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Intervention de Michel Lefait

Réunion du 26 janvier 2011 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lefait, co-rapporteur de la Commission des affaires européennes :

La numérisation de l'écrit a débuté en 1971 avec le projet Gutenberg, mais n'a réellement pris son essor qu'à partir de 1993 avec le développement d'Internet. Les progrès ont été rapides. Alors que 4 300 ans se sont écoulés entre l'invention de l'écriture et celle du codex remplaçant les rouleaux de texte par des pages reliées, que 1 150 ans séparent le codex et l'imprimerie et que 540 ans s'étendent entre l'imprimerie et l'apparition d'Internet, celle-ci ne précède que de dix ans la naissance du livre électronique.

Grâce à la numérisation, le lecteur disposera de nombreuses oeuvres sans l'encombrement inhérent aux volumes imprimés, ce qui explique le succès des liseuses comme le Kindle d'Amazon. Par ailleurs, à partir d'un ordinateur, voire d'un téléphone portable, il pourra accéder partout et à tout moment à des bases électroniques.

Pour l'heure, on assiste au développement du livre numérisé, simple version numérique du livre imprimé. Une étape ultérieure verra celui du livre numérique incorporant vidéos et liens hypertextes. Mais, qu'il soit imprimé ou électronique, le livre reste une oeuvre de l'esprit qui permet d'accéder à la pensée, à l'art, à la connaissance, au spirituel. Il résulte du travail d'un individu qui le fait partager aux autres par l'intermédiaire de la publication.

À ce titre, on peut s'inquiéter de l'initiative de Google, qui a, du moins, eu le mérite d'attirer l'attention des politiques sur les problèmes posés par la constitution d'une bibliothèque numérique. Loin de moi l'idée de diaboliser cette société, mais la numérisation d'un grand nombre d'ouvrages soumis aux droits d'auteur suscite quelques doutes sur ses buts. Des procès lui ont été intentés aux États-Unis comme en France. En outre, les accords qu'elle a conclus dans le monde entier, notamment en Europe, avec plusieurs bibliothèques – par exemple avec la bibliothèque municipale de Lyon – semblent peu favorables à celles-ci. Son initiative nous alerte également sur le statut des oeuvres orphelines, qui ne sont pas libres de droits, mais dont les auteurs ou les ayants droit sont introuvables. Si la numérisation peut offrir une nouvelle vie à des oeuvres épuisées, il faut trouver une solution au niveau mondial pour éviter qu'une publication interdite dans certains pays ne soit autorisée ailleurs. Non seulement Internet se joue des frontières, mais la période de protection des oeuvres n'est pas la même en Europe et en Amérique du Nord. Il faudra mener sur ce point des négociations qui seront sans doute difficiles.

Notre inquiétude s'est encore accrue quand, après avoir lancé la numérisation des livres, leur indexation sur Internet et leur impression à la demande, Google a créé Google Editions. Par ce projet, déjà opérationnel aux États-Unis et qui devrait l'être cette année en Europe, cette société devient un marchand de livres numérisés sur Internet, ce qui dépasse son ambition première, qui était de construire une bibliothèque mondiale digne de celle d'Alexandrie. Google se retrouve sur le même marché qu'Amazon. Entre ces deux mastodontes, quelle place reste-t-il pour d'autres intervenants et d'autres projets de numérisation comme le projet Gutenberg ou le Hathi Trust Digital Library ? On ne saurait reprocher à Google, dont sa puissance fait un acteur incontournable, de poursuivre une logique commerciale, mais celle-ci risque de détourner les lecteurs des ouvrages les moins connus pour les renvoyer systématiquement vers les plus consultés. Or, dans ce domaine, la dimension culturelle doit primer sur la logique commerciale.

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