Je vois mes clients partir, mais je ne leur conseille pas de le faire. Ce sont les avocats qui font cela. Mais en tant que banquier, je suis bien obligé de comptabiliser les capitaux qui quittent ma banque pour être transférés de l'autre côté de la frontière. Les délocalisations, je les subis !
En revanche, je suis d'accord avec vous sur le point suivant : cette économie de la complexité nourrit de nombreuses professions. Et compte tenu du chiffre d'affaires généré par le conseil et le contentieux liés à l'ISF dans les grands cabinets d'avocats, la suppression de cet impôt ferait grincer quelques dents au barreau de Paris.
En Allemagne ou au Royaume-Uni, les délocalisations n'ont pas atteint la même proportion. Nous devons donc d'abord nous demander pourquoi la France est le seul pays où ce phénomène a pris une telle importance, et ensuite rappeler aux Français que les délocalisations ne sont un problème que pour ceux qui restent, dans la mesure où elles amoindrissent l'assiette de l'impôt. Ainsi, compte tenu des 250 milliards d'euros qui ont, selon moi, quitté la France depuis 1997, on peut évaluer à une bonne dizaine de milliards d'euros la perte de recettes fiscales que subit chaque année notre pays – un montant à comparer avec celui du produit de l'ISF.
Notons, pour en finir avec les délocalisations, que les personnes qui partent à l'étranger ont le droit se faire soigner en France et de bénéficier de certains services publics nationaux. Certains en sont donc venus à réfléchir à une taxation fondée non plus sur la résidence mais sur la nationalité. Cela pose cependant un problème juridique, dans la mesure où nous avons signé avec de très nombreux pays – dont la Belgique et la Suisse – des conventions de non-double imposition. Or les traités internationaux priment sur les lois internes.
J'en viens aux « sanctuaires » devant échapper à l'impôt sur le patrimoine. J'en ai évoqué deux.
Le premier est la résidence principale, parce que la taxer reviendrait à mettre un frein à la mobilité géographique, source de richesses et de créations d'emploi. Imposer les plus-values réalisées lors de la cession contribuerait à rendre la population peu nomade.
Second sanctuaire : la transmission des entreprises. Je suis surpris de constater que ni à droite, ni surtout à gauche, on ne réfléchit à une augmentation des droits de succession. Je le répète, un pays sans droits de succession n'est pas libéral, mais conservateur. Certes, le barème actuel monte jusqu'à un taux de 40 % pour les successions en ligne directe, mais il est troué par de nombreux exonérations et abattements qui rendent, in fine, l'imposition beaucoup plus que raisonnable. Je milite donc pour une augmentation des taux effectifs, sauf pour ce qui concerne les transmissions d'entreprises. En effet, le Conseil économique, social et environnemental évalue à 800 000 le nombre de PME et de TPE qui vont changer de mains dans les dix prochaines années. Dans la mesure où, statistiquement, ce sont elles qui créent le plus d'emplois en France, les passages de témoins doivent y être réalisés de la manière la plus indolore possible, ce qui signifie que la transmission du pouvoir et de l'avoir ne doit pas être la source d'un endettement pesant. La loi Dutreil vaut ce qu'elle vaut – dans ce domaine aussi, on a peut-être été un peu loin –, mais, en matière d'impôt sur la transmission du patrimoine, il convient de traiter l'entreprise à part pour ne pas faire de bêtise.
Je finirai sur une notion importante, évoquée par M. Thesmar, celle de la durée de détention des valeurs mobilières. Je crois beaucoup à une fiscalité susceptible de favoriser les placements à long terme. Mais, tout d'abord, il faudrait disposer des outils nécessaires ; or nous n'avons pas, en France, de fonds de pension destinés à recueillir l'épargne-retraite. Ensuite, notre fiscalité devrait traiter différemment le court terme et le long terme. Cela permettrait de dissocier la spéculation du placement à long terme, ce qui serait une bonne chose. En outre, promouvoir les placements à long terme conduirait indirectement à favoriser l'investissement dans les fonds propres des entreprises.