Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Jacques Guillet

Réunion du 1er février 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet, rapporteur :

Nous sommes saisis d'un projet de loi sur lequel le Gouvernement nous demande de statuer rapidement.

En effet, la première assemblée de cet organe se réunira le 4 avril prochain. Pour que notre pays puisse y voter et y assumer son rôle, il faut qu'il ait déposé les instruments de ratification dès le début du mois de mars. Notre délai d'examen est donc assez court, cette situation provenant du fait que le Conseil d'Etat a pris du temps pour étudier ce texte.

Heureusement, cette urgence n'est pas problématique car ce texte ne contient aucune difficulté technique. En revanche, il revêt une véritable importance politique.

IRENA est un projet porté pendant plus de 20 ans par Hermann Scheer, un scientifique allemand récemment décédé, qui a également été député SPD et président du conseil mondial des énergies renouvelables. Scheer considérait que notre modèle énergétique fondé sur la consommation d'énergies fossiles arrivait à échéance dans les pays développés, et obligeait les pays en voie de développement à des investissements coûteux en capitaux, alors qu'ils n'en avaient pas les moyens financiers. A ses yeux, les énergies renouvelables n'étaient pas indispensables uniquement pour les pays développés, mais également une solution pour les pays en développement, ce qui explique son engagement en faveur de la création d'une agence internationale.

Sous la grande coalition, le Gouvernement allemand a accepté de porter ce projet et a désigné en janvier 2007 trois ambassadeurs spéciaux, chargés de convaincre les diplomaties étrangères de le suivre dans la fondation de l'agence IRENA. C'est ainsi que du 30 juin au 1er juillet 2008, s'est tenu à Berlin un atelier international, où 60 Etats ont été réunis pour en débattre. Après un processus classique de négociations, les statuts de l'Agence ont été signés le 26 janvier 2009, à Bonn, par 75 Etats. Depuis, 75 autres Etats et entités, comme l'Union européenne, ont adhéré aux statuts. A la suite du dépôt, le 8 juin 2010, du vingt-cinquième instrument de ratification par Israël, les statuts sont entrés en vigueur le 8 juillet 2010. 53 Etats à ce jour ont ratifié l'accord.

Ce succès a dépassé les espérances des concepteurs de l'agence, qui pensaient qu'elle intéresserait seulement quelques pays développés et quelques pays de l'hémisphère Sud. En fait, il y a une adhésion massive des Etats d'Afrique et du Moyen-Orient, qui se sont joints dans ce projet aux pays développés. Cette situation explique que la première réunion de l'IRENA se tienne à Abou Dabi, qui fait montre d'une véritable volonté politique dans le domaine des énergies renouvelables.

Pourquoi créer une agence spécifique, au lieu de réformer l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ?

Créée au lendemain de la crise pétrolière de 1979 pour gérer les réserves stratégiques, l'AIE a surtout développé son expertise dans le domaine des énergies fossiles. De plus, elle n'est pas un organisme universel, ne réunissant que 28 Etats. Ces arguments justifient la création d'un organisme nouveau, doté d'objectifs spécifiques.

Ces objectifs sont prévus par l'article 4 des statuts. IRENA est d'une part un forum d'information, qui ambitionne de centraliser toute la documentation, tous les résultats des expériences technologiques, toutes les connaissances sur les énergies renouvelables lorsqu'elles font l'objet d'une application concrète. Surtout, elle propose son expertise à tout Etat qui veut mettre en oeuvre une politique en ce sens. C'est ce point qui intéresse au premier chef les pays en voie de développement. Enfin, en application des conclusions d'un conseil interministériel qui s'est déroulé à Charm El Cheikh en juin 2009, IRENA sera dotée d'un laboratoire d'expérience technologique, basé à Bonn, en Allemagne fédérale.

Ce point suscite des interrogations. Le centre d'expérimentation n'est pas explicitement prévu par les statuts, mais ces derniers permettent aux pays membres de créer tout organe utile aux travaux de l'agence.

L'Allemagne a énormément insisté pour obtenir sur son territoire l'implantation de ce centre. Il faut dire que, dans le domaine des énergies renouvelables, l'Allemagne dispose d'une avance considérable sur nous. Elle utilise cet avantage comparatif dans de nombreux pays de la planète en exportant ses savoir-faire, par exemple en Russie.

En Rhénanie du Nord-Westphalie, l'Allemagne dispose d'un réseau de 3200 entreprises qui consacrent beaucoup de temps, de compétences et de capitaux à la recherche, à l'essai et à la production d'énergies renouvelables. S'appuyant sur l'université Friedrich-Wilhelm, Bonn est devenue un pôle d'excellence en ce domaine.

L'Allemagne tenait tellement à ce résultat qu'elle s'est engagée à apporter à IRENA une contribution volontaire de 4 millions de dollars en plus de sa contribution obligatoire pour la mise en place du centre, et à apporter chaque année environ 3 millions de dollars pour son fonctionnement, en sus de sa quote-part au budget de l'organe, soit 8 millions d'euros au total, à comparer aux 800 000 euros versés par la France, augmentés, en 2009, d'une dotation d'un million d'euros pour permettre le démarrage de l'IRENA. Elle a également affirmé qu'elle mettrait à disposition du centre d'excellence des locaux pour une durée illimitée et sans condition préalable ou restriction.

Ce déséquilibre se retrouve sur le marché russe, que j'ai cité tout à l'heure. Alors que l'Allemagne investit 3 millions d'euros dans un centre germano-russe pour l'efficacité énergétique, la France peine à réunir 100 000 euros pour un projet dans ce domaine !

Cet environnement est à l'évidence favorable à la recherche sur les énergies renouvelables… Mais il renforcera sans nul doute les capacités de recherche des entreprises allemandes qui disposeront d'un avantage compétitif lors du lancement des appels d'offre. En d'autres termes, IRENA pourrait servir à stimuler l'industrie allemande, leader mondial dans les énergies renouvelables, avec les contributions financières des autres Etats.

La stratégie allemande est claire et compréhensible, mais cela ne peut être un motif pour nous retirer. Nous devons, au contraire, être le plus présents possible. C'est en toute connaissance de cause que la France a signé les statuts de l'agence et accepté que les capacités de recherche technologique soient implantées à Bonn. De nombreuses entreprises françaises développent des programmes technologiques importants dans le domaine des énergies renouvelables.

Nos représentants au sein d'IRENA devront donc faire preuve de vigilance afin que nos entreprises puissent retirer des bénéfices technologiques et économiques de notre position au sein de l'agence dont nous serons, selon les années, le quatrième ou le cinquième contributeur.

Les structures de l'agence sont calquées sur celles de l'ONU, avec une assemblée générale des pays membres, qui vote les décisions et qui élit un conseil comprenant de 11 à 21 pays membres, sans membres permanents. Ce conseil joue essentiellement un rôle de proposition pour le programme de travail annuel et le budget. Les deux instances sont assistées par un secrétariat général dont le directeur devrait être M. Amin Adnan, un Kenyan haut fonctionnaire aux Nations Unies.

La quote-part des pays membres est calquée sur celle qui leur est applicable à l'ONU, avec de légères différences puisque l'agence ne rassemble pas tous les membres de l'ONU, bien qu'elle en soit proche. La contribution française, qui alimente le budget de l'ONU à hauteur de 6,123%, sera vraisemblablement de 7,2% au sein d'IRENA.

Les principaux contributeurs devraient être les Etats-Unis (22%), le Japon (15,7%), l'Allemagne (9,7%), le Royaume-Uni (7,9%) et la France (7,2%) soit pour notre pays environ 830 000 euros. En valeur absolue, cette dotation pèse peu sur les finances publiques.

S'agissant du coût en emploi public, l'ambassade de France à Abou Dabi recevra le renfort d'un fonctionnaire du ministère de l'environnement qui suivra les travaux de l'agence et préparera les réunions interministérielles. L'enjeu en termes de moyens est donc faible, pour des résultats importants.

Toutefois, deux difficultés doivent être mentionnées.

Le premier problème est budgétaire. Certains grands pays n'ont pas signé les statuts, notamment la Russie et la Chine. La Russie souhaite se concentrer sur l'exploitation de ses ressources en énergies fossiles. La Chine veut pour sa part préserver l'autonomie entière de sa politique énergétique.

En revanche, les Etats-Unis ont adhéré à IRENA, mais il existe un risque que le Congrès, dont la composition a changé en novembre 2009, n'autorise pas la ratification des statuts.

Si les Etats-Unis ne ratifient pas l'accord, c'est une contribution de 22 % du budget qui disparaîtrait, de l'ordre de 2,9 millions d'euros, faisant peser un poids financier plus considérable sur les autres membres, au premier rang desquels le Japon, deuxième contributeur actuel de l'agence derrière les Américains. Or, ce pays a prévenu lors du dépôt de son instrument de ratification qu'il s'était fixé un plafond de contribution budgétaire et qu'il ne porterait pas l'agence à bout de bras.

Le second problème est linguistique. Les statuts de l'agence ont été adoptés en une seule langue, l'anglais, lors de la conférence de Bonn. La délégation française avait alors obtenu par une déclaration ayant même force que les statuts que ces derniers « devaient être authentifiés dans les langues officielles des Nations Unies autre que l'anglais », à savoir le français, l'arabe, le chinois mandarin, l'espagnol et le russe. Notre objectif est, à terme, de mettre en place une agence mondiale de l'environnement intégrée au système des Nations unies.

Cette authentification des statuts en d'autres langues a été obtenue le 21 janvier 2010 pour le français et l'espagnol, auquel s'est ajouté l'allemand, compte tenu de la part importante de l'Allemagne dans IRENA. Elle ne signifie toutefois pas que les cinq langues précitées deviennent des langues de travail au sein de l'agence. A ce jour, le comité administratif, qui met progressivement en place les structures de l'agence, ne travaille qu'en Anglais.

Juridiquement, l'usage exclusif de l'anglais a été décidé lors de la conférence préparatoire de Madrid, par accord verbal. Une clause du règlement intérieur a ensuite validé cet accord.

La question doit être résolue à un niveau politique. L'Organisation internationale de la francophonie porte actuellement ce dossier, qui consiste à préparer une modification de statuts de l'agence et de documents connexes comme le règlement de procédure. Parallèlement, le Mexique conduit une démarche analogue en faveur de l'espagnol.

L'agence internationale pour les énergies renouvelables sera un outil utile au service d'une politique qui va au-delà de la promotion de technologies vertes. IRENA permettra à l'ensemble de ses Etats membres de réfléchir et d'agir ensemble dans un domaine crucial pour l'avenir de l'humanité. La France se doit de participer activement à cette agence et d'y jouer un rôle moteur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion