec la Russie, c'est très bien. Peut-être, mais vous avez fait remarquer devant la commission de la défense que personne ne savait aujourd'hui quel sera son contenu. Juger ce partenariat dans un sens ou un autre avant même qu'il ne commence, serait un peu rapide, prématuré. On peut simplement remarquer qu'à l'article 5, qui fonde le coeur de l'OTAN, l'idée est de faire cette organisation contre l'URSS, et que l'article 4 fait mention désormais de « partenariat fondamental avec la Russie ». Il faudra bien introduire une certaine logique !

En ce qui concerne les relations entre l'OTAN et l'Union européenne, les choses sont très vagues. Le seul moment où cela a bien fonctionné, c'était en 1999 avec le conflit du Kosovo où l'Union européenne a pris le relais. Pour le reste, des mécanismes sont prévus, par les accords dits « Berlin plus » notamment, corrigés en 2003. La réalité, c'est que cela ne fonctionne pas en raison de l'opposition entre Chypre, la Grèce et la Turquie. C'est tout de même un comble qu'au sein même de l'Union européenne – tout le monde en convient –, on soit incapable de résoudre un tel conflit et qu'on soit obligé de se tourner vers les Nations unies pour le résoudre ou plutôt pour ne pas le résoudre ! De fait, nous ne sommes pas parvenus, y compris dans ce nouveau concept stratégique, à une solution satisfaisante dans la distribution des rôles.

J'en viens au bouclier antimissile, affaire si difficile que votre prédécesseur, M. Morin, disait quelques jours avant de quitter son poste, que c'était la ligne Maginot, laquelle n'a pas laissé dans l'histoire le souvenir d'une défense tellement efficace. J'ai lu de la part d'un expert une définition excessive, mais que je vous livre néanmoins parce qu'elle ne manque pas d'humour – on peut en faire preuve de temps en temps, même s'agissant des sujets les plus sérieux. Cet expert, dont je ne partage pas totalement la formule, dit , à propos du bouclier antimissile : « c'est un dispositif qui ne marche pas, contre une menace qui n'existe pas, à partir de financements que nous n'avons pas. »

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