Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Nicolas Georges

Réunion du 26 janvier 2011 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Nicolas Georges, directeur chargé du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication :

Le ministère de la culture, que je représente, est chargé du droit d'auteur en France, depuis sa création en 1959, ayant récupéré un certain nombre de compétences en matière de livre et de politique du livre, du ministère de l'éducation nationale. Entre l'utilisateur et l'auteur, le ministère a, de par son rôle même, été plus sensible aux droits du créateur, afin de défendre la création. L'ère numérique pose néanmoins la question de la volonté croissante d'avoir accès à l'ensemble des oeuvres. On le soulignait récemment à propos de la numérisation de la Bibliothèque nationale de France, le lecteur désire avoir accès à toutes les oeuvres, partout et à n'importe quel moment. Cette pression entraîne la remise en question du droit d'auteur. Nous tentons, avec l'aide des professionnels, d'y répondre, dans deux directions. La première vient d'être rappelée : lorsque manifestement le droit d'auteur présente un aspect bloquant à l'accès du plus grand nombre, il doit être possible, de façon collective et légale en respectant les droits de chacun, d'en desserrer les contraintes. D'autres techniques juridiques sont habilement utilisées pour accéder aux oeuvres sans respecter le droit des créateurs. On ne saurait s'en satisfaire.

Depuis un an, un patrimoine considérable de plusieurs centaines de milliers d'oeuvres, pour l'instant inaccessibles, a la perspective d'être débloqué dans des conditions respectueuses du droit de chacun et des conditions économiques acceptables, en utilisant un système peu répandu dans le secteur du livre : celui de la gestion collective. Cette année de négociations va donc aboutir. Pourquoi ces oeuvres n'étaient-elles pas disponibles et pourquoi le droit d'auteur était-il bloquant ? Simplement parce que la vie « papier » de ces oeuvres était finie et qu'il n'était plus rentable pour un éditeur de les réexploiter en édition papier, alors que la renégociation avec les auteurs pour leur assurer une vie numérique aurait été trop longue, trop onéreuse pour assurer l'équilibre de l'opération. La gestion collective permet justement de remédier à ces difficultés et à rendre de nouveau disponible un patrimoine important du 20e siècle. La France est donc à même de proposer des solutions innovantes dans ce domaine. Il est important de pouvoir proposer au lecteur, très vite, une offre aussi abondante que l'offre papier et aussi simple d'utilisation, sans blocage technologique ou incompréhensible, de DRM, et avec un modèle de régulation adapté. Ce modèle, en discussion à l'Assemblée nationale, après son examen par le Sénat, met en place une régulation par le prix.

Il est nécessaire d'aller vite, parce que d'autres vont encore plus vite : si le marché du livre numérique en France est d'à peine 1 % il atteint près de 10 % aux États-Unis et se développe rapidement au Royaume-Uni. La représentante de la FNAC l'a rappelé, le nombre de titres disponibles en France, plusieurs dizaines de milliers, n'est pas si faible que ça, mais pourtant le marché ne décolle pas, malgré le nombre de tablettes vendues. Or, le fait que le marché légal ne décolle pas peut laisser craindre que le piratage, lui, progresse. Ce n'est en effet plus un phantasme dans le domaine du livre, comme l'a également rappelé Mme Marie-Pierre Sangouard, en particulier pour la bande dessinée.

La loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre semble parfaitement adaptée au livre numérique. Il a été rappelé que le livre numérique n'était pas une véritable révolution, au regard de l'histoire longue du livre, contrairement, par exemple, à l'apparition du livre de poche au 20e siècle, à prix très réduit, qui a entraîné un élargissement considérable du marché. Il s'agit ici plutôt d'une évolution qui sur les quatre à cinq prochaines années, donnera au livre numérique une place de 10 % du marché du livre. Il s'agit donc de maîtriser et d'encadrer cette évolution avec des éléments de régulation qui peuvent parfaitement être empruntés au secteur du livre papier. L'application de la loi sur le prix unique du livre a été un succès car elle a maintenu jusqu'à maintenant un réseau important de librairies garantissant un accès très large au livre sur l'ensemble du territoire. On fait souvent remarquer que l'accès est parfaitement assuré par les réseaux numériques dans le cas du livre numérique. L'argument de la diversité culturelle pourrait ne plus être opérant puisque le livre numérique va être vendu, grâce à la baisse des coûts de production, à des prix très inférieurs à ceux du livre papier. Le risque serait donc moindre pour l'éditeur qui pourrait publier des nouveautés satisfaisant à la diversité culturelle de façon plus simple que dans le domaine papier.

Les deux objectifs de la loi du 10 août 1981 restent cependant pertinents dans le domaine du livre numérique. Les coûts de fabrication vont, certes, baisser. Mais si son prix n'était pas régulé par l'éditeur ou s'il était fixé par l'aval de la chaîne, et notamment par les grandes entreprises très actives sur ce marché, on pourrait alors craindre que la chaîne de création, auteurs et éditeurs, ne soit plus rémunérée, comme cela a été récemment le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni. En outre, les mêmes exemples étrangers montrent moins une croissance du marché du livre qu'une substitution du livre numérique au livre papier, entraînant une contraction du marché physique, comme pour la musique, avec une chaîne de valeur et de création finalement moins rémunérée. Il convient donc d'encadrer et de maîtriser la baisse probable du prix.

Dans ce contexte, les librairies physiques deviennent-elles inutiles, trois ou quatre acteurs pouvant parfaitement s'y substituer et assurer la diversité du livre numérique ? Rappelons, à cet égard, que lorsque la Commission européenne n'a autorisé que la reprise d'une partie des activités du groupe Editis par Hachette en se fondant sur le fait qu'un rachat total donnerait à Hachette, non pas trop de marques commerciales, mais une position trop dominante dans les réseaux de distribution et donc sur la « table du libraire » où les nouveautés trouvent leur place, grâce au travail de médiateur du libraire lui-même. Cette situation est, elle aussi, parfaitement transposable dans le domaine numérique. L'achat sur Internet se fait par un écran d'ordinateur sur lequel sont disponibles 60 000 nouveautés qui rivalisent pour accéder à la première place. Or y accèdent, en fait, les nouveautés générant les plus grandes ventes. La diversité culturelle et éditoriale ne trouvera donc pas davantage sa place à travers ces quelques grands réseaux de vente numérique que dans l'univers physique. En outre, l'évolution de la vente du livre numérique dans le monde montre que toutes les grandes chaînes de vente de livres physiques s'orientent vers la vente des livres numériques, à l'exception de la firme Amazon qui se consacre exclusivement à la vente numérique. Il serait étonnant que seul ce type d'entreprise ait sa place dans le commerce du livre numérique. Un certain nombre de principes valables pour le livre papier sont donc parfaitement transposables au livre numérique.

Le prix tendrait-il vers zéro dans l'univers numérique, comme le soulignait M. Marcel Rogemont ? Il ne semble pas que ce soit le cas. Le disque est en effet confronté au piratage qui fait tendre son prix vers zéro, rendant son redressement difficile. La situation est très différente pour le livre qui connaît une grande variété de prix. La chronologie des formes de publications permet ainsi de trouver à des prix très accessibles, au format poche, des livres sortis quelques mois auparavant, le livre numérique lui-même ne se vendant pas à un prix nul. Certes, son prix va, sans doute, baisser. Certains estiment que cette baisse devrait être au moins de 30 %. Les consommateurs attendent, d'après des études de marché menées par Ipsos, des prix en diminution de 36 % pour les nouveautés et de 38 % pour les livres du fond. Mais une baisse n'est pas un prix zéro. Aux États-Unis où le marché se développe considérablement, et où les prix sont libres, le modèle qui s'impose est celui du prix fixe, à l'image de celui d'Amazon à 9,99 $, grâce aux contrats d'agence signés entre les grands éditeurs et les acteurs de l'Internet, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces contrats d'agence ont d'ailleurs abouti à une remontée du prix par rapport aux 9,99 $ initiaux, ce qui n'a pas, contrairement à ce qu'a affirmé Amazon, entraîné un effondrement du commerce du livre numérique. Les ventes de livres numériques ont, en effet, continué, bien au contraire, à prospérer. Il semble donc parfaitement possible, avec un encadrement du prix par l'éditeur, d'aboutir à une tarification qui garantisse tant la rémunération de la création que la possibilité, pour le lecteur, d'accéder, dans des conditions de tarification raisonnable, à une offre abondante. La loi sur le prix unique du livre numérique semble être un outil parfaitement adapté pour accompagner l'évolution de ce marché, pour les quatre à cinq années à venir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion