La numérisation de l'écrit est un nouveau monde dont on aperçoit seulement les côtes. La Société des gens de lettres a proposé de classer les oeuvres électroniques en trois catégories : les livres numérisés, correspondant à peu près aux livres homothétiques, les livres numériques et les oeuvres numériques.
Si le livre numérisé n'est au fond qu'un décalque du livre imprimé, ce changement de support induit du même coup un changement d'économie, puisqu'on passe d'une logique de l'offre à une logique de la demande, qui fait peser de graves dangers sur les droits d'auteur.
Le livre numérique est une terre très peu défrichée. Outre les liens hypertexte et l'ajout de sons et d'images, il permet l'entrée aléatoire au sein d'un ouvrage. Au lieu du parcours allant du premier mot au point final, caractéristique du livre traditionnel, il propose des structures arborescentes et d'autres nouveautés que les auteurs ont hâte d'explorer.
L'oeuvre numérisée représente une terra incognita. À la différence du livre, qui constitue une oeuvre fermée, due à un ou plusieurs auteurs identifiables d'emblée, c'est une production évolutive et collaborative, dont Wikipedia donne un aperçu. En matière d'encyclopédie, on raisonne désormais en termes d'oeuvre ouverte, comme le montre l'exemple de « Larousse.fr ». Dans ce domaine, un droit d'auteur conforme à nos espérances reste à inventer.
D'ores et déjà, le changement de support opéré par le livre homothétique implique un changement de diffusion. Un livre tiré trente ans plus tôt à quelques exemplaires et devenu introuvable ne devrait pas pouvoir être mis en ligne sans autorisation préalable de l'auteur, qui se verrait attribuer une sorte de droit moral. Puisqu'il s'agit non pas d'une simple reproduction, mais d'une représentation, il serait juste que celui qui a jadis confié sa pensée à un support arrêté soit consulté avant qu'on la diffuse au monde entier. Le changement de support suppose donc un droit de divulgation. Autant de domaines dans lesquels le passage au numérique représente non une simple évolution, mais bien une révolution.