M. Eckert s'est interrogé sur l'évolution des patrimoines en France depuis une vingtaine d'années. Comme je l'ai écrit à plusieurs reprises, nous vivons une période historique caractérisée par le fait que les patrimoines se sont rarement aussi bien portés. On n'avait pas observé depuis la Belle Époque de tels niveaux de valorisation patrimoniale et de tels ratios entre patrimoine et revenus. Certains attribuent le phénomène au marché de l'immobilier, mais l'évolution de celui-ci nous apprend beaucoup de choses sur l'état de la société française. Ce n'est pas l'émir du Koweït qui soutient les cours en achetant des immeubles à Paris ! Certes, la part des étrangers dans le patrimoine immobilier est passée de 5 à 8 % dans la capitale, mais il reste tout de même 92 % de propriétaires locaux ! Le prix de l'immobilier va peut-être baisser de 10 ou 20 % mais, à politique inchangée, je fais le pari que l'on ne retrouvera jamais les niveaux de capitalisation immobilière, boursière et patrimoniale des années 1950 à 1980.
Bien entendu, avec des niveaux de valorisation aussi élevés, les rendements deviennent plus faibles. Quoi qu'il en soit, la prospérité de l'immobilier est le signe de la prospérité des personnes en mesure de l'acquérir.
Je le répète, les patrimoines se portent très bien, en particulier en France. Une étude du Crédit suisse est d'ailleurs parue à l'automne, que la plupart des médias français – et peut-être aussi les parlementaires – n'ont pas bien su appréhender, tellement elle allait à l'encontre des discours dominants : elle montre que la France occupe la première place en Europe pour le nombre de millionnaires résidant dans le pays. Or cette étude a recours à des ressources standards, et sa conclusion est parfaitement juste, même si elle contredit l'idée selon laquelle tous les détenteurs de patrimoine important ont fait leurs valises et pris l'Eurostar. Ce n'est pas, en effet, parce qu'une affirmation est sans cesse répétée qu'elle est vraie. Dans ce domaine, plutôt que de se contenter de quelques anecdotes, il convient de se référer aux chiffres et de les étudier avec sérieux.
Dans ces conditions, faut-il vraiment réduire une imposition pourtant déjà faible – 4 milliards d'euros, sur un patrimoine global d'environ 9 000 milliards ? L'ISF est-il vraiment le principal problème auquel la France est confrontée ? D'un point de vue économique, une telle affirmation est invraisemblable.
Il faut tout faire pour détaxer le travail. Or tous les impôts reposent soit sur le travail, soit sur le capital. On a beau inventer de nouvelles formes d'assiettes, personne ne peut payer les impôts à notre place. Par exemple, pour consommer, il faut des revenus, qu'ils proviennent du travail ou du capital. Imposer la consommation revient donc à réduire le pouvoir d'achat net du travail ou du capital et, in fine, à taxer ces revenus. Par définition, toute la richesse provient du travail ou de l'investissement, et donc tout impôt repose sur l'un ou sur l'autre. Au moment où les patrimoines sont aussi florissants, n'est-il donc pas aberrant d'en alléger la fiscalité ?
Je suis par ailleurs étonné d'entendre Philippe Bruneau justifier la suppression de l'ISF en affirmant que son calcul repose trop sur le foncier. Les autres impôts sur le patrimoine, eux, reposent uniquement sur la propriété foncière ! Pourquoi s'en prendre au seul impôt conçu pour prendre d'autres aspects en compte ? Certes, il pourrait le faire plus encore. On peut ainsi juger nécessaire de modifier la répartition – en réduisant l'effet des niches sur l'imposition des patrimoines placés en actions, par exemple. Mais l'argument n'en demeure pas moins curieux. Par ailleurs, s'il est vrai que les deux premières tranches regroupent 80 % des redevables de l'ISF, les autres tranches, elles, regroupent 80 % des recettes. Et pour le coup, celles-ci ne concernent pas principalement le patrimoine foncier : il suffit d'examiner les statistiques.
J'ai dû mal me faire comprendre, monsieur Carré : si je défends un impôt sur le patrimoine global, ce n'est pas uniquement parce que l'impôt foncier ou les droits de succession sont imparfaits. Même si les bases cadastrales de la taxe foncière étaient à jour, je persisterais à préférer un impôt global dont on peut déduire les dettes.
Les 58 % de Français propriétaires de leur logement peuvent, grosso modo, être classés en deux catégories : ceux – environ un tiers – qui sont endettés pratiquement à hauteur de la valeur de leur propriété, et ceux qui sont faiblement endettés, voire qui n'ont aucune dette.