Je représente aujourd'hui l'Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Les archivistes, les bibliothécaires et les documentalistes sont conscients des questions juridiques que pose la mise en valeur de la « zone grise ». Les préconisations faites tant au niveau national qu'européen pour y répondre montrent que l'on s'oriente vers une gestion collective pour numériser et communiquer au public les oeuvres qui ne sont plus disponibles dans le commerce, qu'elles soient orphelines ou non.
Disposer ainsi d'un guichet unique est effectivement une solution séduisante. Mais la gestion collective appelle quelques remarques.
Les coûts de transaction doivent être « raisonnables », suivant l'expression utilisée par le Comité des sages dans son rapport. Doivent aussi être raisonnables les efforts exigés pour retrouver les ayants droit et les barèmes des licences. Ceux-ci tiendront compte de la nature de l'oeuvre, de son ancienneté ou encore des efforts réalisés pour sa mise en valeur, ou pourquoi pas aussi, des conditions de sa réutilisation par le public. La réutilisation à des fins privées ou pédagogiques ou à des fins commerciales ne doit pas être négligée, puisqu'elle favorise les nouvelles créations.
L'« opt out », permettant à un ayant droit de se retirer à tout moment de la gestion collective, semble privilégié, ce qui est naturel. Mais, dans ce cas, le titulaire de la licence a payé en quelque sorte « pour du vent ». Il serait plus raisonnable de fixer une durée minimale, suffisamment longue, pour l'attribution de la licence et une tacite reconduction à l'expiration de cette période.
Le système adopté doit être simple car la complexité est la porte ouverte au piratage. Les bibliothécaires ne tomberont pas dans ce travers, mais ils pourraient être tentés, en revanche de geler les oeuvres, ce qui serait dommageable pour les auteurs, surtout s'il s'agit d'oeuvres estimées n'avoir aucune valeur commerciale.
La simplification consiste aussi à fixer une date butoir au-delà de laquelle on recourt automatiquement à la gestion collective, comme le recommande le Comité des sages. Cette solution semble avoir été retenue dans les négociations en cours, en France, qui concerneraient les livres publiés avant l'an 2000.
Quelques remarques doivent être faites concernant l'utilisation des droits non répartissables suite à l'impossibilité d'identifier les ayants droit. Ils ont bien vocation à financer la création, mais seulement au bout de dix ans, ou de cinq ans comme cela était envisagé dans le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Leur montant risque d'être élevé lorsqu'il s'agit d'oeuvres orphelines ou d'oeuvres partiellement orphelines, dont les éditeurs n'ont pas les droits numériques.
Ces sommes collectées pour rémunérer les ayants droit qui se manifesteraient, devraient également servir à alimenter des bases de données permettant de retrouver les auteurs, et limiter ainsi les coûts des recherches ultérieures menées pour retrouver les ayants droit. On peut même imaginer qu'au bout d'un certain délai, une partie des sommes versées par le titulaire de la licence lui soit reversée afin d'être réinvestie dans la numérisation d'autres oeuvres.
Quelques remarques complémentaires. « L'orphelinat » concerne le livre publié et aussi tous les types d'oeuvres, notamment la presse, mais aussi des oeuvres qui n'ont jamais été commercialisées. Que doit faire un bibliothécaire des photos, des films d'amateurs ou des interviews, pour ne donner que quelques exemples de ces oeuvres très diverses que l'on trouve dans nos fonds ? Peut-on, dans ces cas-là, prendre le risque de les mettre en ligne et de gérer les quelques cas où des ayants droit se manifesteraient ?
Il n'y a pas de gestion collective, en revanche, lorsque la numérisation est réalisée par le secteur privé, ou pour les oeuvres épuisées les plus récentes, dont les éditeurs disposent des droits numériques. Dans ce cas, on rejoint la situation du livre numérique ou numérisé, proposé sur les réseaux commerciaux, pour lequel des accès par des abonnements à des conditions raisonnables devraient être accordés aux bibliothèques.
Enfin il faut signaler la situation, qui prévaut souvent, d'ayants droit retrouvés ne revendiquant aucun droit. Dans ce cas, les contacter permet souvent de collecter d'autres oeuvres, comme le montre l'exemple d'une bibliothèque gérant un fonds de photographies.